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En plus, Miro n’avait jamais appris la langue des arbres ; on avait compris le vrai rôle des baguettes trop tard pour Miro. Ender pouvait parler aux arbres, Ouanda aussi, et sans doute une demi-douzaine d’autres humains, mais Miro n’apprendrait jamais, parce qu’il lui était absolument impossible de tenir les baguettes et de frapper les troncs en cadence. Encore une variété de langage qui ne lui était plus d’aucune utilité.

— Que dia chato, meu fïlho !

Voilà bien une voix qui ne changerait jamais. L’attitude non plus : Quelle journée pourrie, mon fils ! Pieuse et fourbe en même temps, sans se prendre au sérieux ni d’un côté ni de l’autre.

— Salut, Quim.

— Père Estevão, à présent, j’en ai peur.

Quim avait adopté la panoplie vestimentaire complète de l’ecclésiastique. Il ramassa les pans de sa soutane et s’assit en face de Miro sur l’herbe flétrie.

— Tu as vraiment la tête de l’emploi, dit Miro.

Quim avait bien mûri. Enfant, il avait les traits tirés par la dévotion. L’expérience du monde réel au lieu de la théologie théorique lui avait donné des rides et des sillons, mais le visage en résultant était empreint de compassion. Et d’énergie.

— Je m’excuse d’avoir fait une scène pendant la messe.

— Ah bon ? dit Quim. Je n’y étais pas. Ou, plutôt, j’étais bien à la messe, mais pas à la cathédrale.

— Tu donnais la communion aux raman.

— Aux enfants de Dieu. L’Eglise a toujours disposé d’un vocabulaire pour désigner les étrangers. Nous n’avons pas attendu Démosthène.

— Il n’y a pas de quoi te vanter, Quim. Ce n’est pas toi qui as trouvé la terminologie.

— Ne nous disputons pas.

— Alors, n’empiétons pas sur les méditations d’autrui.

— Quel noble sentiment ! Mais tu as choisi de te reposer à l’ombre d’un de mes amis, avec lequel j’ai besoin de m’entretenir. J’ai pensé qu’il était plus poli de te parler d’abord, avant de commencer à taper sur Fureteur avec les baguettes.

— C’est Fureteur ?

— Dis-lui bonjour. Je sais qu’il était impatient de te revoir.

— Je ne l’ai jamais connu.

— Mais il sait tout de toi. Je ne crois pas, Miro, que tu te rends compte à quel point tu fais figure de héros pour les pequeninos. Ils savent ce que tu as fait pour eux et ce que ça t’a coûté.

— Et ils savent ce que ça va probablement nous coûter à tous, à la fin ?

— À la fin, nous serons tous appelés à la barre pour être soumis au jugement de Dieu. Si la population de toute une planète y est convoquée d’un seul coup, alors notre unique souci sera de nous assurer que nul ne partira sans être baptisé, au cas où son âme mériterait d’être accueillie parmi les saints.

— Alors, ça t’est égal ?

— Ça ne m’est pas égal, bien sûr. Disons simplement qu’il existe une perspective plus vaste, dans laquelle la vie et la mort comptent moins que le fait de pouvoir choisir sa vie comme sa mort.

— Tu crois vraiment à tout ça, hein ? dit Miro.

— Oui, encore que ça dépende de ce que tu entends par « tout ça ».

— Tout, quoi. Un Dieu vivant, la résurrection du Christ, les miracles, les visions, le baptême, la transsubstantiation… ?

— Oui.

— Les miracles ? Les guérisons miraculeuses ?

— Oui.

— Comme dans le sanctuaire en l’honneur de nos grands-parents ?

— Beaucoup de guérisons y ont été relevées.

— Et tu y crois ?

— Miro, je ne sais pas. Certaines étaient peut-être de nature hystérique. D’autres relevaient peut-être d’un effet placebo. Certaines prétendues guérisons étaient peut-être des rémissions spontanées ou des rétablissements naturels.

— Mais certaines étaient authentiques ?

— C’est possible.

— Tu crois que les miracles sont possibles ?

— Oui.

— Mais tu ne crois pas qu’il y en ait vraiment ?

— Si, Miro, je crois qu’il y a des miracles. Mais je ne sais pas au juste si les gens distinguent entre ce qui est miracle et ce qui ne l’est pas. Il ne fait pas de doute que de nombreux événements signalés comme miracles n’en étaient pas du tout. Il y a probablement aussi de nombreux miracles que personne n’a reconnus comme tels lorsqu’ils se sont produits.

— Et moi, Quim ?

— Et toi, quoi ?

— Pas de miracle pour moi ?

Quim baissa la tête et tira sur l’herbe courte devant lui. C’était l’attitude qu’il prenait, quand il était enfant, pour éviter de répondre aux questions gênantes. C’était ainsi qu’il réagissait quand leur père supposé, Marcão, sombrait dans la violence éthylique.

— Qu’est-ce qu’il y a, Quim ? Les miracles, c’est pour les autres ?

— Une part du miracle réside dans le fait que nul ne sait pourquoi il se produit.

— Tu es malin comme un renard, Quim.

— Tu veux savoir pourquoi tu n’as pas eu de guérison miraculeuse ? dit Quim en s’empourprant. C’est parce que tu n’as pas la foi.

— Et l’histoire de l’homme qui disait : « Oui, Seigneur, je crois – pardonne mon incroyance » ?

— Es-tu cet homme ? As-tu déjà demandé la guérison ?

— Je la demande maintenant, dit Miro.

Des larmes involontaires lui vinrent aux yeux.

— Mon Dieu ! murmura-t-il. Comme j’ai honte !

— Honte de quoi ? demanda Quim. D’avoir demandé l’aide de Dieu ? De pleurer devant ton frère ? De tes péchés ? De tes doutes ?

Miro secoua la tête. Il ne savait pas. Toutes ces questions étaient trop compliquées. Puis il se rendit compte qu’il connaissait la réponse. Il écarta les bras et dit :

— Honte de ce corps.

Quim tendit les bras, le prit par les épaules, l’attira vers lui et laissa glisser ses mains le long des bras de Miro jusqu’à ce qu’elles lui tiennent les poignets.

— Voici mon corps qui vous est donné, leur a-t-il dit. Comme tu as donné ton corps pour les pequeninos. Pour les Petits.

— D’accord, Quim, mais il a récupéré son corps, l’autre, pas vrai ?

— Il est mort, aussi.

— C’est comme ça que je vais guérir ? En trouvant un moyen de mourir ?

— Fais pas l’imbécile, dit Quim. Le Christ ne s’est pas tué. Il a été trahi par Judas.

— Et tous ces gens, explosa Miro, qui se font guérir leurs rhumes de cerveau, qui voient leurs migraines disparaître comme par miracle !… Est-ce que tu es en train de me dire qu’ils méritent plus le secours de Dieu que moi ?

— Ce n’est peut-être pas fondé sur ce que tu mérites. Peut-être que c’est fondé sur ce dont tu as besoin.

Miro se jeta sur son frère et saisit le devant de l’habit de Quim dans ses doigts à demi paralysés.

— J’ai besoin de retrouver mon corps !

— Peut-être, dit Quim.

— Peut-être ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Faux jeton, trouduc, arrête un peu tes singeries !

— Je veux dire, fit Quim sans hausser le ton, que, s’il est certainement vrai que tu désires retrouver ton corps, il se peut que Dieu, dans sa grande sagesse, sache que, pour que tu deviennes le meilleur des hommes, tu as véritablement besoin de rester infirme un certain temps.

— Combien de temps ?

— Assurément, pas plus que le reste de ta vie.

Miro poussa un grognement de dégoût et lâcha la soutane de Quim.

— Moins que ça, peut-être, dit Quim. Je l’espère.