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« J’ai un serveur, murmure Chander sans même lever les yeux de l’écran. En Allemagne. Sans doute un relais. »

Cyn se concentre sur la belle femme noire de la vidéo. Vêtue d’une robe à fleurs, elle se tient debout devant une poubelle. Un bandeau la présente comme étant Takisha Washington.

« J’ai travaillé pendant sept ans dans la filiale où se trouve également la direction administrative de Barner’s », explique-t-elle dans son argot américain.

« Qui a fait cette interview ? » s’enquiert Anthony. Il demande à Jeff et Frances de mener sans plus tarder des recherches sur cette femme.

« J’étais en pause, continue-t-elle. Je devais jeter un truc dans la poubelle. Et j’ai trouvé cette putain de liste. » Elle brandit un morceau de papier froissé. « Vous savez bien. Un gars du service du personnel a balancé ça, au lieu de le foutre au broyeur. Il a pensé à rien, ce gars. »

« Un serveur au Brésil, fait Chander. Zero a bien nettoyé ses traces. »

« Je l’ai regardée, la liste, et j’ai vu mon nom. Un truc bizarre. Regarde donc. »

Elle désigne un tableau avec des noms et plusieurs colonnes de chiffres.

« Je l’ai ! » s’écrie Jeff.

Anthony est derrière lui, il scrute l’écran.

« Takisha Washington. Regardez-moi ça ! C’est bien son visage. Y compris ses données de contact. »

Anthony pianote sur son smartphone. Cyn a des difficultés à se concentrer sur la vidéo.

« Je savais bien qu’ils voulaient virer des gens. Alors je me suis dit que la liste avait quelque chose à voir avec ça. Je l’ai emportée chez moi. »

La vidéo prend de nouveau des airs de reportage télé. Celui qui a filmé ça pourrait leur donner des indices concernant Zero. Ils doivent parler à Takisha Washington.

« Quelques jours après mon licenciement, je reçois une lettre de ma banque. » Elle sort un courrier. « Ils avaient annulé la plus grosse partie de mes prêts. Je devais tout payer d’un coup. Pardon ? Mais je venais de perdre mon boulot. Comment je pouvais faire ? Sinon, ils bloquaient ma carte en plus. Alors quoi ? Qu’est-ce que je pouvais faire ? Je devais payer les loyers, j’avais deux enfants à l’école. Leur père me donne pas un rond. J’ai dû vendre ma caisse. Le délire ! Et puis après, c’est mon proprio qu’a appelé. Il se faisait du souci parce qu’il pensait que j’allais pas payer mon loyer. Il avait pas tort. Je voulais faire n’importe quel boulot. Même les pires, mais je pouvais pas sans voiture. Ma carte de crédit était bloquée, la banque me menaçait. »

« Pas possible ! » murmure Chander à côté de Cyn. Mais pas à cause de l’histoire de Takisha. Ses doigts survolent le clavier encore plus rapidement.

Cyn se demande ce qu’il a bien pu dénicher… mais il faut bien que quelqu’un regarde attentivement la vidéo.

« Au bout de deux mois, mon proprio m’a foutue dehors. Je me suis retrouvée à la rue avec mes deux mômes. » On la voit sur le trottoir d’une banlieue défavorisée. « Plus de boulot, plus de fric, plus de bagnole, plus d’appart. J’ai trouvé des plans pour squatter chez des amis, mais juste deux semaines. En faisant mes bagages, je suis retombée sur la liste. Je l’avais oubliée. J’ai voulu la jeter, et puis j’ai pris le bus pour aller à mon ancien travail. Je l’ai montrée à l’une des meufs des RH. Elle est devenue toute rouge et m’a demandé d’où ça venait. Puis elle a dit que c’était pas important. Puis que c’était la propriété de l’entreprise et que je devais la rendre. Je l’ai pas fait, hein. Mais j’ai pris un avocat. Il était bon. Les colonnes, c’était les notes de différents mécanismes d’évaluation utilisés par Barner's. Barner’s Human Ressources, le système interne de la boite, un truc général, et un sous-système, Barner's Social pour les aspects sociaux. Y avait d’abord ManRank. L’avocat m’a dit que c’était un genre de truc nouveau pour évaluer les gens sur Internet. Je connaissais pas. Une chance, selon lui. Pas parce qu’ils ont utilisé ManRank. Mais parce qu’ils ne m’avaient pas dit qu’ils le faisaient. Ils devraient alors me rendre mon boulot. Et alors, bordel ! J’avais tout perdu ! Ils ont une idée de comment c’est dans la rue ? J’ai atterri là à cause d’une liste de merde ! On peut comprendre ça ? Je veux dire, j’ai déjà entendu des histoires où les gens ont perdu leur boulot en postant des trucs sur Facebook, ou ils n’ont pas eu de prêt ou de boulot parce qu’on trouve encore sur Google des vieux communiqués de plus de quinze ans ou quoi, où on parle de la saisie de leur baraque. Putain, faut faire gaffe à tout ça, aujourd’hui ?

— Oui, à quoi doit-on faire gaffe ? » reprend Zero sous les traits d’un clown triste. « Virée à cause de ManRank, l’agence de notation publique des êtres humains développée par Freemee. Le premier cas qui nous soit connu. Zero en presque direct de Philadelphie. » À l’instar d’un chef d’orchestre, il agite le bras en rythme. « Et, comme d’habitude, n’oublie pas qu’il faut terrasser l’hydre des données. »

« Fait chier ! » jure Carl. Il manque de s’étrangler en poursuivant. « Cette histoire va débarquer partout ! Dans tous les journaux ! Cette putain de mère Washington va aller d’émission en émission et raconter ses histoires aux JT ! Sur tous les réseaux sociaux et même chez nous, il y a déjà des élans de solidarité. C’est un désastre ! »

Will le laisse s’agiter. Lorsque Carl est dans cet état, impossible de le raisonner. Il le sait bien.

« Tu te goures, rétorque Alice. La traque de Zero n’a pas encore commencé, et déjà il fait parler de nous.

— Comme de la première agence de notation de l’être humain !

— Comme la première agence publique…

— Comme si ça faisait une différence !

— Ça en fait une », dit-elle en faisant apparaître un graphique. « Tu vois bien à quel point notre nombre d’utilisateurs a grimpé pendant la diffusion de cette vidéo. Sans parler de l’intérêt suscité auprès d’entreprises clientes potentielles. » Elle rit. « Nos services commerciaux sont au bord de l’explosion. Dans un premier temps, l’ire collective va se diriger contre Barner's, qui n’a pas informé ses employés. »

Les doigts nerveux, Carl aligne sur la table un petit vase de fleurs, des crayons et un smartphone.

« Selon toute vraisemblance, tu as raison ! admet-il. Mais en parlant de ces agences de notation, Zero a martelé un terme qui pourrait nous nuire sur le long terme.

— Publiques…

— Enfin, pour ce… » Il aligne un stylo qui, pour Will, semblait pourtant parfaitement parallèle aux autres.

« Justement ! C’est une différence décisive. Ce faisant, Zero nous rend un fier service. Ainsi, nous pouvons en rester à notre histoire. Freemee rend transparent ce que d’autres dissimulent.

— Raison pour laquelle des gens ont été virés.

— Et c’est Barner's qui en est responsable, pas nous, rétorque Alice.

— Pff… C’est pas moi, c’est les autres. »

Il aligne un autre stylo.

Will a très envie de tous les mélanger.

« Eh ! On fait la une ! Savoure ! Cette histoire est une vraie aubaine ! Maintenant, les journalistes de la moitié de la planète veulent savoir qui se cache derrière Zero. Ils sont à sa recherche. Notre concept marche. »

Les lunettes de Will lui annoncent qu’il a reçu un message. Il le parcourt tout en prêtant une oreille à la réponse de Carl.