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Les autres ont pris le parti de rigoler et lui demandent s'il accepterait de leur prêter sa collaboration.

— Cela va de soi, affirme hautement Morbleut. Je m'occuperai même dés fortes têtes ! Avec une lampe à souder je vous les interroge par paquets de dix !

Je le laisse à ses divagations et je reprends mon interview de Conrouge.

— Pour en revenir au premier, qui lui téléphonait au moment du drame ?

Il sourcille.

— Je ne sais pas. Quand le domestique a trouvé le corps, la communication était interrompue.

— Et tu as recherché d'où elle provenait ?

— Je… C'est-à-dire qu'on s'en occupe !

Ça se voit gros comme une maison de douze étages qu'il ne s'est pas penché sur le problème.

— Dans le premier cas, on a retrouvé l'arme du crime ?

— Il s'agissait d'un revolver appartenant au comte. Il était resté sur place.

— L'idée du suicide est exclue ?

— Pas forcément, seulement on imagine mal un type se tirant trois balles en plein cœur. A partir de la première il aurait lâché la rampe… et le revolver !

— C'est à voir, il faudrait interroger un légiste et un armurier. Une fois l'index crispé sur la détente, plusieurs balles pouvaient partir avant que le bras ne retombe.

— Tu oublies que le comte n'était pas gaucher et qu'il tenait au moment de sa mort le combiné du téléphone de sa main droite.

Ce dernier argument me convainc.

— D'accord, fils, c'est un meurtre. Tu es sûr que les larbins ne sont pas de connivence ?

— Deux vieux kroumirs au service de la famille depuis quarante ans ? Tu rigoles ! Ils l'avaient élevé, le Gaétan et ils chiaient comme si on avait buté leur fils !

Je me lève.

— Tu permets que j'aille faire un tour sur les lieux ?

— A une condition !

— Je t'écoute, mon beau Conrouge !

— Les résultats de tes observations, c'est Bibi qui en a l'exclusivité. Je veux bien que tu manges dans mon assiette, San-A ; mais à condition que tu fasses la vaisselle !

Je promets et je me taille sur la pointe des pieds pour filer sans que Morbleut s'en aperçoive.

CHAPITRE III

Le comte Gaétan de Martinet-Fauceau, ci-devant candidat communiste de Bellecombe-sur-Moulx, créchait dans un hôtel particulier du XVIIIe, sis au fond d'une agréable cour au mitan de laquelle glougloute un jet d'eau prostatique dans une vasque moussue. Il y a de la vigne plus ou moins vierge sur les murs, un cèdre du Liban devant le perron et des statues de Diane vous contemplent d'un air narquois en caressant le cou de leurs bichettes.

Le perron est à double révolution, ce qui explique les opinions avancées du défunt. Je malmène le heurtoir, lequel représente précisément un marteau (sculpté par un artisan du col de la Faucille) et la porte s’ouvre. Un vieux bonze est là, avec une frime grise, ridée et ravagée par le chagrin. Il ressemble à un brochet sans dents que j'ai beaucoup connu (il était naturalisé dans un restaurant qui eut, un temps, le privilège de m'alimenter). Il a la même tête verdâtre, les mêmes yeux lustrés. Il aura pas à se forcer beaucoup pour se déguiser en tête de mort. Les joies charnelles, ça n'a sûrement jamais été son fief, car il est aussi décharné qu'une roue de vélo sans pneu.

— Monsieur désire ? bredouillent ces trois quarts de siècle de bons et loyaux services.

Je lui fais voir la jolie carte marquée de tricolore que le gouvernement français met à ma disposition, histoire d'amadouer les foules. Ça me dispense de blablater. Le larbin se croit obligés de virguler un sanglot.

— Conduisez-moi sur les lieux du drame, intimé-je.

Il branle son pauvre chef sur lequel végète une moisissure grisâtre. Et nous nous mettons en route à travers un hall où une armure fait le pied de grue, appuyée sur une hallebarde.

La maison pue le vieux blason bouffé aux mites. Il s'y mêle des remugles de pipi de chat, de soupe au chou et de papier humide. Les dalles sont creusées par le frottement. La rampe aussi. Le vieux valet me pilote jusqu'à une bibliothèque garnie de livres rares et de portraits d'ancêtres. Je regarde ces toiles, intéressé. Le domestique fait les présentations. Ce gentilhomme avec la fraise, c'est l'arrière-arrière-grand-père de Monsieur le comte. Celui-ci, avec un jabot, c'est son arrière-grand-père qui fut un ami de Montgolfier et qui inventa le tire-bouchon à pas inversé.

— Et ce monsieur à barbiche ? m’inquiété-je :

— C'est Lénine, fait le larbin.

— Il me semblait en effet l'avoir vu quelque part. Bon, expliquez-moi comment les choses se sont passées.

Il a dû mettre sa version au point car il me la déballe comme un jeune premier du Français vous déballe la tirade du Cid.

— Monsieur souffrait d'une jambe et avait du mal à gravir des escaliers, c'est pourquoi il avait aménagé sa chambre à coucher dans le petit fumoir jouxtant la bibliothèque.

— Le jour du crime…

Nouveau petit sanglot ressemblant au bruit d'une grille rouillée qu'on a du mal à fermer.

— Le jour du crime, reprend la momie à rayures, tandis que je préparais le petit déjeuner, j'ai entendu la sonnerie du téléphone. Elle a retenti deux ou trois fois, puis Monsieur a décroché et je l'ai entendu dire « Allô ! » car Monsieur, en vrai tribun qu'il était, avait le verbe haut.

— Et puis ?

— Il y a eu alors, des détonations assourdies ; franchement, il m'a semblé qu'elles émanaient de l'extérieur. Des automobiles font parfois ce bruit.

— Et puis ?

— J'ai préparé mon plateau et je suis allé directement à la chambre de Monsieur. J'ai toqué, il ne m'a pas répondu. Je me suis permis d'entrer. Sa chambre était vide, par contre la porte donnant sur la bibliothèque était ouverte. Je me suis avancé jusqu'à l'encadrement et j'ai vu…

Cette fois, son sanglot fait songer à l'éternuement d'un vieux cheval enrhumé.

— Qu'avez-vous vu ?

— Monsieur le comte gisait sur le tapis que vous voyez là. Au pied de ce bureau. Il était plein de sang et tenait l'appareil téléphonique. Le socle de celui-ci avait basculé du bureau et gisait près de lui ! Monsieur le comte avait les yeux grands ouverts et paraissait me regarder.

Il voile sa pauvre bouille de morille séchée.

— Aussi longtemps que je vivrai, j'aurai cet horrible spectacle devant les yeux.

— Et la porte donnant sur le hall ?

— Fermée.

— Quelqu'un aurait pu fuir par là ?

— Naturellement. Puisque nous étions à l'office, Maryse et moi… Seulement, le hall donne dans la cour et dans la cour il y avait le jardinier qui taillait les rosiers.

J'opine.

— Quelles sont les autres issues possibles ?

— Celle de l'office, mais nous nous y trouvions !

— Qu'avez-vous fait après avoir trouvé votre maître ?

— J'ai couru à la croisée et j'ai appelé le jardinier. Je lui ai dit d'aller chercher le médecin, de toute urgence !

— Pourquoi n'avez-vous pas téléphoné à ce dernier ?

— Parce que le téléphone était plein de sang… Parce que Monsieur tenait l'écouteur serré dans ses pauvres doigts… Et puis, le docteur Fumelard, qui était un ami de Monsieur le comte, habite juste de l'autre côté de la rue…

— Ensuite, qu'avez-vous fait ?

— Je suis allé prévenir Maryse à l'office.

— En passant par le hall ?

— Oui.

— Et vous n'avez rien vu ?

— Rien !

Je ressors dans le hall et je mate les lieux avec attention.

— En somme, supposons qu'après avoir tiré, l'assassin soit passé dans le hall et qu'il ait grimpé l'escalier. Il pouvait s'enfuir tandis que vous retourniez à l'office et que le jardinier allait chercher le docteur ?