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Je suis las. Je n'ai plus envie de parler. Je décide de jouer mon va-tout. Ce type-là ne m'attendrit pas. Sa solitude est de mauvaise qualité.

— Béru dis-je, ça t'ennuie de prendre la direction des opérations ?

— J'allais t'y proposer, répond mon ami.

Pinaud caresse le derrière de porcelaine d'une statuette suggestive. Morbleut ne respire plus qu'avec le nez. Ça fait un bruit de forge forgeant l'acier victorieux.

Mon Gros, je le connais. Dans les circonstances exceptionnelles, il sait se montrer exceptionnel. Il arrache son chapeau et en coiffe une Diane chasseresse qui se demande ce qui lui arrive. Puis il ôte sa veste, la pose sur un dossier de chaise et s'approche de Bécollomb. Il ne dit rien. Il le regarde. Le silence nous fait mal partout. Ça dure. On n'entend que la respiration nasale du camarade Morbleut qui devrait se faire opérer des végétations un de ces jours.

— Je… je vous prie ! grince Bécollomb.

— Merci, répond le Gravos.

Avec sa Pomme, on ne sait jamais, dans ces cas-la, comment ça va partir et où ça va arriver. Cette fois-ci, il démarre avec une manchette ou, plus exactement, un coup de coude dans le placard du chétif. Le marchand de papier hygiénique fait un couac et se plie en avant. D'un même coup de coude, mais sous le menton, Béru le fait se redresser.

— Pars pas tout de suite, mon pote, conseille-t-il, on débute.

— Au secours ! glapit le fouineur.

— T'es complètement dingue ? assure Béru ; du secours, t'en as à revendre, puisque t'as la police à domicile.

Morbleut gémit. Il voudrait s'y mettre lui aussi et fait un pas en avant. Le Gros barre le chemin à son adjoint.

— Tu permets, Popaul. Qui c'est qu'est de l'active ici, toi z'ou moi ? T'auras les restes, s'il en reste.

Il passe sa grosse paluche sur la nuque de Bécollomb et la ramène violemment contre son crâne en bronze. Ça fait « bong ». Bécollomb mollit. Il a une faiblesse dans les rotules. Béru le soutient. Votre San-Antonio adoré se dit que si jamais ce zouave a la blancheur persil, il est bonnard pour passer en correctionnelle, lui et ses archers vaillants.

Je prie ardemment le Seigneur pour qu'il soit coupable de quelque chose.

— Je proteste ! bafouille Bécollomb.

— Eh ben, t'as tort ! affirme Béru.

Et c'est le gros déchaînement. Il soulève à bout de bras le marchand de poudre Nab et lui fait faire le tour de la pièce en lui martelant la frime d'un coup de boule à chacune de ses enjambées. Après quoi, il le propulse dans une vieille bergère dont un pied rend l'âme. Le zig s'écroule au milieu des décombres, entraînant dans sa chute une console (qui ne le console pas du tout) supportant la statue équestre du maréchal Von Heurchtroukz, cousin par alliance à la famille allemande du général.

— A moi ! A moi ! hurle Morbleut.

A défaut de lampe à souder, il actionne son briquet et le balade sous le nez tuméfié de Bécollomb.

Pinaud, qui vient de découvrir une gravure représentant une dame 1900, me la désigne.

— Les femmes savaient mieux s'habiller en ce temps-là, dit-il. J'espère qu'un jour cette mode reviendra.

— Arrêtez ! Arrêtez ! dit Bécollomb.

— Tu causes ? lui demande Popaul Morbleut.

— Oui.

Morbleut souffle sur la flamme fumeuse du briquet. Il empoche l'objet et me décoche un regard de triomphe.

— A vous de jouer, mon jeune ami, il est cuit à point.

Je frotte avec le coin de mon mouchoir humecté d'une salive qui — pour une fois — est la mienne, les revers de mon veston étoilé de sang. Drôle de carnage. Et cependant, je continue à n'éprouver aucune pitié.

— Oh ! fais-je d'un air d'autant plus détaché que je suis précisément en train de détacher mon veston, ce brave Bécollomb n'a pas grand chose à nous dire, sinon « oui, je sais très exactement comment les choses se sont passées ».

Et le plus formide, mes petites grand-mères, c'est que je ne bluffe pas. Je vois. Une extralucide qui lit le marc de caoua à la place du « Parisien Libéré » ne verrait pas mieux. C'est mon don, quoi ! Tout devient clair, brusquement… Vous savez : le matin, quand les rideaux sont fermés, et que votre réveille-matin est arrêté, le matin ; vous croyez à la nuit. Et puis vous ouvrez les rideaux et le jour surgit, plein de soleil et de gens réveillés :

Je viens de me réveiller, mes frères. Je viens de tirer les rideaux. Il fait bath ! Il fait la vérité !

— Vous êtes depuis un certain temps l'amant de Mme Monféal, commencé-je. Et, comme beaucoup d'amants, vous étiez jaloux de son mari. Cette jalousie n'a plus eu de limites lorsque vous avez compris qu'il allait vraisemblablement devenir député. La mort du comte de Martillet-Fauceau vous a alors donné une idée : celle de tuer Monféal. Idée saugrenue, mais qui se défendait. L'assassinat d'un second candidat accréditait la thèse d'un fou meurtrier s'en prenant aux hommes politiques de la région. Vous avez compris que la conjoncture vous servait, que l'occasion était unique de commettre un meurtre parfait. En effet, pour les enquêteurs il devenait évident que le même assassin avait frappé les deux fois. Il me regarde à travers ses carreaux farcis de beurre noir.

Lui aussi me prend pour un surhomme.

A-t-il tort ? Mes biographes, plus tard, trancheront la question.

Je poursuis:

— Vous vous êtes assuré la complicité de votre maîtresse. Le matin du meurtre, elle a veillé à ce que la bonne soit occupée à la cuisine en la mobilisant pour couvrir les confitures. Vous êtes arrivé à une heure convenue. Vous avez attendu sur le palier. Elle vous a ouvert à un moment où la voie était libre. Vous êtes allé régler son compte au pauvre Monféal. Puis, vous êtes ressorti. Vous avez attendu un instant, toujours sur le palier et vous avez sonné. La bonne vous a ouvert. Vous avez remis les documents et vous êtes parti.

Il fallait que votre visite fût officielle afin d'avoir un alibi au cas où quelqu'un — comme la concierge par exemple — vous aurait vu entrer dans l'immeuble. Beau boulot ! Tout était calculé au poil ; mon vieux. Vous avez bien failli réussir.

Seulement, le crime était trop parfait.

Je montre Béru qui, satisfait, se détend les jointures en tirant sur ses boudins.

— C'est un sage, l'inspecteur principal Bérurier ici présent, qui a déclaré un jour que le crime en vase clos, ça ne peut pas exister. Conclusion : l'assassin habitait l'appartement ou bien y avait été introduit par l'un de ses habitants.

Les circonstances pourtant étaient de votre côté. Jusqu'à ce pauvre Lendoffé, troisième et dernier candidat qui se bute bêtement quelques jours plus tard.

— Car c'est bien un accident, pas vrai ? exulte Sa Majesté.

— J'en suis certain, Gros. Car le crime en vase clos…

En chœur, mes coéquipiers déclament :

— Ça n'existe pas !

Aveux complets de Bécollomb ; confirmés par ceux de cette petite friponne de veuve Monféal. Je fais une éclatante déclaration à la presse qui délire. Vous parlez d'une escadrille de révélations : un suicide, un meurtre, un accident ! Le commissaire San-Antonio met le mystère K.O. en quarante-huit heures ! Un suicide déguisé en assassinat ! Un crime parfait ! Un accident qui a l'air d'un meurtre ! Le romantique coup de fil de la môme Natacha qui raccroche une seconde avant que son Jules ne se composte le battant. Mathieu Mathias et ses deux briques enterrées sous les roses ! C'est pas de la tarte à la crème, ça ? De la tarte au crime, veux-je dire !

La une des baveux remplie par moi tout seul ! Le triomphe de ma carrière !

Je reviens de vacances dans une apothéose indescriptible. On me fait signer des autographes. On m'acclame. C'est beau, d'avoir du chou et d'être un prince de la déduction, un roi de l'enquête, un souverain poncif de l'investigation criminelle !