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Il s'essuie la bouche d'un superbe revers de manche et dit à M'man :

— J'sais pas si que vous êtes de mon avis, chère madame, mais ces petits vins italiens, c'est juste bon à vous taquiner la vessie !

Un qui se marre bien, c'est Morbleut. Il aime la spontanéité du Gros.

— Ça au moins, c'est un homme ! clame-t-il en se claquant les cuisses.

Il invite Béru à prendre un calva après le dîner. Tandis que ces deux messieurs sirotent de l'alcool de pomme et que M'man essaie d'arranger le coup auprès du percepteur, je demande le chemin du Mathieu Mathieu's office. Le patron me l'indique.

— Vous prenez le premier chemin à droite en descendant. Vous verrez un petit bois. Derrière le petit bois il y a une maison en ruine. C'est là qu'il habite.

Je me mets en route sous les étoiles.

Le Vieux m'a refilé une drôle de mission. Je n'aime pas m'occuper d'une affaire dont il est avéré qu'elle est l'œuvre d'un fou. Or ça ne peut qu'être un fou qui a commis ces deux crimes. Je ris pourtant sous cape en songeant à la bouille que fera demain le principal Conrouge lorsque je lui ferai renifler mon ordre de mission. Ça va être la grosse jaunisse !

La nuit est belle, un peu venteuse. L'étoile polaire se croit encore indispensable aux navigateurs et fourbit ses feux de position. La campagne sent le regain et il y a dans l'immensité environnante un formidable crépitement d'insectes.

Le clocher égrène neuf coups. M'est avis que le gars Mathieu Mathieu sera zoné lorsque j'arriverai chez lui. A la cambrousse, on met la viande dans les torchons de bonne heure. Le travail des champs c'est fatigant.

Je tourne à droite, je dépasse le petit bois et j'aperçois la crèche du jardinier au clair de lune. Ça fait très Vlaminick, comme paysage. La maison est blafarde, lépreuse. Le toit perd ses tuiles et les orties envahissent les abords de la fermette. J'espère qu'il entretient les jardins de ses clients mieux que le sien, Mathieu Mathieu !

Je ne me suis pas gourré : il est déjà à la dorme le tondeur de gazons. Pas une lumière chez lui.

Sa lourde est fermée. Je tabasse, on ne répond pas. Je loquette et l'huis s'entrouvre. Cette odeur, mes fils ! On se croirait chez Bérurier. Ça renifle le rance, la vieille crasse entretenue avec dévotion, le vinaigre et la boustifaille moisie.

— M'sieur Mathieu !

Ça ne répond pas. J'actionne ma petite torche électrique. La cage est vide. Il n'habite qu'une pièce, le vent et les intempéries ayant pris possession du reste ! Un fourneau, un vieux lit disloqué, une table, des chaises qui marchent sur trois pattes, un bahut sans porte, un pétrin sans pain… Le sol est jonché des détritus les plus variés et les plus avariés. Sa pauvre baraque, tout ce qu'on peut faire pour elle c'est l'arroser d'essence et y foutre le feu ! Des pourceaux refuseraient d'y passer leurs vacances.

— Y’a personne ?

Non, y’a personne. J'ai idée que le Mathieu est au troquet du village, ou chez un copain. Bref, n'importe où mais pas ici ! Je passe chaque pièce (du moins ce qu'il en subsiste) en revue, mais sans rien dégauchir. Inscrivez pas de veine, et revenez nous voir demain ! Je m'en vais. Avant de regagner le Vieux Donjon, je fais le tour des mines.

— M'sieur Mathieu !

Des fois qu'il serait dans les indépendances, comme dirait Béru.

Personne ne me répond.

Je repars. Soudain, dans le silence, je perçois une petite plainte. Holà, qu'est-ce à dire ! Mon tympan san-antoniesque hisse l'antenne. Fus-je le jouet d'une hallucination auditive ? J'attends… De nouveau, la plainte s'élève, menue, presque imperceptible. Je regarde alentour. C'est alors que je vois osciller un bâton planté à la verticale. Un gros bâton. Je m'en approche.

Il s'agit d'un manche de fourche. Le bas de l'instrument disparait dans les orties. Je braque le faisceau de ma lampe à mes pieds et j'ai un tressaillement. Un petit chien jaune et blanc, aux oreilles pointues gît sur le flanc. Il est cloué au sol par les dents de la fourche et il agonise. C'est un spectacle affreux que celui de cette pauvre bête traversée de part en part. Je n'ose arracher la fourche. Et pourtant il le faut. J'empoigne délicatement le manche et le soulève d'un coup sec. Le chien ne bronche pas. Il vient de mourir. Je contemple un instant son flanc crevé d'où sort un sang noir.

Il est perplexe votre San-Antonio chéri, mes belles ! Perplexe du haut en bas ! Pourquoi a-t-on embroché ce pauvre clebs ? Parce qu'il risquait de mordre ? Oh ! Que j'aime pas ça. Je me repaie une tournée des environs, examinant le sol avec plus d'attention pour m'assurer qu'on n'a pas fait subir au jardinier le même traitement qu'à son chien. Mais j'ai beau battre les touffes d'orties je ne découvre rien.

Affaire à suivre. Je regagne mon hôtel en me promettant de revenir tôt le lendemain.

Y a du spectacle au Donjon, les gars. Ils n'ont jamais vu ça à Saint-Turluru ! Même le percepteur, malgré ses avatars (mieux vaut avatars que jamais, disait Peut-être Breffort) se tient les côtes.

Grimpés sur une table, l'ancien adjudant et Béru poussent la goualante. Morbleut s'est noué une nappe à la taille afin de se travestir en dame et il a mis du rouge à lèvres par-dessous ses baccantes. Béru le tient par la taille ; ils sont joue contre joue et chantent en duo : « Que ne t'ai-je connu au temps de ma jeunesse. Dans un rêve brûlant j'aurais pu t'emporter… » De quoi s'asseoir sur le bouilleur de la cuisinière jusqu’à ce qu'on dégage de la vapeur !

L'anglais, qui a un appareil polaroid, prend des photos à tout va et les distribue à la ronde. J'en chope une et la glisse dans mon portefeuille à toutes fins utiles…

Les duettistes obtiennent un triomphe.

— Hé, San-A. ! m’interpelle le Gros, figure toi que c't'ami connaît Les Matelassiers. C'est la première fois que je rencontre quelqu'un dont au sujet duquel il sache cette chanson. Tu y es, Popaul ?

L'adjudant répond que oui. Et l'hymne béru éclate, scandé par l'assistance. Félicie en pleure. Je l'ai jamais vu rire aussi fort, M'man. Du coup ça me ravigote et j'oublie le petit chien enfourché.

Le lendemain, dès six plombes, je suis debout. Je prends une douche et je vais réveiller le Gros. C'est pas de la besogne de tout repos. Il pousse des vachissements et remue ses énormes lèvres déshydratées par la G.D.B. Puis, péniblement, il ouvre un store, un seul, et darde sur moi Un œil de bœuf, mes frères !

En moins spirituel. Ce matin, la vie ne semble pas l'enthousiasmer.

— Qu'est-ce qu'il y a ? bredouille l'infâme.

— Lève-toi, sac à graisse.

— Biscotte ?

— On a du boulot !

Ça lui fait écarquiller son second vasistas.

— Toi p't'être, mais moi, j'ai rempli mon programme. J'avais pour mission de te retrouver ; je t'ai retrouvé, alors laisse-moi en écraser.

— Inspecteur principal Bérurier, vous êtes placé sous mes ordres et je vous ordonne de vous lever !

Il se tourne sur le côté, proposant son monstrueux postère à mon regard.

— Si je serais placé sous les ordres du pape ce serait du kif, mon pote !

Je récupère la photo du fameux limier dans mon portefeuille. Elle représente le Gros en train d'embrasser l'adjudant Morbleut.

— Mate un peu, pépère ! Ça vaut pas Harcourt, mais c'est ressemblant, non ? Si tu ne te lèves pas illico, je la poste au Vieux afin d'enrichir son album de-famille.

Le monstre antédiluvien regarde le cliché et bondit.

— Tu le ferais, San-A. ?

— Parole !

— Tu le ferais vraiment ?

— Si c'est un défi, je la poste même en express, assuré-je.

Il rabat ses couvertures, lève ses jambons, gratte à pleines mains ses fesses velues.