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Les frères faisaient cercle autour de l’embrasure, passionnés par la discussion.

Six jours durant s’échangèrent des arguments doctrinaires qu’aucun Père de l’Eglise n’aurait reniés à quelque époque que ce soit. On n’avait jamais abordé des problèmes d’une telle envergure depuis le concile de Nicée.

Ces arguments se transmirent de frère en frère, d’arbre en arbre, de forêt en forêt. Des comptes rendus du dialogue entre Planteguerre et le Père Estevão parvenaient toujours à Fureteur et à Humain dans la journée. Mais ces informations n’étaient pas complètes. Ce ne fut que le quatrième jour qu’ils comprirent que Quim était retenu prisonnier sans pouvoir toucher à la nourriture contenant l’inhibiteur de la descolada. Une expédition fut alors organisée sur-le-champ, avec Ender et Ouanda, Jakt, Lars et Varsam. Le maire Kovano avait choisi Ender et Ouanda parce qu’ils étaient bien connus et respectés chez les piggies, et Jakt avec son fils et son gendre parce qu’ils n’étaient pas natifs de Lusitania. Kovano n’avait pas osé envoyer de membres de la colonie – on ne savait pas ce qui se passerait si l’affaire s’ébruitait. Ils prirent tous les cinq le véhicule le plus rapide et se laissèrent guider par les instructions que leur donna Fureteur. Le voyage durerait trois jours.

Le sixième jour, le dialogue prit fin, parce que la descolada avait envahi si complètement le corps de Quim a qu’il n’avait plus la force de parler et qu’il était souvent ans un tel état de délire fébrile qu’il était incapable de dire quoi que ce soit d’intelligible quand il pouvait parler.

Le septième jour, il regarda par l’embrasure, leva les yeux par-dessus la tête des frères qui étaient encore là à observer.

— Je vois le Sauveur assis à la droite de Dieu, murmura-t-il.

Puis il sourit.

Une heure plus tard, il était mort. Planteguerre s’en aperçut et annonça triomphalement la nouvelle aux autres frères.

— Le Saint-Esprit a jugé, et le Père Estevão a été rejeté !

Certains frères se réjouirent. Mais ils étaient moins nombreux que Planteguerre ne l’avait escompté.

Ender et son groupe arrivèrent à la tombée de la nuit. Il n’était pas question de les capturer et de les mettre à l’épreuve : ils étaient trop nombreux et, de toute façon, les frères n’étaient pas unanimes. Ils se présentèrent bientôt devant le tronc fendu de Planteguerre et découvrirent le visage hagard, ravagé par le mal, du Père Estevão, à peine visible dans l’ombre.

— Ouvre-toi et laisse mon fils venir à moi, dit Ender.

La fente s’élargit. Ender passa la main par l’ouverture et retira le corps du Père Estevão. Il était si léger sous ses vêtements qu’Ender crut un instant qu’il devait porter un peu de son propre poids, qu’il devait marcher. Mais il ne marchait pas. Ender l’allongea sur le sol devant l’arbre.

Un frère tambourina sur le tronc de Planteguerre.

— Il doit effectivement te revenir, Porte-Parole des Morts, parce qu’il est mort. Le Saint-Esprit l’a consumé dans le second baptême.

— Tu as renié le serment, dit Ender. Tu as trahi la parole des arbres-pères.

— Nul n’a touché un cheveu de sa tête, dit Planteguerre.

— Crois-tu pouvoir tromper qui que ce soit avec tes mensonges ? dit Ender. Tout le monde sait qu’empêcher un moribond d’avoir accès au remède est un acte de violence aussi meurtrier qu’un coup de couteau en plein cœur. Son médicament est là. Vous auriez pu le lui donner à tout moment.

— C’est Planteguerre, dit l’un des frères.

Ender se tourna vers eux.

— Vous avez aidé Planteguerre. Ne croyez pas que vous puissiez le désigner comme unique coupable. Puisse aucun de vous ne passer dans la troisième vie ! Et quant à toi, Planteguerre, que nulle mère ne monte jamais sur ton écorce !

— Nul humain ne peut décider en ces matières, dit Planteguerre.

— Tu as décidé toi-même, lorsque tu as cru pouvoir commettre un meurtre pour faire triompher tes arguments, dit Ender. Et vous, mes frères, vous avez décidé en n’arrêtant pas Planteguerre.

— Tu n’es pas notre juge ! cria l’un des frères.

— Je le suis, dit Ender. Comme tous les autres habitants de Lusitania, humains et arbres-pères, frères et épouses.

Ils transportèrent le corps de Quim jusqu’au véhicule. Jakt, Ouanda et Ender l’accompagnèrent. Lars et Varsam prirent le glisseur que Quim avait utilisé. Il fallut quelques minutes à Ender pour donner à Jane un message à transmettre à Miro qui attendait dans la colonie. Il n’y avait pas de raison que Novinha attende trois jours pour apprendre que son fils était mort dans les mains des pequeninos. Et elle ne voudrait pas l’apprendre de la bouche d’Ender, c’était certain. Ender ne pouvait même pas prévoir s’il allait ou non retrouver une épouse à son retour. La seule certitude était que Novinha n’aurait plus son fils Estevão.

— Parleras-tu sa mort ? demanda Jakt tandis que le glisseur survolait le capim.

Il avait une fois entendu Ender parler pour les morts sur Trondheim.

— Non, dit Ender. Je ne le crois pas.

— Parce que c’est un prêtre ? demanda Jakt.

— J’ai déjà parlé pour des prêtres, dit Ender. Non, je ne parlerai pas la mort de Quim parce que je n’ai pas de raison de le faire. Quim a toujours été exactement ce qu’il semblait être, et il est mort exactement comme il l’aurait voulu : en servant Dieu et en prêchant aux petits frères. Que puis-je ajouter à cette histoire ? Il l’a lui-même achevée.

LE JADE DE MAÎTRE HO

« Et voilà, la tuerie commence. »

« C’est vous qui avez commencé, pas les humains. Amusant, non ? »

« C’était aussi vous qui aviez commencé, quand il y a eu la guerre entre vous et les humains. »

« C’est nous qui avions commencé, mais ce sont eux qui ont terminé. »

« Comment font-ils, ces humains ? À chaque fois, ils commencent innocemment, et pourtant c’est toujours eux qui finissent par avoir le plus de sang sur les mains. »

Wang-mu regardait les mots et les chiffres qui défilaient dans la zone d’affichage au-dessus du terminal de sa maîtresse. Qing-jao, endormie, respirait doucement sur sa natte, juste à côté. Wang-mu avait dormi un peu elle aussi, mais quelque chose l’avait réveillée. Un cri, pas très loin d’ici ; un cri de douleur, peut-être. Wang-mu l’avait perçu dans son rêve, mais en s’éveillant elle en avait entendu l’écho. Ce n’était pas la voix de Qing-jao. Une voix d’homme, peut-être, mais une voix aiguë. Un gémissement. Un son qui lui fit penser à la mort.

Mais elle ne se leva pas pour aller voir ce qui se passait. Elle n’avait pas qualité pour le faire. Son devoir était de rester en permanence auprès de sa maîtresse, à moins que sa maîtresse ne la renvoie. S’il fallait que Qing-jao soit informée de la raison de ce cri, une autre servante viendrait réveiller Wang-mu, qui alors seulement réveillerait sa maîtresse – car une fois qu’une femme avait une servante secrète, et tant qu’elle n’avait pas de mari, seules les mains de la servante secrète pouvaient la toucher sans y avoir été invitées.

Wang-mu ne se rendormit donc pas, attendant de voir si on viendrait dire à Qing-jao pourquoi un homme avait poussé ce gémissement – aussi angoissé et assez près pour être entendu dans cette chambre sur cour de la maison de Han Fei-tzu. Pendant qu’elle attendait, son regard fut attiré par l’affichage qui défilait au fur et à mesure que l’ordinateur terminait les différentes recherches programmées par Qing-jao.

Le défilement cessa. Un problème ? Wang-mu se hissa sur un bras, ce qui la rapprocha suffisamment pour lire les tout derniers mots affichés. Cette recherche était terminée. Et, cette fois-ci, le compte rendu n’était pas l’un des brefs messages d’échec : non trouvé, information non disponible, pas de conclusion. Cette fois, le message était un compte rendu.