Quelle bonne copine ! Elle ne peut s’empêcher de sourire. Pas de lieux communs sur les hommes en général, ou sur tel homme en particulier. Mais se retrousser les manches et trouver des solutions.
Elle veut tout de même tester davantage Peggy.
Après tout, ce n’est que la version d’essai.
« Parle-moi de mes chances avec Chander. Mais fais court, s’il te plaît. »
Les raisons et les causes ne me sont pas connues. Je travaille à partir de statistiques. Mes connaissances reposent uniquement sur la comparaison de nombreuses données d’autres personnes. Je ne sais pas pourquoi les choses sont comme elles sont, je sais seulement qu’elles sont ainsi.
« Alors donne-moi un résumé de tes connaissances. »
Dans votre cas, la différence d’âge est l’un des obstacles les moins insurmontables. Plus problématiques sont vos importantes différences sociales.
Les deux miniatures s’écartent un peu plus et Cyn se demande ce qu’elle entend par là. Peggy devrait travailler un peu la précision de son lexique.
Par ailleurs, vos différences culturelles jouent également en votre défaveur, si l’on compare avec d’autres paires semblables.
Différences culturelles. Sans parler de « paires ». Peggy fait-elle ça intentionnellement ?
Cependant, il trouve attirantes les femmes intelligentes.
« Merci pour le compliment. »
Sans compter les données de certaines valeurs physiques. Il ne peut pas te sentir, au sens strict. Mais tu peux transformer ton odeur, tout du moins partiellement.
Cyn n’en croit pas ses oreilles.
Ses anciennes copines étaient toutes différentes de toi. Grandes, minces, féminines et blondes.
Sa jalousie est piquée au vif. Ce ne sont que des anciennes copines, se rassure-t-elle. Que Peggy en déduise que cet homme n’est pas fait pour elle la provoque. Le regard que lui a adressé Chander dans la salle de réunion a tout lieu de lui laisser penser le contraire.
Je vais te montrer que tu te trompes ! Tu n’es qu’un programme ! Que connais-tu des sentiments ?
« Que me conseilles-tu alors ? »
Mange moins de viande, voire plus du tout, et plus de fruits et légumes.
Ça doit changer les facteurs biologiques. Autrement dit : sentir. Pas si bête. Pas bête du tout, même. Ou complètement fou ?
Peggy a d’autres conseils en stock. Cyn les écoute. Elle doit devenir végétarienne, se démener au yoga, assister à des concerts de musique classique, et essayer quelques jeux de rôle. L’hologramme lui conseille également certains savons et parfums. Qu’elle suive ces conseils, alors ses chances d’avoir une aventure avec Chander atteindront les 51 %.
Peggy aimerait ajouter des préconisations en matière vestimentaire, mais elle manque de données sur la journaliste.
Si tu te filmais devant un miroir, ça me permettrait de t’aider.
« Hors de question ! »
Je respecte ton choix. On s’en tiendra donc là. Par ailleurs, les cicatrices que tu dissimules ne dérangent pas Chander.
Les images de l’accident assaillent Cyn. Flammes. Douleur. Des semaines à l’hôpital. La honte et la colère d’être estropiée.
Cyn n’en a rien dit à Freemee.
Comment Peggy est-elle au courant ? Le coup du saxophone, à la rigueur. Mais ça ! Creepiness factor. Et pour de bon.
Cyn souhaite tout arrêter. Éteindre tous les appareils, toutes les caméras de surveillance, tout ce qui fouine dans sa sphère privée. Elle sait pourtant que c’est impossible. Elle pourrait retirer sa montre. Se désinscrire de Freemee. À quoi bon ? Elle ne peut échapper à son quotidien épié et guetté. Elle ne peut que jouer le jeu…
Et se révéler plus intelligente aux moments décisifs.
ArchieT :
Coquets ! Nous ?
LotsofZs :
Tu prends la mouche ? ;-)
ArchieT :
Vous avez vu ce rédacteur en chef ? Et il parle de modestie — je vais lui montrer ce qu’est la coquetterie !
Jeudi
Le lendemain, lorsque Cyn, un peu fatiguée, pénètre dans la salle de rédaction, Jeff et Frances se jettent sur elle.
« Nous avons les premiers résultats de nos lecteurs ! » annonce Jeff, surexcité.
Ils se rendent ensemble dans la salle de réunion qu’Anthony a transformée en bureau pour Chander et en poste de commandement pour la traque.
« Bonjour », salue Chander, tout sourire, comme si elle était seule.
Ce type ne serait pas dérangé par mes cicatrices. Gary, ça l’a dérangé, lui.
Cyn porte les lunettes. Elle actionne Peggy tandis que Chander prend de ses nouvelles. Sa conseillère blonde se tient en retrait, sa voix arrive au cerveau de Cyn par des vibrations contre la mastoïde, une partie de l’os temporal, dont les cavités aériennes en communication avec la caisse du tympan jouent un rôle de résonateur. Peggy ne cesse de lui dispenser des conseils. Position. Mimique. Choix lexicaux. Cyn a opté pour le réglage le plus volubile. Elle peine ainsi à se concentrer sur les propos de son interlocuteur.
Un schizophrène doit ressentir ce genre de choses.
« Merci. Je vais bien », balbutie-t-elle, un peu outrée qu’il ne le lui ait pas demandé. « Je reviens tout de suite. »
Aux toilettes, elle change le réglage de Peggy afin qu’elle ne lui donne que des conseils dont les chances de succès sont au moins de 80 %.
À son retour, Chander, Jeff et Frances sont réunis devant un écran.
« Te revoici ! »
Mais quel sourire !
« Oui. Alors ? Qu’y a-t-il de si excitant ? »
Peggy intervient maintenant beaucoup moins, et ses conseils s’immiscent parfaitement dans le flot de pensées de la journaliste. Elle parvient ainsi aisément à se concentrer sur sa conversation avec Chander, entièrement absorbé par son travail.
« Les lecteurs ont identifié le logiciel au moyen duquel Zero fait ses vidéos, 3DWhizz, un programme de l’entreprise américaine 3D Wonder Vision. Là, tu vois une contribution de checkmax98 qui donne même quelques exemples pour se justifier. »
Jeff ouvre la contribution assortie de nombreuses réponses.
« Au cours de la discussion, d’autres participants confirment ce qu’il avance et apportent d’autres exemples.
— Combien de personnes utilisent-elles ce programme ? s’enquiert Cyn.
— Des millions, répond Chander.
— Ça en exclut quelques milliards », ironise Cyn.
Prends son travail au sérieux !
Waouh ! Peggy peut même comprendre les intonations !
Elle n’a pas tort. Ses sarcasmes lui ont souvent valu de manquer de belles occasions.
« Peut-être peux-tu en tirer quelques hypothèses, non ? dit-elle à Chander.
— En relation avec la langue de Zero, oui. Elle est si pure qu’elle ne peut être qu’électronique. Quelqu’un doit dire ce texte. Ensuite, il est passé dans différents filtres. Ça signifie que celui ou ceux qui parlent maîtrisent parfaitement l’anglais.