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Et pourtant, n’était-elle pas la première personne à avoir lu le livre d’Ender, La Reine ? N’était-elle pas la première personne, en plus d’Ender, à voir dans cette créature extraterrestre un être de grâce et de beauté ?

Elle était la première, certes, mais cela ne signifiait pas grand-chose. Tout le reste de l’humanité actuelle avait grandi dans un univers moral partiellement façonné par La Reine et l’Hégémon, alors qu’elle et Ender étaient les deux seuls survivants de gens qui avaient grandi au milieu d’une campagne de haine croissante contre les doryphores. Elle était bien sûr paradoxalement soulagée de ne pas avoir été obligée de voir les doryphores. Pour Miro et Plikt, le premier contact visuel avec la reine et ses ouvriers ne serait pas chargé de la tension émotionnelle qu’elle ressentait maintenant.

Ne suis-je pas Démosthène ? se dit-elle. Je suis le théoricien qui affirmait que les doryphores étaient des raman, des étrangers susceptibles d’être compris et acceptés. Je dois simplement faire de mon mieux pour refouler les préjugés de mon enfance. Toute l’humanité finira par être au courant de la réapparition de la reine ; quelle honte si Démosthène était la seule personne qui ne puisse accepter la reine comme raman !

Ender vira autour du petit immeuble.

— Nous sommes au bon endroit, dit-il.

Il mit le glisseur au point mort, puis réduisit le régime de la turbine pour le poser sur le capim près de l’unique porte. La porte était très basse – un adulte serait obligé d’entrer en rampant sur les mains et les genoux.

— Comment le sais-tu ? demanda Miro.

— Parce qu’elle le dit, dit Ender.

— Jane ? demanda Miro.

Il avait l’air perplexe, parce que évidemment Jane ne lui avait rien dit de tel.

— La reine, dit Valentine. Elle parle directement à l’esprit d’Ender.

— Un truc super ! dit Miro. Je peux l’apprendre ?

— On verra, dit Ender ; quand tu la rencontreras.

Ils descendirent du glisseur et se laissèrent tomber dans les hautes herbes. Valentine remarqua alors que Miro comme Ender ne cessaient de regarder du côté de Plikt. Bien sûr, le mutisme de Plikt les gênait. Ou plutôt son apparent mutisme. Valentine savait quelle femme loquace et éloquente elle était. Mais elle s’était aussi habituée à la voir jouer les muettes à certains moments. Ender et Miro découvraient évidemment son silence pervers pour la première fois, et cela les mettait mal à l’aise. C’était en partie pour cela que Plikt affichait cette attitude. Elle croyait que les gens se révélaient le plus quand ils étaient vaguement anxieux, et peu de choses induisent des anxiétés non spécifiques aussi bien que la présence d’une personne qui ne parle jamais.

Valentine ne croyait pas trop à l’emploi d’une pareille méthode pour sonder les inconnus, mais elle avait déjà vu comment les silences de Plikt la préceptrice forçaient ses élèves – les enfants de Valentine – à manipuler leurs propres idées. Lorsque Valentine et Ender enseignaient, ils provoquaient leurs élèves par des dialogues, des questions, des polémiques. Plikt, elle, forçait ses élèves à exposer tour à tour le pour et le contre, à mettre en avant leurs propres idées avant de les attaquer pour réfuter leurs propres objections. La méthode ne marcherait probablement pas avec la plupart des gens. Valentine avait conclu que si cela marchait aussi bien avec Plikt, c’était que son mutisme n’était pas une absence totale de communication. La fixité de son regard pénétrant était à elle seule une éloquente expression de son scepticisme. Lorsqu’un élève devait affronter ce regard qui ne cillait pas, il ne tardait pas à succomber à ses propres incertitudes. Le moindre doute que l’élève avait réussi à écarter et à ignorer venait alors au premier plan et l’élève devait découvrir en lui-même les raisons du scepticisme apparent de Plikt.

« Fixer le soleil » : c’est en ces termes que Syfte, l’aînée des enfants de Valentine, évoquait ces confrontations unilatérales. C’était maintenant au tour d’Ender et de Miro de s’éblouir en affrontant l’œil qui voyait tout et la bouche qui ne disait rien.

Valentine aurait voulu rire de leur embarras, pour les rassurer. Elle aurait aussi voulu donner à Plikt une petite gifle amicale et lui dire d’être plus compréhensive. Mais elle n’en fit rien. Elle alla droit à la porte de l’immeuble et la tira. Pas de verrou, rien qu’une poignée. La porte s’ouvrit sans problème. Elle la tint ouverte tandis qu’Ender se mettait à genoux et commençait à ramper par l’embrasure, suivi de Plikt. Puis Miro soupira et se mit lentement à genoux. Il avait encore plus de difficulté à ramper qu’à marcher normalement – chaque mouvement du bras ou de la jambe devait s’exécuter séparément, comme s’il lui fallait une seconde pour décider comment faire bouger le membre. Il finit par rentrer. Valentine se baissa et franchit le seuil en s’accroupissant. Etant la plus petite, elle n’était pas obligée de ramper à quatre pattes.

L’intérieur n’était éclairé que par la porte. La pièce était vide, le sol de terre battue. Ce ne fut que lorsque les yeux de Valentine se furent habitués à l’obscurité qu’elle comprit que l’ombre la plus noire était un tunnel qui s’enfonçait dans la terre.

— Il n’y a aucun éclairage dans les tunnels, dit Ender. C’est elle qui me dirigera. Vous allez être obligés de vous tenir par la main. Valentine, tu fermes la marche, d’accord ?

— On peut descendre en restant debout ? demanda Miro.

Manifestement, la réponse ne lui était pas indifférente.

— Oui, dit Ender. C’est pour ça qu’elle a choisi cette entrée.

Ils firent la chaîne ; Plikt tenait la main d’Ender, Miro était entre les deux femmes. Ender les fit avancer de quelques pas dans le tunnel. La pente était raide, et la perspective d’une obscurité totale angoissante. Mais Ender s’arrêta avant le noir absolu.

— Qu’est-ce qu’on attend ? dit Valentine.

— Notre guide, dit Ender.

Sur ce, le guide arriva. Dans l’obscurité, c’est tout juste si Valentine put voir le bras noir filiforme pourvu d’un doigt et d’un pouce uniques toucher la main d’Ender. Ender serra immédiatement le doigt dans sa main gauche et le pouce noir se referma comme une pince sur sa main. Valentine leva les yeux pour tenter d’apercevoir le propriétaire du bras. Elle ne distingua en fait qu’une silhouette chétive – comme une ombre d’enfant –, et peut-être un vague reflet renvoyé par une carapace.

Son imagination ajouta les éléments manquants et elle ne put s’empêcher de frissonner.

Miro marmonna quelque chose en portugais. Il était donc affecté lui aussi par la présence du doryphore. Plikt, elle, ne pipait mot, et Valentine ne pouvait dire si elle tremblait ou restait entièrement insensible. Puis Miro traîna un pied en avant, tira sur la main de Valentine et l’entraîna dans les ténèbres.

Ender savait à quel point cette expédition serait éprouvante pour les autres. Jusqu’ici, seuls lui, Novinha et Ela avaient rendu visite à la reine, et Novinha n’était venue qu’une seule fois. L’obscurité était par trop angoissante : on ne cessait de descendre à l’aveuglette, au milieu de petits bruits indiquant la présence de la vie et du mouvement, invisibles mais tout proches.

— On peut parler ? demanda Valentine d’une voix minuscule.