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Il fut surpris de constater que l’assistance comprenait aussi Ouanda Saavedra, Andrew Wiggin et la moitié de la propre famille de Quim. La présence de sa mère et d’Ela était justifiée, si la réunion était convoquée pour discuter des mesures à prendre envers les pequeninos hérétiques. Mais Quara et Grego n’étaient pas à leur place ici. Il n’y avait pas de raison qu’ils prennent part à une discussion sérieuse. Ils étaient trop jeunes, trop mal informés, trop impulsifs. Il avait lui-même constaté qu’ils se querellaient encore comme des petits enfants. Ils n’étaient pas aussi mûrs qu’Ela, qui était capable de faire taire ses sentiments personnels dans l’intérêt de la science. Bien sûr, Quim avait quelquefois peur qu’Ela n’y arrive que trop bien, au détriment de son propre bien-être – mais, avec Quara et Grego, il n’avait pas de souci à se faire sur ce point.

Surtout avec Quara. D’après ce qu’avait dit Fureteur, toute cette histoire d’hérésie avait démarré lorsque Quara avait informé les pequeninos des diverses mesures d’urgence envisagées pour contenir le virus de la descolada. Les hérétiques n’auraient pas trouvé autant de partisans dans autant de forêts si les pequeninos n’avaient pas redouté que les humains ne libèrent quelque antivirus ou n’empoisonnent Lusitania avec une substance chimique qui anéantirait la descolada et, avec elle, les pequeninos eux-mêmes. Le fait que les humains puissent aller jusqu’à envisager l’extermination indirecte des pequeninos donnait l’impression que les pequeninos ne feraient que riposter en envisageant l’extermination de l’humanité.

Tout ça parce que Quara ne savait pas se taire. Et voilà qu’elle participait à une réunion où des décisions allaient être prises. Pourquoi ? Quelle section de la communauté représentait-elle ? Les gens s’imaginaient-ils que la politique du gouvernement ou de l’Eglise était désormais du ressort de la famille Ribeira ? Certes, Olhado et Miro étaient absents, mais cela ne signifiait rien : parce qu’ils étaient tous les deux infirmes, les autres membres de la famille les traitaient inconsciemment comme des enfants, alors que Quim savait très bien que ni l’un ni l’autre ne méritaient d’être écartés avec si peu d’égards.

Mais Quim était patient. Il pouvait attendre. Il pouvait écouter. Il pouvait les laisser parler tout leur content. Ensuite, il ferait quelque chose qui plairait à la fois à Dieu et à l’évêque. Bien sûr, si c’était impossible, plaire à Dieu serait bien suffisant.

— L’idée de cette réunion n’est pas de moi, dit le maire Kovano.

Un brave homme. Quim le savait bien. Meilleur maire que ne le croyaient la plupart des habitants de Lusitania. S’ils le réélisaient toujours, c’était parce qu’il avait un côté grand-père et qu’il faisait de gros efforts pour aider les individus et les familles en difficulté. Les gens ne se préoccupaient pas trop de savoir si sa politique était bonne elle aussi – c’était trop abstrait pour eux. Mais il se trouvait qu’il avait autant de sagesse que d’habileté politicienne. Combinaison rare que Quim appréciait. Peut-être que Dieu savait que nous allions traverser des temps difficiles, et il nous a donné un chef capable de nous faire surmonter ces épreuves sans trop souffrir.

— Mais je suis heureux de vous avoir tous ici. Les relations entre piggies et humains sont plus tendues qu’elles ne l’ont jamais été – du moins depuis que le Porte-Parole est arrivé ici et nous a aidés à les comprendre.

Wiggin secoua la tête, mais tout le monde savait quel rôle il avait joué dans ces événements et il ne lui servait à rien de le nier. Quim lui-même avait été obligé d’avouer, à la fin, que l’humaniste infidèle avait au bout du compte fait de bonnes choses sur Lusitania. Il y avait longtemps que Quim avait abandonné la haine profonde qu’il nourrissait envers le Porte-Parole des Morts ; et, de fait, il lui arrivait de se demander si lui, le missionnaire, n’était pas la seule personne dans la famille qui comprit vraiment ce que Wiggin avait accompli. Seul un évangéliste peut comprendre un autre évangéliste.

— Bien entendu, une part non négligeable de nos soucis vient de la mauvaise conduite de deux jeunes écervelés extrêmement préoccupants, que nous avons conviés à cette réunion afin qu’ils puissent voir quelques-unes des dangereuses conséquences de leur comportement stupide et obstiné.

Quim faillit éclater de rire. Kovano avait bien sûr dit tout cela d’un ton si mesuré, si aimable, qu’il fallut un moment à Grego et à Quara pour comprendre qu’ils venaient de se faire sermonner. Mais Quim comprit tout de suite. Je n’aurais pas dû douter de toi, Kovano : tu n’aurais jamais amené des gens inutiles dans une réunion.

— Si je comprends bien, dit le maire, il y a chez les piggies un mouvement tendant à vouloir lancer un vaisseau interstellaire pour contaminer délibérément le reste de l’humanité avec la descolada. Et, grâce à la collaboration de la jeune perruche ici présente, de nombreuses forêts s’intéressent à cette idée.

— Si vous vous attendez à ce que je fasse des excuses… commença Quara.

— Je m’attends que tu la fermes. Dix minutes. Si c’est pas trop te demander.

Kovano était furieux pour de bon. Quara fit de grands yeux et se raidit sur sa chaise.

— L’autre moitié de notre problème est un jeune physicien qui, malheureusement, a gardé une certaine convivialité, dit Kovano en levant un sourcil à l’adresse de Grego. Si seulement tu étais devenu un intellectuel hautain. À la place, tu sembles avoir cultivé l’amitié des plus stupides et des plus violents Lusitaniens.

— De gens qui ne sont pas d’accord avec vous, vous voulez dire ?

— De gens qui oublient que cette planète appartient aux pequeninos, dit Quara.

— Les planètes appartiennent aux gens qui ont besoin d’elles et savent en tirer quelque chose, dit Grego.

— Taisez-vous, les enfants, sinon vous allez être expulsés de cette réunion et les adultes décideront tout seuls.

— Ne me parlez pas sur ce ton ! dit Grego en fusillant Kovano du regard.

— Je te parlerai comme il me plaira, dit Kovano. En ce qui me concerne, vous n’avez ni l’un ni l’autre respecté les obligations légales de confidentialité et je devrais vous mettre en prison tous les deux.

— Pour quel motif ?

— N’oubliez pas que je dispose de pouvoirs spéciaux pour faire face aux situations critiques. Tant que la situation reste critique, je n’ai pas de motifs à donner, vu ?

— Vous ne le ferez pas. Vous avez besoin de moi, dit Grego. Je suis le seul physicien digne de ce nom sur Lusitania.

— La physique ne nous servira pas à grand-chose si nous allons vers un affrontement avec les pequeninos.

— C’est la descolada que nous devons affronter, dit Grego.

— Nous perdons du temps, dit Novinha.

Quim regarda sa mère pour la première fois depuis le commencement de la réunion. Elle avait l’air d’avoir très peur. Cela faisait des années qu’il ne l’avait vue dans un état pareil.

— Nous sommes ici pour parler de la mission suicidaire de Quim, dit-elle.

— Père Estevão, dit l’évêque Peregrino, qui tenait à ce qu’on respecte la dignité des fonctions ecclésiastiques.

— C’est mon fils, dit Novinha. Je l’appelle comme je veux.

— Nous avons affaire à des gens drôlement susceptibles aujourd’hui, dit le maire Kovano.

La réunion était mal partie. Quim avait délibérément évité de donner à sa mère le moindre détail sur sa mission auprès des hérétiques, parce qu’il était sûr qu’elle se dresserait contre l’idée de le voir aller tout droit chez des piggies qui craignaient et détestaient ouvertement les humains. Enfant, elle avait perdu ses parents, tués par la descolada. Le xénologue Pipo était devenu son tuteur légal avant d’être le premier humain à être torturé à mort par les pequeninos. Novinha passa ensuite vingt ans à essayer d’empêcher son amant, Libo – fils de Pipo et nouveau xénologue en titre –, de subir le même sort. Elle alla même jusqu’à épouser un autre homme pour empêcher Libo d’avoir en tant qu’époux légitime le droit de consulter les fichiers informatiques personnels de sa femme, où elle pensait que se trouvait le secret qui avait amené les piggies à tuer Pipo. Et finalement, ce fut en pure perte. Libo fut tué, tout comme Pipo.