Выбрать главу

Wang-mu la suivit dans le couloir, puis l’escalier, et elles se retrouvèrent à genoux sur la natte devant la chaise de Han Fei-tzu.

Qing-jao attendit que son père parle le premier, mais il n’en fit rien. Pourtant, ses mains tremblaient. Elle ne l’avait jamais vu aussi anxieux.

— Père, dit Qing-jao, pourquoi m’as-tu appelée ?

— La chose est si terrible, dit-il en secouant la tête, et si étonnante que je ne sais pas si je dois hurler de joie ou me tuer.

Han Fei-tzu parlait d’une voix enrouée qu’il ne maîtrisait pas. Pas une seule fois depuis la mort de son épouse ni depuis qu’il avait tenu Qing-jao dans ses bras après l’épreuve attestant de sa qualité d’élue, pas une seule fois elle ne l’avait entendu parler avec tant d’émotion.

— Raconte-moi, père, ensuite je te raconterai. J’ai trouvé Démosthène, et j’ai peut-être trouvé la clef de la disparition de la flotte de Lusitania.

— En ce jour chéri entre les jours, dit Han Fei-tzu en écarquillant les yeux, aurais-tu résolu ce problème ?

— Si l’ennemi du Congrès est ce que je crois, il peut être détruit. Mais ce sera très difficile. Dis-moi ce que tu as découvert !

— Non, toi d’abord ! Comme c’est bizarre, deux découvertes le même jour ! Allez, dis-moi tout !

— C’est Wang-mu qui m’a mise sur la voie. Elle posait des questions sur… oh ! sur la manière dont fonctionnent les ordinateurs, et tout à coup je me suis rendu compte que s’il y avait dans chaque ordinateur d’ansible un programme caché assez intelligent et puissant pour se déplacer sans cesse afin d’échapper à la détection, alors ce programme secret pourrait intercepter toutes les communications par ansible. La flotte est peut-être encore là, elle envoie peut-être toujours des messages, mais nous ne les recevons pas et nous n’en connaissons même pas l’existence, à cause de programmes de ce genre.

— Dans les ordinateurs de tous les ansibles, vraiment ? Et qui fonctionnerait à la perfection tout le temps ? dit Han Fei-tzu, évidemment sceptique, car dans son impatience Qing-jao lui avait raconté l’histoire à l’envers.

— Oui, mais laisse-moi t’expliquer comment une chose aussi impossible peut être possible. Vois-tu, j’ai trouvé Démosthène.

Han Fei-tzu écouta Qing-jao lui raconter toute la vérité sur Valentine Wiggin, qui écrivait depuis tant d’années sous le pseudonyme de Démosthène.

— Elle est manifestement capable, dit Qing-jao, d’émettre par ansible des messages secrets, sinon ses écrits ne pourraient être diffusés sur toutes les planètes à partir d’un vaisseau en route dans l’espace. Seuls les militaires sont censés pouvoir communiquer avec des vaisseaux circulant à des vitesses quasi luminiques – elle doit, soit avoir infiltré les ordinateurs militaires, soit avoir mis en service un système d’une puissance similaire. Et si elle peut faire tout cela, s’il existe un programme lui permettant de le faire, alors ce même programme aurait manifestement le pouvoir d’intercepter les messages émanant de la flotte.

— D’accord, deux et deux font quatre, mais d’abord comment cette femme aurait-elle pu implanter un programme dans chaque ordinateur d’ansible ?

— Parce qu’elle l’a fait tout au début ! Comme quoi, elle est drôlement vieille. En fait, si l’hégémon Locke était son frère, peut-être que… Mais non, c’est lui qui l’a fait ! Lorsque les premières flottes de colonisation sont parties, avec à leur bord les doubles triades philotiques qui devaient être le cœur du premier ansible de chaque colonie, il aurait pu envoyer ce programme avec.

Le père de Qing-jao comprit tout de suite ; évidemment.

— En tant qu’hégémon, dit-il, il avait les moyens de le faire, et des raisons de le faire : avec ce programme secret à sa disposition, il pouvait, en cas de rébellion ou de coup d’Etat, continuer à tenir dans ses mains les fils qui reliaient les planètes entre elles.

— Et lorsqu’il est mort, Démosthène – sa sœur – était la seule à connaître le secret ! Prodigieux, n’est-ce pas ? Et nous avons découvert la vérité. Tout ce qu’il nous reste à faire est d’effacer des mémoires tous ces programmes !

— Qui seraient instantanément reconstitués par ansible à partir d’exemplaires existant sur d’autres planètes, dit Han Fei-tzu. La chose a dû se produire mille fois au fil des siècles – un ordinateur tombe en panne et le programme secret se reconstitue sur le nouvel ordinateur.

— Alors, il nous faut déconnecter tous les ansibles au même moment, dit Qing-jao, et avoir, sur chaque planète, prêt à prendre le relais, un ordinateur vierge qui n’a jamais été contaminé par un quelconque contact avec le programme secret. Nous arrêtons tous les ansibles en même temps, déconnectons tous les ordinateurs en service, mettons en place les nouveaux ordinateurs et réactivons les ansibles. Le programme secret ne pourra pas se reconstituer parce qu’il ne résidera dans aucun des nouveaux ordinateurs. Le pouvoir du Congrès ne sera plus concurrencé par aucune ingérence extérieure !

— Vous n’y arriverez pas, dit Wang-mu.

Qing-jao jeta un regard scandalisé à sa servante secrète. Comment la fille pouvait-elle être mal élevée au point d’interrompre une conversation entre deux élus des dieux, et ce, pour les contredire !

Mais son père se montra tolérant, comme il l’était toujours, même envers les gens qui passaient toutes les bornes du respect et de la décence. Il faut que j’apprenne à lui ressembler, se dit Qing-jao. Je dois permettre aux domestiques de garder leur dignité, même si leurs actions leur interdisent de mériter cet égard.

— Si Wang-mu, dit Han Fei-tzu, pourquoi n’y arriverions-nous pas ?

— Parce que, pour déconnecter tous les ansibles au même moment, il vous faudrait envoyer des messages par ansible ! dit Wang-mu. Pourquoi voudriez-vous que le programme vous permette d’envoyer des messages qui conduiraient à sa propre destruction ?

Qing-jao suivit l’exemple paternel et lui expliqua patiemment :

— Ce n’est qu’un programme – il ne connaît pas le contenu des messages. Celui ou celle qui dirige le programme lui a ordonné d’occulter tous les messages émanant de la flotte, et d’effacer les traces de tous les messages émanant de Démosthène. Le programme ne lit certainement pas les messages pour décider au vu de leur contenu s’il doit ou non les transmettre.

— Qu’est-ce que tu en sais ? demanda Wang-mu.

— Parce qu’un programme pareil devrait être… intelligent !

— Mais il faudrait qu’il soit intelligent de toute façon, dit Wang-mu. Il faut qu’il soit capable de se cacher de tout autre programme susceptible de le détecter. Il faut qu’il soit capable de changer sans cesse de résidence en mémoire pour dissimuler son existence. Comment pourrait-il savoir de quels programmes il doit se cacher, à moins de pouvoir les lire et les interpréter ? Il se pourrait même qu’il soit assez intelligent pour réécrire d’autres programmes afin qu’ils n’aillent pas regarder là où il se cache.

Qing-jao songea immédiatement à plusieurs raisons pour lesquelles un programme assez intelligent pour lire d’autres programmes ne le serait pas assez pour comprendre les langues humaines. Mais, comme son père était présent, c’était à lui de répondre à Wang-mu. Qing-jao attendit.

— S’il existe un tel programme, dit son père, il faut vraiment qu’il soit très intelligent.

Qing-jao était scandalisée. Son père prenait Wang-mu au sérieux. Comme si les idées de Wang-mu n’étaient pas celles d’une jeune fille naïve.

— Il se pourrait, dit-il, qu’il soit assez intelligent pour non seulement intercepter des messages, mais aussi en envoyer. Mais non, dit-il en secouant la tête, le message venait d’une amie. Une véritable amie qui parlait de choses que personne d’autre ne pouvait connaître. C’était un message authentique.