— Recrute du monde ? De quoi tu parles ? » Anthony fronce les sourcils. « Une attaque ? Quoi comme attaque ?
— Tu devrais prévenir tes techniciens sans tarder, au cas où ils n’auraient pas ce genre d’alertes.
— Qu’est-ce que ça signifie ? s’emporte Anthony. Comment ça fonctionne ? Je croyais que les Anonymous officiaient en se cachant.
— Ils sont anonymes, mais ne se cachent pas. C’est une technique qu’ils utilisent souvent et qui a fait ses preuves. Ils utilisent des comptes anonymes pour poster des vidéos sur YouTube, Twitter, etc. Ensuite, participe qui veut. Pour ça, tu n’as qu’à installer de petits programmes gratuits sur ton ordinateur ou aller sur certains sites. Grâce à eux, ils conduisent des attaques par déni de service ou dans le genre.
— Notre site va recevoir tellement de demandes qu’il va s’effondrer et qu’il ne sera plus accessible ?
— Yep.
— OK. Surtout pas. On peut faire quelque chose ?
— Dans une certaine mesure, si on s’y met maintenant.
J’appelle Jeff », dit Anthony, puis de murmurer : « Quels salopards ! »
Tandis qu’Anthony, surexcité, parle avec les techniciens de Londres et que Chander, plus pondéré, lui donne son point de vue, Cyn regarde le paysage défiler. Ils sont sur l’autoroute, les faubourgs de la ville laissent bientôt place à des zones industrielles, puis à des champs. Elle pense à Annie et Eddie. Elle sent le genou de Chander, appuie sa cuisse contre la sienne, sans se soucier de devoir la retirer au cas où le rédacteur en chef se retournerait. Chander lui sourit.
Cyn regarde dehors. Qu’est-ce qu’Annie va me dire ?
Une nuée d’étourneaux forme un nuage vivant au-dessus des champs.
Tout en descendant du taxi et en payant, Anthony s’adresse en même temps à son interlocuteur téléphonique et au chauffeur. « Je dois aller travailler dans le lounge, les tourtereaux. À tout à l’heure », leur dit-il avec un sourire en coin, une fois les contrôles passés.
Cyn rougit. Chander lui sourit et se contente de hausser les épaules. « Allons boire un café. »
À leur arrivée à Londres, peu avant la sortie, plusieurs douaniers leur barrent la route. « Suivez-nous, je vous prie. »
Avant même que Cyn puisse demander ce dont il retourne, deux agents l’ont séparée de ses collègues.
« On vous soupçonne d’activités terroristes, lui dit une des fonctionnaires.
— Vous devez faire erreur », répond-elle en se demandant nerveusement ce que tout cela signifie.
Elle repense aux hommes de la veille. Elle se rappelle ce scandale de l’été 2013 où le compagnon d’une journaliste américaine avait été détenu pendant neuf heures à l’aéroport. Des mains dures dans son dos la font avancer.
« Vous expliquerez ça aux enquêteurs », rétorque sèchement la fonctionnaire.
Ils la conduisent dans une pièce aux murs nus. Au centre, une simple table et deux chaises, contre le mur une banquette. La journaliste n’a pas le temps de s’asseoir qu’on lui prend son sac à main pour en vider le contenu sur la table.
« Déshabillez-vous !
— Pardon ?
— Fouille corporelle.
— Pourquoi ? » Elle est prise de panique. Elle repense à la tentative de noyade de la veille, ressent l’angoisse mortelle qu’elle a éprouvée sous l’eau. « Vous n’avez pas le droit !
— Si », répond la fonctionnaire fermement. Puis, agacée : « Ne compliquez pas les choses et n’aggravez pas votre cas, je vous prie. Vous enlevez vos vêtements, on vous fouille et on n’en parle plus. »
Cyn regarde autour d’elle. Elle repère des caméras dans deux des coins.
« Et je serai filmée ?
— C’est la règle. Pour notre sécurité.
— La vôtre ?
— Alors ? » la brusque-t-elle en faisant un grand geste.
La journaliste tente de se calmer. Elle commence à comprendre ce dont il est question. Des brimades, de l’humiliation.
« Non », dit-elle, les bras croisés.
L’autre soupire, s’approche d’elle.
« Ne me touchez pas ! » ordonne Cyn du ton le plus ferme dont elle est capable. Elle désigne les caméras : « On est filmés. C’est vous qui l’avez dit. »
La fonctionnaire s’arrête, laisse retomber ses bras, fait un pas en arrière. Elle attend.
Cyn ignore quels sont leurs droits. Elles restent ainsi, à se regarder en chiens de faïence pendant quelques interminables secondes.
« Bien », fait enfin la femme en désignant une des chaises. « Asseyez-vous. » Elle ouvre la porte.
Un petit triomphe, pense Cyn. Une victoire à la Pyrrhus ? Elle choisit l’autre chaise. Guerre psychologique. Elle peine à contenir le frisson qui l’envahit. Les quelques pas qu’elle doit accomplir sont un supplice pour ses jambes en coton.
Je ne vous montrerai aucune faiblesse !
Une femme et un homme, tous deux en civil, font leur apparition. Ils déclinent leur identité, leur grade. Cyn est si perturbée qu’elle n’y prête pas attention.
« Vous êtes retenue ici dans le cadre du Terrorism Act 2000, explique la nouvelle venue.
— Je suis journaliste. Je veux un avocat.
— Nous ne sommes pas dans une série télé, intervient froidement l’homme. À vous de choisir si vous voulez coopérer ou non.
— Coopérer à quoi ? Je ne fais que mon travail.
— Et nous le nôtre. Où est l’ordinateur du jeune homme ? Vous l’avez pris à Vienne.
— Et je me le suis foutu dans le cul pour venir ici ? Ça va bien ou quoi ? Je l’ai perdu au cours de la poursuite. Vous devriez le savoir. Vous avez toutes les vidéos postées sur le Net et les enregistrements de caméras de surveillance de Vienne, n’est-ce pas ? Vous avez bien vu que je suis sortie des égouts sans portable. »
L’homme examine les effets de Cyn étalés sur la table. Il prend le téléphone. « Ça, on le garde.
— Pas de souci. Il est foutu.
— Elle n’avait rien d’autre sur elle ? » demande-t-il aux deux fonctionnaires des douanes.
« Non. »
Sa collègue se tourne vers Cyn.
« Vous avez probablement aidé un présumé terroriste à s’enfuir hier.
— N’importe quoi ! Et vous le savez bien. Je ne l’ai pas aidé et ce n’est pas un terroriste. D’après tout ce que nous savons sur Zero, y compris sa participation au President's Day. » Elle bouillonne, elle doit prendre sur elle pour ne pas hurler. « Et maintenant, laissez-moi partir ! Un de mes amis est mort hier et je dois me rendre chez sa mère.
— Peut-être ne partirez-vous d’ici que dans quarante-huit heures. Nous avons le droit de vous garder jusque-là. »
Pendant l’heure suivante, ils lui posent et reposent les mêmes questions. Cyn s’en tient à son histoire. Ils la menacent, tentent de l’intimider. Au bout d’un moment, hors d’elle, elle décide de se taire.
Un homme entre dans la salle et chuchote quelque chose aux deux fonctionnaires en civil. Ils gratifient la journaliste d’un regard mauvais, puis la femme aboie : « Vous pouvez y aller. »
Elle reprend ses affaires, hormis son portable.
Dehors, ses deux collègues l’attendent. Ils ont subi le même interrogatoire.
« On se reverra ! » crie Anthony en direction des douaniers.
Cyn ne veut pas parler de ça, elle a des choses plus importantes à faire.
Enfin, ils récupèrent leurs bagages. Cyn remarque immédiatement qu’on a fouillé son sac de sport, mal refermé.
Anthony et Chander se rendent directement au bureau pour contrer l’attaque des Anonymous. Cyn, elle, part rejoindre sa fille.