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— Excuse-moi, Miro, chuchota-t-elle. Je crois que j’ai une suée.

— Toi ? dit-il. Je croyais que c’était moi.

C’était bien répondu. Il se mit à rire. Elle rit avec lui – ou du moins gloussa nerveusement.

Le tunnel s’élargit brusquement. Ils débouchèrent dans une vaste chambre, éblouis par un rayon de soleil qui perçait par un trou au plafond. La reine était en plein dans la lumière. Elle était entourée d’ouvriers, mais à présent, éclairés a giorno, en présence de la reine, ils avaient tous l’air petits et fragiles. La plupart faisaient plutôt un mètre qu’un mètre cinquante de haut, alors que la reine faisait bien trois mètres de longueur. Et ce n’était pas tout. Ses élytres, apparemment vastes et lourds, presque métalliques, réfléchissaient la lumière solaire dans tout son spectre. Son abdomen était assez long et large pour absorber intégralement le cadavre d’un humain. Mais il s’étrécissait comme un entonnoir jusqu’à un ovipositeur dont la pointe oscillait, couverte d’un liquide translucide, jaunâtre et brillant, gluant et filandreux. Elle plongea dans un trou pratiqué dans le sol, aussi loin qu’elle le put, puis remonta, laissant dégouliner du liquide dans le trou comme un jet de salive négligent.

Si grotesque et terrifiant qu’il fût, ce spectacle d’une créature aussi volumineuse se comportant comme un insecte n’avait pas préparé Valentine à ce qui se passa ensuite. Car, au lieu de plonger son ovipositeur dans le trou suivant, la reine pivota et saisit au passage l’un des ouvriers les plus proches. Maintenant le doryphore tout palpitant entre ses larges pattes antérieures, elle l’approcha de ses mandibules et lui arracha les pattes une par une. Chaque fois qu’une patte était arrachée, les pattes restantes gesticulaient de plus belle, comme pour simuler un cri. Valentine se trouva désespérément soulagée lorsque la dernière patte fut happée et que le cri silencieux s’effaça de son champ de vision.

Puis la reine fit tomber l’ouvrier démembré dans l’alvéole suivant, la tête la première. C’est alors seulement qu’elle plaça sa tarière en position de ponte. Valentine crut voir le liquide émis par la pointe de l’ovipositeur s’épaissir et former une boule. Mais ce n’était pas du liquide, après tout, ou, du moins, pas entièrement ; au sein de la volumineuse goutte se trouvait un œuf mou, à l’aspect gélatineux. La reine fit pivoter son corps afin que sa tête soit en plein soleil et les facettes de ses yeux étincelèrent comme des centaines d’étoiles vert émeraude. Puis l’ovipositeur plongea dans le trou. Lorsqu’il remonta une première fois, l’œuf adhérait encore à la pointe mais, la seconde fois, l’œuf avait disparu. À plusieurs reprises, la reine plongea son abdomen dans le trou, ramenant à chaque fois des filaments gluants émis par la pointe.

— Nossa Senhora, dit Miro.

Valentine reconnut l’expression. Habituellement presque dépourvue de sens, elle se chargeait en l’occurrence d’une ironie répugnante. Dans les profondeurs de cette caverne, ce n’était plus la Sainte Vierge. La reine était Notre Dame des Ténèbres. Elle pondait ses œufs sur les cadavres des ouvriers pour nourrir les larves quand ils écloraient.

— Ça ne peut pas se passer toujours comme ça, dit Plikt.

L’espace d’un instant, Valentine fut seulement surprise d’entendre la voix de Plikt. Puis elle comprit ce que Plikt disait. Elle avait raison. Si un ouvrier vivant devait être sacrifié pour chaque doryphore qui sortirait de l’œuf, la population ne pourrait augmenter. En fait, cet essaim n’aurait jamais pu avoir un début d’existence puisque la reine aurait été obligée de donner la vie à ses premiers œufs sans leur fournir d’ouvriers démembrés pour les nourrir.

« Seulement pour une nouvelle reine. »

L’idée vint à l’esprit de Valentine comme si elle l’avait pensée elle-même. La reine ne devait placer le corps d’un ouvrier vivant dans l’alvéole que lorsque l’œuf était censé produire une nouvelle reine. Mais l’idée n’était pas de Valentine ; elle s’imposait avec trop de certitude. Elle n’avait aucun moyen d’avoir connaissance de ce détail, et pourtant l’idée s’en était indubitablement et instantanément imposée. C’était ainsi que Valentine avait toujours imaginé que prophètes et mystiques entendaient la voix de Dieu.

— Vous l’avez entendue ? demanda Ender.

— Oui, dit Plikt.

— Moi aussi, je crois, dit Valentine.

— Entendu quoi ? demanda Miro.

— La reine, dit Ender. Elle vient d’expliquer qu’elle n’est obligée de placer un ouvrier dans l’alvéole que lorsqu’elle pond l’œuf qui donnera une nouvelle reine. Elle est en train d’en pondre cinq, dont deux sont déjà en position. Elle nous a invités à voir ça. C’est sa manière à elle de nous dire qu’elle va envoyer un vaisseau de peuplement. Elle pond cinq œufs de reine, puis elle attend de voir laquelle est la plus vigoureuse. C’est celle-là qu’elle enverra.

— Et les autres ? dit Valentine.

— Si elle peut en tirer quelque chose, elle laisse la larve dans son cocon. C’est ce qui lui est arrivé. Les autres, elle les tue et les mange. Il le faut : si la moindre trace du corps d’une reine rivale venait à toucher l’un des bourdons qui ne se sont pas encore accouplés à la présente reine, il deviendrait fou et tenterait de la tuer. Les bourdons sont des partenaires d’une loyauté absolue.

— Tout le monde a entendu ça et pas moi ? s’étonna Miro, manifestement déçu que la reine ne puisse lui parler.

— Oui, dit Plikt.

— Enfin, un peu, dit Valentine.

— Faites le vide dans votre esprit du mieux que vous pouvez, dit Ender. Fredonnez un air dans votre tête. Ça aide.

Entre-temps, la reine avait presque terminé une nouvelle série d’amputations. Valentine s’imagina en train de marcher sur les pattes qui s’accumulaient autour de la reine ; dans son imagination, elles se cassaient comme des branches avec un bruit atroce.

« Très doux. Les pattes ne se cassent pas. Se plient. »

La reine répondait à ses pensées.

« Vous faites partie d’Ender. Vous pouvez m’entendre. »

Dans son esprit, les pensées se clarifièrent. Elles étaient moins agressives, plus mesurées. Valentine pouvait détecter la différence entre les communications de la reine et ses propres pensées.

— Ouvi, chuchota Miro, qui venait enfin d’entendre quelque chose. Fala mais, escuto.

« Connexions philotiques. Vous êtes liés à Ender. Quand je lui parle par liaison philotique, vous entendez. Des échos. Des réverbérations. »

Valentine tenta de concevoir comment la reine réussissait à lui parler en stark. Puis elle comprit que la reine ne faisait vraisemblablement rien de tel – Miro l’entendait en portugais, sa langue natale ; et d’ailleurs, Valentine ne l’entendait pas parler en stark, mais dans la variété d’anglais qui était à l’origine du stark, l’anglo-américain de son enfance. La reine ne formulait pas de messages langagiers, elle émettait des pensées que leur cerveau décodait dans la langue qui se révélait être la plus intimement ancrée dans leur esprit. Lorsque Valentine entendait le mot échos suivi de réverbérations, ce n’était pas la reine qui cherchait le mot juste, c’était l’esprit de Valentine qui sélectionnait les mots qui correspondaient le mieux au sens.

« Liés à lui. Comme mon peuple. Sauf que vous avez l’autodétermination. Philote indépendant. Tous des récalcitrants, vous êtes. »

— C’est une plaisanterie, dit Ender. Pas un jugement.