— Oui. Mais je n’ai pas… Qu’as-tu dit ?
— Tu veux dire qu’il se cache quelque chose derrière tout ça ?
— Tu es un génie !
— Je sais. Dis-moi seulement pourquoi.
— En tant que génie, tu devrais le savoir.
— Qu’est-ce que j’ai dit ?
— Que quelque chose se cache derrière tout ça. Tu connais la scène de Jurassic Park où les mômes se planquent derrière une chute d’eau ?
— Oui.
— C’est pareil dans Le Temple du soleil. Tintin et Milou, tu sais ?
— Euh… Non, ça ne me dit rien.
— Derrière la chute d’eau, Tintin découvre l’accès secret au temple inca du Soleil.
— Des films d’action et des bandes dessinées… À l’occasion, il faudra qu’on parle de ta culture.
— Et de la tienne, puisque tu ne connais pas Tintin.
— Et qu’est-ce qu’il y a derrière ces chutes d’eau ? » Marten rit. « C’est un site Internet. » Il se penche par-dessus le moniteur. « Rien derrière, rien du tout. Que des câbles.
— C’est là que ma culture m’aide. Je relie des éléments. T’as vu le film Contact ?
— Jodie Foster qui rencontre des extraterrestres ?
— Tu vois la scène où Jodie Foster et son collègue aveugle découvrent un second signal sous un signal parasité ?
— Le discours d’Adolf Hitler pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de 1936 ? Tu veux dire… »
Luís acquiesce.
« Stéganographie. » D’un coup, Marten est sérieux. Quand il était jeune, il aimait décoder des messages. Du jus de citron sur du papier, le texte qui n’apparaît sur la feuille que lorsque celle-ci est chauffée. Dissimuler des informations dans des messages innocents est une pratique indispensable dans toute guerre, qu’il s’agisse des services de renseignement, de résistants, de guérilleros ou de terroristes.
« Pourquoi quelqu’un enverrait-il des messages cachés dans des chutes d’eau ?
— Elles sont, pour deux raisons, la cachette parfaite, explique Luís. Pour des raisons techniques, tu as besoin d’images en mouvement. Des images qui ne cessent de bouger. Aucun pixel ne doit rester le même. Dans le cas contraire, on pourrait accéder au message caché. Je te passe les détails techniques. Des chutes d’eau en close-up sont donc idéales. Tout ne cesse de bouger. La seconde raison, c’est qu’une chute d’eau est absolument au-dessus de tout soupçon. Qui penserait que se cache derrière un site ésotérique la plate-forme de communication d’activistes d’Internet ?
— Et comment peux-tu savoir que c’est le cas ?
— Je ne peux pas. C’est ça qui est génial. S’ils n’ont pas commis d’erreur, alors ça reste une page avec des chutes d’eau. Impossible de savoir s’il y a bien des messages, impossible donc de les lire. »
Marten réfléchit.
« Ils ont fait d’autres erreurs, dit-il enfin. Chacun de nous en commet. C’est ta thèse. Ça vaut la peine de creuser, non ?
— Comme tu dis : chacun fait des erreurs. Et si quelqu’un les trouve, alors ce sera nous. Avec les collègues des autres services.
— Alors on y va ! »
« Deux copains morts en une semaine », dit Viola d’une petite voix. Cyn se rend compte que sa fille accuse le coup.
Elles sont assises dans la cuisine, devant un plat préparé par la jeune fille. Aucune d’elles n’a d’appétit, les assiettes restent à moitié pleines. Cyn se sent mal. En tant que mère, elle doit s’occuper de sa fille, et en tant qu’amie, elle aimerait être auprès d’Annie. Elle veut pourtant à tout prix aller à New York, où Freemee a son siège, pour y rencontrer ses dirigeants. Doit-elle annoncer à Viola que le jeune homme est mort après avoir voulu lui parler de l’entreprise et peu de temps avant qu’on essaye de la noyer ? Elle aimerait également savoir si les révélations que lui a faites cet homme dans les égouts de Vienne sont avérées.
Bienvenue dans la parano !
« Tu pars quand, demain ?
— Je ne sais pas si je dois vraiment y aller, répond Cyn. D’un autre côté, pour des raisons que je ne peux t’expliquer maintenant, il faut que je fasse ce voyage. Même si je préférerais rester avec toi et oublier cette émission.
— Il n’y a pas de problèmes, si tu veux y aller.
— J’ai mauvaise conscience.
— J’ai dix-huit ans, maman. »
C’est une adulte.
« Je sais. Tu peux m’appeler à tout moment.
— Où ? »
Cyn va dans sa chambre chercher le papier où elle a inscrit différents numéros.
« Ici, celui de l’hôtel à New York. Et là, mon nouveau téléphone. Le Daily m’en a procuré un, ils me l’apportent demain à l’aéroport.
— Quelqu’un d’autre part avec toi ?
— Oui, le plus jeune, Chander », dit-elle le plus innocemment possible.
Viola acquiesce, l’air absent, tout en prenant le papier et en regardant les numéros.
« Je pars demain à dix heures.
— Alors on pourra petit-déjeuner ensemble, dit sa fille. C’est fou, tout ça », chuchote-t-elle. Puis d’ajouter, un peu plus fort : « Tu ne trouves pas ? »
Si tu savais !
« Oui. »
La sonnette d’entrée retentit. Leurs regards se croisent.
« Tu attends quelqu’un ? demande Cyn.
— Non. »
Elle file dans le couloir et décroche l’interphone.
« Un paquet pour Cynthia Bonsant », annonce une voix de femme.
À cette heure ? Il est 20 h 20. Cynthia ouvre, puis attend en regardant par le judas. Une minute plus tard un coursier apparaît. Elle porte un colis de la taille d’une boîte à chaussures. Cyn entend sa fille ranger la vaisselle.
Cyn hésite avant d’ouvrir. Puis elle s’y résout.
« C’est de qui ? » L’autre hausse les épaules et lui tend le paquet. Il est enveloppé d’un simple papier blanc. À l’exception de l’adresse de la destinataire, il n’y a aucune inscription. Elle le tourne et découvre un ovale tracé au feutre. On dirait un « 0 ». Au-dessus, en petites lettres : « Amicalement vôtre. »
La jeune femme lui tend le carnet à souches où signer. Cyn s’acquitte de cette formalité avant de rentrer et de fermer la porte à clef.
Elle pose le paquet sur la table de la cuisine.
« C’est quoi ? lui demande sa fille.
— Aucune idée.
— Amicalement vôtre. Un “O”. “O” comme “o”, dit-elle doucement, ou comme “0” ?
— Mais non !
— C’est peut-être une bombe ! Ils ont bien des raisons de t’en vouloir.
— Je me suis excusée publiquement et j’ai renoncé à la traque. » Et puis le type dans la canalisation n’avait pas l’air d’un poseur de bombes. « C’est peut-être seulement une blague à la con. »
Elle passe un ongle sous un pli de l’emballage et le déchire. Elle n’est pas rassurée. Le papier cède rapidement, l’intérieur est métallisé. En dessous, un simple carton. Elle s’arrête. « Va dans ta chambre !
— Tu plaisantes ! Si tu penses vraiment qu’il y a un truc dangereux là-dedans, alors l’ouvre pas !
— Rien de dangereux.
— Alors je reste. »
Avant que Cyn ne puisse réagir, sa fille a soulevé le couvercle. Trop tard pour enlever sa main, la boîte est ouverte.
À l’intérieur, une autre boîte, en plastique celle-là, aux dimensions d’un paquet de cigarettes, contenant une carte mère et d’autres objets technologiques. Son cœur bat la chamade. C’est précisément ainsi que sont les machines infernales dans les films. À côté, un morceau de papier plié. Sous la boîte en plastique, une sorte de clavier.