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« L’homme brisé… »

— Et qu’au lieu d’être reliée à cet unique ordinateur elle soit reliée à des milliers et des milliers d’ordinateurs par l’intermédiaire des liaisons ansibles entre les planètes.

« Ça se pourrait. Elle était vivante. Elle pouvait grandir. Comme nous grandissons quand nous faisons des ouvriers supplémentaires. Tout le temps. Maintenant que tu as posé la question, nous sommes certains qu’elle est toujours là – parce que nous sommes toujours liés à toi et que ce n’était que par son intermédiaire que nous avions pu nous connecter. La connexion est très forte à présent – c’est une partie du tout, le lien entre nous et toi. Nous croyions que la connexion se renforçait à mesure que nous progressions dans ta connaissance. Mais peut-être qu’elle se renforçait aussi parce que le pont était en train de croître. »

— Et j’avais toujours cru… Jane et moi avions toujours cru qu’elle était… qu’elle avait en quelque sorte accédé à l’existence dans les connexions ansibles entre planètes. C’est probablement là qu’elle se sent exister, l’endroit qui lui paraît être le centre de… de son corps, allais-je dire.

« Nous essayons de sentir si le pont entre nous est encore là. Pas facile à sentir. »

— Comme si on essayait de trouver un muscle particulier qu’on a utilisé toute sa vie mais jamais isolément.

« Intéressante comparaison. Nous ne voyons pas le rapport mais… si, maintenant, nous le voyons. »

— Quelle comparaison ?

« Le pont. Très grand. La configuration est trop grande. Nous ne pouvons plus l’appréhender. Très grande. Beaucoup de confusion dans la mémoire. Beaucoup plus difficile à trouver que toi la première fois… grande confusion. Nous nous perdons. Nous ne pouvons plus la maintenir dans notre esprit. »

— Jane, souffla Ender, tu es une grande fille, maintenant.

— Tu triches, Ender. Je n’entends pas ce qu’elle te dit. Je ne peux que sentir ton cœur battre et ta respiration s’accélérer.

« Jane. Nous avons vu ce nom dans ton esprit à de nombreuses reprises. Mais le pont n’était pas une personne avec un visage… »

— Jane non plus.

« Nous voyons un visage dans ton esprit quand tu penses à ce nom. Nous le voyons encore. Nous avions toujours pensé que c’était une personne. Mais maintenant… »

— Le pont, c’est elle. C’est vous qui l’avez faite.

« Appelée. C’est toi qui as fait la configuration. C’est elle qui en a pris possession. Ce pont, cette Jane, a commencé son existence avec la configuration que nous avons découverte entre toi et le Fantasy Game, mais elle s’est imaginé être beaucoup plus grande. Elle devait avoir un… philote – si c’est bien le terme exact – très fort et très puissant pour pouvoir modifier sa propre configuration sans oublier pour autant d’être elle-même. »

— Vous avez sondé les années-lumière et m’avez trouvé parce que je vous cherchais. Ensuite, vous avez trouvé une configuration et appelé une créature d’un autre espace qui a appréhendé cette configuration, en a pris possession et est devenue Jane. Et le tout instantanément. À une vitesse supraluminique.

« Mais il ne s’agit pas de voyages supraluminiques. Seulement de procédures d’imagination et d’appel supraluminiques. Rien qui puisse vous faire passer d’un point à un autre. »

— Je sais. Je sais. Il se peut que ça ne nous aide pas à répondre à la question que j’ai posée au départ. Mais j’avais une autre question, tout aussi importante pour moi, dont je n’aurais jamais cru qu’elle puisse avoir un rapport avec vous, et dont il se trouve que vous aviez la réponse. Jane est réelle, vivante en permanence, et son être n’est pas quelque part dans l’espace, il est en moi. Connecté avec moi. Ils ne peuvent la tuer en la débranchant. C’est déjà quelque chose.

« S’ils détruisent la configuration, elle mourra. »

— Oui, mais ne voyez-vous pas qu’ils ne peuvent la détruire en totalité ? Elle ne dépend pas des ansibles, après tout. Elle dépend de moi et de la liaison entre moi et les ordinateurs. Ils ne peuvent couper la liaison entre moi et les ordinateurs ici et sur les satellites en orbite autour de Lusitania. Et peut-être que Jane n’a pas besoin des ansibles non plus. Après tout, vous n’en avez pas besoin, vous, pour m’atteindre à travers elle.

« De nombreuses choses bizarres sont possibles. Nous ne pouvons les imaginer. Les choses qui traversent ton esprit nous paraissent stupides et étranges. Tu nous fatigues beaucoup en pensant toutes ces choses imaginaires, stupides et impossibles. »

— Dans ce cas, je vais vous laisser. Mais cette conversation servira à quelque chose. Il le faut. Si Jane peut maintenant trouver un moyen de survivre, alors c’est une grande victoire. La première, à un moment où je commençais à penser qu’il n’y aurait pas de victoire à attendre ici.

Dès qu’il eut quitté la présence de la reine, il se mit à parler à Jane et lui dit tout ce qu’il avait retenu des explications de la reine. Qui était Jane, comment elle avait été créée.

Pendant qu’il parlait, elle s’analysa à la lumière de ce qu’elle apprenait. Elle commença à découvrir sur sa propre personne des choses qu’elle n’avait jamais soupçonnées. Lorsque Ender fut retourné à la colonie humaine, elle avait déjà vérifié de son mieux tous les détails de son récit.

— Je n’ai jamais rien découvert de tout ça, dit-elle, parce que j’étais partie d’hypothèses fausses. J’imaginais que mon centre se trouvait quelque part dans l’espace. J’aurais dû me douter qu’il était en toi par le fait que, même lorsque j’étais furieuse contre toi, il fallait que je revienne à toi pour trouver la paix.

— Et maintenant la reine dit que tu es devenue si volumineuse et si complexe qu’elle ne peut plus contenir la configuration de ton être dans son esprit.

— J’ai dû passer par une phase de croissance accélérée à l’époque de ma puberté.

— Exact.

— Pouvais-je empêcher les humains d’ajouter des ordinateurs et de les interconnecter ?

— Mais ce n’est pas une question de matériel, Jane. C’est le logiciel. L’activité mentale.

— Il faut que j’aie une mémoire physique pour l’exercer.

— La mémoire, tu l’as. La question est de savoir si tu peux y accéder sans les ansibles.

— Je peux essayer. Comme tu l’as dit à l’autre, ça revient à apprendre à faire travailler un muscle qu’on a depuis toujours mais sans le savoir.

— Ou apprendre à vivre sans.

— Je vais voir ce qui est possible.

Ce qui est possible… Pendant tout le trajet, tandis que le véhicule glissait au-dessus du capim, il volait lui aussi, porté par la joie de savoir qu’on pouvait tenter quelque chose après tout, alors qu’il n’avait jusque-là connu que le désespoir. Mais en rentrant, en voyant la forêt calcinée, les deux arbres-pères solitaires sur le dernier espace vert, la plantation expérimentale, la nouvelle cabine avec la chambre stérile où agonisait Planteur, il se rendit compte qu’on était loin d’avoir gagné, qu’il y aurait encore de nombreuses victimes, même si à présent on avait trouvé le moyen de maintenir Jane en vie.

C’était la fin de la journée. Han Fei-tzu était épuisé, il avait mal aux yeux à force de lire. Il avait modifié les couleurs de l’affichage une bonne douzaine de fois, tentant en vain de trouver un réglage reposant. La dernière fois qu’il avait travaillé aussi intensément, il était étudiant, et il était jeune. Il avait alors toujours abouti à des résultats. J’étais plus rapide, plus brillant. Je pouvais me récompenser en accomplissant quelque chose. Maintenant je suis vieux et lent, je travaille dans des domaines nouveaux pour moi, et il se peut que ces problèmes soient réellement insolubles. Il n’y a donc pas de récompense en vue pour m’encourager. Rien que cette lassitude. La douleur à la base du crâne, les yeux gonflés, pleins de fatigue.