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— Nous en avons discuté, dit Ela. Et nous n’avons aucune idée de ce qu’il faudrait faire. Pour l’instant, la question est ouverte, puisque nous n’avons pas encore décodé la descolada et risquons de ne jamais pouvoir le faire. Mais, si nous mettons le procédé au point, nous croyons que la décision de le mettre en application ou non devrait vous revenir.

— Aux habitants de la Voie ?

— Non, dit Ela. Le choix vous revient à vous d’abord, Han Fei-tzu, Si Wang-mu et Han Qing-jao. Vous seuls savez ce qu’on vous a fait et, même si ta fille n’y croit pas, elle représente cependant assez bien le point de vue des croyants et des élus de la Voie. Si nous sommes en mesure de tenter le coup, pose-lui la question. Posez-vous la question. Y a-t-il un moyen, un procédé quelconque pour induire cette transformation de la Voie qui ne soit pas destructeur ? Et si c’est faisable, est-ce vraiment souhaitable ? Ne dites rien maintenant, ne décidez rien maintenant. Réfléchissez par vous-mêmes. Nous ne sommes pas partie prenante dans cette affaire. Nous ne vous informerons que lorsque nous saurons comment faire – à supposer que nous le sachions un jour. Ensuite, ce sera à vous de jouer.

Le visage d’Ela disparut.

Jane s’attarda un instant de plus.

— Ça valait la peine de se réveiller ? demanda-t-elle.

— Oui ! cria Wang-mu.

— C’est pas mal de découvrir qu’on est bien plus que ce qu’on croyait être, hein ? dit Jane.

— Oh oui ! dit Wang-mu.

— Alors rendors-toi, Wang-mu, dit Jane. Et toi, maître Han, tu es très manifestement à bout de forces. Tu ne nous serais d’aucun secours si tu venais à perdre la santé. Comme Andrew me l’a dit et redit, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir sans perdre la capacité de continuer à le faire.

Puis elle s’effaça à son tour.

Wang-mu recommença immédiatement à pleurer. Han Fei-tzu s’approcha sans bruit et vint s’asseoir par terre à côté d’elle. Il lui cala la tête contre son épaule et la berça doucement.

— Dors, ma fille, mon amour, au fond de ton cœur tu savais déjà qui tu étais, et moi aussi. Moi aussi. En vérité, ton nom a été sagement choisi. S’ils arrivent à accomplir leurs miracles sur Lusitania, tu seras la Mère Royale de tout l’univers.

— Maître Han, chuchota-t-elle, je pleure aussi pour Qing-jao. J’ai reçu plus que je n’ai jamais espéré recevoir. Mais que va-t-elle devenir, elle, si on lui enlève la voix des dieux ?

— J’espère, dit Han Fei-tzu, qu’elle redeviendra ma vraie fille. Qu’elle sera aussi libre que toi, cette fille qui est venue à moi du pays du printemps éternel comme un pétale de fleur au fil du fleuve en hiver.

Il la tint encore contre lui de longues minutes, jusqu’à ce qu’elle s’endorme sur son épaule. Alors, il la reposa sur la natte et se retira dans son coin pour dormir, l’espoir au cœur pour la première fois depuis longtemps.

Lorsque Valentine vint voir Grego dans sa prison, le maire Kovano lui dit qu’Olhado était avec lui.

— Pendant ses heures de travail, alors ?

— Vous plaisantez, dit Kovano. C’est un bon patron, mais je crois que la survie de la planète vaut bien que quelqu’un d’autre surveille ses ouvriers à sa place.

— Ne nourrissez pas d’espérances démesurées, dit Valentine. Je voulais le mettre dans le coup. J’espérais qu’il pourrait nous être utile – rien de plus. Mais il n’est pas physicien.

— Je ne suis pas geôlier non plus, dit Kovano en haussant les épaules, mais on fait ce qu’exigent les circonstances. Je ne sais pas si ça a un rapport quelconque avec la présence d’Olhado ou la visite d’Ender il y a quelque temps, mais j’ai entendu ici plus de bruit et de jubilation que je n’en ai jamais entendu lorsque les occupants habituels étaient à jeun. Bien entendu, l’état d’ivresse sur la voie publique est le motif usuel d’incarcération dans cette ville.

— Ender est venu ?

— Il revenait de chez la reine. Il veut vous parler. Il ne savait pas où vous étiez.

— Oui. Eh bien, j’irai le voir quand j’en aurai fini ici.

En fait, elle était avec son mari. Jakt se préparait à repartir dans l’espace sur la navette, afin de préparer son propre vaisseau à un départ précipité, si nécessaire, et de voir si on pouvait remettre en état le vaisseau colonisateur originel de Lusitania pour un nouveau voyage. Il serait absent au moins une semaine, voire plus longtemps, et Valentine pouvait difficilement le laisser partir sans passer un peu de temps avec lui. Il avait compris évidemment : il savait quelle terrible pression ils subissaient tous. Mais Valentine savait aussi qu’elle n’était pas l’une des actrices principales de ces événements. Elle ne serait utile que plus tard, lorsqu’elle en écrirait l’histoire.

Quand elle avait quitté Jakt, toutefois, elle n’était pas allée directement à la mairie pour voir Grego. Elle s’était promenée dans le centre-ville. On avait peine à croire que peu de temps auparavant – quelques jours, quelques semaines ? — s’y étaient rassemblés les émeutiers, furieusement ivres, et qu’ils s’étaient déchaînés dans leur folie meurtrière. Tout était si calme à présent. La pelouse piétinée ne portait même plus trace du tumulte, sauf dans un trou boueux où l’herbe refusait de repousser.

Mais il n’y avait là rien de spectaculaire. Au contraire. Lorsque la ville était en paix, la première fois que Valentine était venue, il y avait du mouvement et de l’animation au cœur de la colonie, et à toutes les heures de la journée. À présent, quelques passants arpentaient les rues, certes, mais sans joie, presque furtivement. Ils gardaient les yeux baissés, comme s’ils avaient tous peur de s’étaler par terre s’ils ne regardaient pas où ils mettaient les pieds.

Valentine se dit qu’il y avait de la honte dans cette morosité. Il y avait maintenant un trou dans chaque édifice de la ville, là où on avait retiré des briques ou des parpaings pour servir à la construction de la chapelle. De nombreuses brèches étaient visibles de la praça que traversait Valentine.

Mais elle se douta que c’était la peur plus que la honte qui avait étouffé les bonnes vibrations dans la ville. Personne n’en parlait ouvertement, mais elle avait surpris suffisamment de remarques, suffisamment de regards dérobés en direction des collines au nord de la ville, pour en avoir la certitude. Ce qui pesait sur la colonie n’était pas la menace de la flotte. Ce n’était pas la honte d’avoir massacré la forêt de pequeninos. C’étaient les doryphores. Les silhouettes sombres qu’on voyait de temps à autre sur les collines ou dans les prairies qui entouraient la ville. C’étaient les cauchemars des enfants qui les avaient vus. La terreur ignoble qui serrait le cœur des adultes. Il n’était plus possible d’emprunter à la médiathèque des holos historiques datant de la guerre des Doryphores car les résidants voulaient sans cesse voir des humains triompher des extraterrestres. Et ce spectacle ne faisait que renforcer leurs craintes les plus abjectes. La notion théorique d’une société d’insectes vue comme la culture pleine de beauté et digne de respect qu’Ender avait décrite dans son premier livre, La Reine, ne signifiait plus rien pour de nombreux habitants de la colonie – sinon pour la plupart d’entre eux –, qui vivaient sous la menace virtuelle d’une punition et d’un emprisonnement imposés par les ouvriers de la reine.