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— Et les lecteurs peuvent confirmer ?

— On va voir. Peut-être pourrons-nous dénicher la liste des licences de 3DWhizz sur Internet si elle a été hackée par quelqu’un.

— Non, rien pour l’instant, observe Jeff. On va devoir chercher par nous-mêmes. Au travail ! »

Au cours des heures qui suivent, Cyn travaille sur son article consacré à ManRank, recherche les réactions à la première vidéo publiée il y a quatre mois, et étudie leurs évolutions. Tandis qu’au début les sempiternels critiques protestaient comme des beaux diables, pointant du doigt le naufrage de la civilisation, le programme a trouvé peu à peu ses aficionados parmi les utilisateurs. De leur point de vue, il permet d’apporter de l’ordre dans un monde chaotique et multiple. Il y a certaines choses, cependant, que Cyn ne parvient pas à s’expliquer. L’occasion rêvée de s’entretenir avec Chander. Elle consulte Peggy.

Chander aime parler d’Internet et d’évolutions technologiques. Ses autres domaines d’intérêt sont la cuisine et le sport, en particulier le kalaripayat, un art martial indien.

Bon à savoir. Même si l’attrait d’une conversation avec une personne de l’autre sexe réside, selon elle, dans le fait d’ignorer d’abord les passions de l’autre.

Chander est toujours dans la salle de réunion. Son regard semble fou derrière ses lunettes. Il tape sur sa tablette.

« T’as un peu de temps ? »

Il l’invite à s’asseoir à ses côtés.

« Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je ne peux m’empêcher de penser à un passage d’une des vidéos de Zero. Comment puis-je être certaine que les résultats de Google et compagnie reflètent vraiment ce que je recherche ? Et non pas ce que le moteur de recherche veut me montrer ? Comment savoir, par exemple, que les recommandations des Act Apps sont bonnes pour moi ? Et non pas pour leurs programmeurs ?

— La réponse est simple : tu ne peux en être certaine tant que tu ne connais pas les algorithmes. »

Elle hoche la tête. C’est bien ce qu’elle pensait.

« On reproche constamment aux moteurs de recherche de manipuler les résultats, explique Chander. L’Union européenne menace même Google d’une amende de plusieurs milliards d’euros. Mais la question est davantage de savoir où débute la manipulation. »

Cyn le gratifie d’un regard d’incompréhension afin de l’inciter à en dire plus.

« À la base de chaque software, se trouvent les hypothèses de leurs programmeurs quant au fonctionnement du monde. Ces hypothèses transparaissent dans le programme. Par exemple, que l’on est partisan de la théorie des jeux coopératifs ou de celle des non coopératifs. Ça signifie que le programme retransmet la vision du monde de ceux qui l’écrivent. Un programme donné écrit par d’autres personnes, aux vues différentes, serait un autre programme, aboutissant à d’autres résultats, même s’il ne s’agirait que de nuances. Est-ce déjà de la manipulation ? »

En guise de réponse, Cyn se contente d’un froncement de sourcils.

« En outre, les moteurs de recherche individualisent la recherche. Si toi ou moi faisons une recherche sur Zero ou quoi que ce soit dans Google, alors nous obtiendrons des résultats tout à fait différents. Est-ce de la manipulation ? D’après quels critères les moteurs de recherche procèdent-ils à cette individualisation ? Ils influencent consciemment les résultats. En partie, en tout cas. Comme lorsqu’il s’agit de pornographie ou de démagogie. Ou lorsqu’ils vendent leurs services dans des dictatures ou des monarchies d’Extrême-Orient. Ils retirent par exemple les résultats qui peuvent être considérés comme des insultes envers le pouvoir parce que la loi les punit. Il y a déjà eu plusieurs exemples. En somme, il n’y a pas de moteur de recherche impartial. C’est la même chose pour la plupart des résultats et des préconisations d’Internet. On ne parle plus de liberté d’information mais de filtrage de l’information. Rien n’est vraiment neutre. Pourquoi ? Internet n’est pas un nouveau monde, mais plutôt une extension de ce que nous connaissons déjà. De la même manière, on y ment, on trompe, on dissimule, on démasque, on met à nu, on manipule, on intrigue, on vénère, on se moque, on hait, on aime, etc., comme partout dans la vraie vie. » Il hausse les épaules. « Mais ça engage plus de gens et ça va bien plus vite que précédemment. Avoir recours à un service sur Internet, c’est un peu comme demander à un chauffeur de taxi d’une ville étrangère et inconnue de te conduire à un bon hôtel. Dans le meilleur des cas, il le fera. Il peut aussi t’amener à un hôtel que lui tient pour bon, mais pas toi. Question de point de vue. Et dans la plupart des cas, il te conduira à celui de son cousin. » Il ricane. « Mais où veux-tu en venir ? »

Peggy invite Cyn à rire à sa plaisanterie. Mais elle est trop concentrée pour flirter.

« Grâce à leur manière de filtrer l’information, toutes ces entreprises exercent leur influence sur notre manière de penser et de nous conduire, dit-elle.

— Tu es journaliste. » Il grimace. « La méfiance est une maladie professionnelle.

— La confiance perdue n’est pas une maladie professionnelle, mais notre nouvelle culture, répond-elle, pensive.

— Bienvenue au pays des paranos ! rit-il.

— Eh ! C’est moi qui dis ça !

— Bien entendu qu’elles influencent nos faits et gestes, qu’elles le veuillent ou non. C’est sans doute le point décisif. Veulent-elles de cette influence ? Et le cas échéant, de quelle manière ? Reste à savoir si les utilisateurs sont informés de la direction dans laquelle ils doivent être influencés.

— Mais…

— Qu’est-ce que c’est ? » l’interrompt-il en désignant un petit rectangle en haut à droite de l’écran.

Nouvelle vidéo ! peut-on lire. En dessous, un film de la taille d’un ongle.

« On dirait…

— Zero », s’écrient-ils en chœur.

À l’instant même, Anthony se rue dans la pièce, suivi de Jeff.

« Zero a posté une nouvelle vidéo !

— On vient de le voir, fait Chander. Directement chez nous.

— Tu peux savoir d’où elle vient ? demande le rédacteur en chef.

— Je suis dessus. »

Ses doigts survolent la surface de sa tablette.

Jeff a affiché la vidéo en plein écran. Cyn la regarde.

C’est son visage que l’on voit. « Quelqu’un me cherche. » Puis le visage et la voix d’Anthony. « Bon, je ne me fais pas beaucoup de souci. Vous devriez plutôt rendre visite à d’autres personnes. À Takisha Washington, par exemple. Takisha vit à Philadelphie. Elle est mère de deux enfants et travaille dans une filiale de la chaîne de supermarchés régionale Barner’s. »

Zero va et vient devant le magasin mentionné, sous les traits d’un homme obèse vêtu d’une chemise hawaïenne.

« Malheureusement, ces dernières années, Barner’s n’allait pas très bien. Voilà quelques semaines, ils ont dû licencier des gens. Un sport si à la mode ! Vingt pour cent du personnel. D’où la question : qui devait partir ? »

Anthony trépigne d’impatience à côté de Chander. « Alors ? T’as trouvé ?

— Ça ne va pas si vite ! »

Cyn ne perd rien de la vidéo, y cherchant des indices.

« Barner’s a bien un système interne d’évaluation de ses collaborateurs qui rassemble différents critères. Manque de pot, presque 90 % du personnel remplissaient les critères. »

De même que dans les précédentes vidéos, Zero se déplace à travers des scènes réelles. Cependant, il apparaît moins souvent au cours de son exposé. La vidéo commence a se différencier des autres, se dit Cyn. Les images lui rappellent des reportages télé, avec de vraies prises de vue, et les commentaires du journaliste. Formulaires, filiales du supermarché avec des clients, images d’archives d’employés… Au moins aussi dispendieux que les animations et les montages habituels de Zero, mais moins poseur, pense-t-elle.