— Henry Emerald, fait Jon.
— Qu’est-ce qu’il a ? » Erben regarde les étoiles.
« Tu le connais.
— Bien sûr. Je ne devrais pas ? Il fait partie des deux cents hommes les plus riches de ce pays. Il a des parts dans de nombreuses sociétés dans les secteurs de l’énergie, de l’informatique, et même de la sécurité. Il est un soutien de taille de notre Président. Pourquoi tu m’en parles ?
— Tu m’as dit récemment que nous devons prendre le contrôle de Carl Montik. Pour avoir ainsi la mainmise sur Freemee.
— Et quel est le rapport avec Emerald ?
— Il a des parts dans la société : 4 %.
— Il n’a donc qu’une faible influence sur Montik.
— Officiellement. » Jon boit une gorgée de brandy. « On a étudié plus précisément la répartition des participations. Freemee est détenue par plus de quarante investisseurs. La plupart sont dans des paradis fiscaux et on ne sait que peu de choses concernant leurs fortunes.
— Rien d’extraordinaire. » Le regard d’Erben suit la queue d’une étoile filante.
« Nous avons fouiné un peu. Avec nos moyens.
— Je ne veux pas savoir lesquels. Qu’est-ce que vous avez trouvé ?
— Cinquante et un pour cent sont détenus par les fondateurs ou leurs héritiers.
— Héritiers ?
— L’un des fondateurs est mort voilà quelques mois dans un accident d’auto. Il a laissé une veuve et deux enfants.
— Et les 49 % restants ? Moins les 4 % que détient Emerald.
— Ils lui appartiennent aussi. » Erben achève d’enlever l’humidité sur son verre.
« Emerald n’a-t-il pas de nombreux contrats avec le gouvernement ? EmerSec, son entreprise de sécurité, reçoit des milliards de notre part, non ?
— Yep. Un partenaire sur lequel on peut compter. Depuis des décennies. »
Erben boit une gorgée.
Lorsqu’il repose son verre sur la table en fer forgé, les glaçons s’entrechoquent.
Deux heures et demie du matin ! Cyn devrait dormir depuis belle lurette. Elle rumine les événements des dernières vingt-quatre heures, ne cesse d’écrire de nouvelles notes.
Pour se détendre, elle regarde son profil sur le site de rencontre. Trois nouveaux messages, mais personne susceptible de lui plaire. Soupir. Chander lui plairait, bien qu’il soit plus jeune. Ou peut-être précisément parce qu’il est plus jeune. Une petite aventure ne lui ferait pas de mal. La dernière remonte à trop longtemps.
Elle fait des recherches sur lui sur Internet. Les résultats confirment ce qu’Anthony a dit de lui. Elle ne trouve rien sur sa vie privée. A-t-il quelqu’un ? Elle consulte ses profils sur les réseaux sociaux. Tout est verrouillé.
Et si elle demandait à l’une de ces Love Act Apps à propos desquelles sa fille ne tarit pas d’éloges ?
Elle prend ses lunettes et fait apparaître la liste conseillée par Freemee. Trente jours gratuits. La première application ne porte pas de noms pompeux tels « Lovematch » ou « Datequeen » mais s’appelle sobrement « Peggy ». Comme s’il s’agissait de sa meilleure copine.
Elle hésite. Qu’est-ce qu’il lui prend ? Mais elle voudrait tout de même bien savoir comment fonctionnent ces gadgets.
Elle se jure, une nouvelle fois, de ne pas acheter l’application après son mois d’essai, puis active Peggy.
Étrange impression.
Voici qu’apparaît dans son étroit salon une femme transparente de son âge, mince, les cheveux blonds, dans le genre d’une séduisante vendeuse pour une marque de haute couture.
Salut Cynthia, puis-je m’asseoir à tes côtés, sur le canapé, ou dans le fauteuil ?
Le timbre de sa voix fait penser à celui d’un GPS.
Cyn ne sait que dire, non seulement parce que l’animation est parfaite, mais parce que l’ectoplasme se repère dans son propre salon. Ça signifie que ses lunettes doivent filmer les lieux et les incorporer en temps réel dans le logiciel. Elle ferait bien de tout déconnecter sur-le-champ.
Ravie de faire ta connaissance.
Qu’est-ce que ça veut dire ? « Je t’en prie, assieds-toi », parvient à articuler Cyn en lui désignant le fauteuil. Hors de question qu’elle s’installe sur le canapé ! Elle se surprend à considérer l’hologramme comme s’il s’agissait d’une personne bien réelle. Les cheveux. Les traits du visage. Le corps. Ses chaussures.
En quoi puis-je t’aider, Cynthia ?
Cyn doit faire des efforts pour se rappeler qu’elle est en train de converser avec un simple programme. Cependant, elle préfère confier ses problèmes d’adolescente prépubère à un fantôme plutôt qu’à une personne de chair et d’os.
Tu fais des recherches pour un article, après tout. Voyons voir ce que cette Peggy a dans le ventre.
« Chander Argawal », se lance-t-elle, sans trop y réfléchir. « Il me plaît. Peut-on faire quelque chose ? »
Ce Chander ?
Peggy projette une photo du jeune homme dans la pièce. « Oui. »
Un homme intéressant. Il porte bien. Je te comprends, Cynthia.
Tout ça lui est plutôt désagréable. Cette voix de machine ne donne pas l’impression de parler à une vraie personne. Détends-toi. Prends ça pour un jeu.
Mes conseils seront d’autant meilleurs que j’en connaîtrai plus sur toi. Les facteurs physiques occupent une place importante dans ce genre de cas. Afin de mieux pouvoir t’aiguiller, un appareil de mesure corporelle te serait d’une grande aide. Souhaites-tu en utiliser un ?
Elle lui présente une liste. Y figure la smartwatch qui se trouve dans son sac à main. Elle hésite, s’arrache du canapé en soupirant, se rend dans le vestibule et prend la montre dans son sac. Des menottes à données, se dit Cyn en regardant le petit écran. Mais sa curiosité l’emporte. Que pourrait-il bien se passer ! Et puis, elle peut l’ôter quand bon lui semble. Qu’importe. Quitte à se prêter au jeu, autant le faire complètement. Ce n’est qu’une blague. Sans compter qu’elle a besoin de plus d’informations. Il faut qu’elle y passe. Elle met la montre en retournant dans le salon.
Ses lunettes lui demandent si l’objet connecté doit enregistrer ses données et les stocker sur Freemee. Elle accepte et, sur-le-champ, son pouls, ses mouvements, ses pas, la résistance de sa peau et d’autres valeurs encore, dont Cyn ignorait jusqu’à l’existence, s’affichent sur son compte. Que tout cela est désagréable !
Une notification lui annonce que la valeur de ses données a augmenté de 21 %.
Génial ! C’est allé vite ! Accorde-moi quelques secondes… Bien. Que puis-je te dire à propos de toi et Chander ? Il a douze ans de moins.
Ça, je le sais bien. Et puis, qu’est-ce qu’une maudite machine y connaît en relations amoureuses ?
Par ailleurs, tu sembles plus attirée par lui qu’il ne l’est par toi.
Afin que Cyn puisse plus aisément comprendre cette information désagréable, bien que prévisible, Peggy fait apparaître deux reproductions miniatures : elle et Chander. Lui, en bleu pâle, se trouve à gauche de son champ de vision, elle, en rouge incandescent, à l’opposé.
Les chances que Chander puisse te désirer sont de 20 %. Mais…
Oui ! C’est ça ! Mais !
Veux-tu connaître les statistiques ? Ou que je te donne directement des solutions ?