Rien ne tictaque ni ne clignote. Viola déplie le papier, sa mère le lit.
« Chère Cynthia Bonsant,
Les circonstances de notre première rencontre n’étaient pas particulièrement agréables. Ta décision de te désolidariser de cette chasse à l’homme, en revanche, nous a fait plaisir. Voici la réponse à ta dernière question. Nous sommes curieux de savoir si tu souhaites t’engager davantage que simplement te tenir à l’écart.
Avec nos sentiments les meilleurs,
Zero »
Sans un mot, mère et fille se regardent.
« Quelle question ? demande Viola. Tu crois que c’est vrai ? »
Sans attendre de réponse, elle poursuit sa lecture :
« Dans cette boîte, tu trouveras un nano-ordinateur Raspberry Pi, un petit clavier et quelques câbles. Relie le Pi au clavier et à ton écran de télévision grâce aux câbles, en te conformant au schéma ci-dessous. L’appareil va se connecter automatiquement à un réseau Wifi ouvert à proximité. Ne permets à personne dont tu ne sois pas sûre à 110 % d’accéder à l’appareil. Ne l’emporte pas avec toi lors de voyages à l’étranger (contrôles de bagages). Cache-le en lieu sûr lorsque tu ne l’utilises plus. En cas de force majeure, détruis la carte SD (voir schéma). »
« Merde, murmure Viola, un lien avec Zero.
— Tu crois ? J’ai des milliers de questions…
— Tu peux les lui poser, maintenant. »
Viola a déjà disparu dans le salon avec le paquet. Deux minutes plus tard, elle a relié le nano-ordinateur à la télévision et au clavier.
Un vrai fouillis d’images bruissantes et mouvantes s’affiche sur l’écran. Une mosaïque recouvrant le moniteur. Tout semble en mouvement, pas un seul point qui soit fixe.
« C’est quoi ? demande-t-elle.
— J’en sais rien, répond Viola.
— On dirait des… Oui ! Regarde, de l’eau qui coule ! Des chutes d’eau ? »
Une fenêtre s’ouvre.
Bonjour Cynthia !
Cette plate-forme est sécurisée. Beau discours hier. Excuses acceptées. Et merci encore pour ton aide.
« Qu’est-ce qu’ils veulent dire ?
— Peu importe, chuchote Cyn. On dirait que c’est vraiment Zero. »
Excitée, Cyn prend le clavier des mains de sa fille. Lorsqu’elle commence à taper, un nom d’utilisateur apparaît au-dessus du texte.
Guext :
Quel secret m’avez-vous confié dans les canalisations ?
« Quoi ? Guext ? C’est ton pseudo ? » demande Viola, irritée, alors que la réponse arrive déjà.
Jakinta0046 :
Est-ce un test ? Les moyens de financement de la traque de Zero.
Cyn s’affale sur le canapé.
« C’est bien Zero, souffle-t-elle.
— J’y comprends rien…
— C’est mieux comme ça. Je te raconterai plus tard. Mieux vaut que tu me laisses seule. »
Elle lui lance un regard triste. Cyn secoue la tête, jusqu’à ce que sa fille se lève et rejoigne la porte, d’où elle ne peut plus voir l’écran. Elle se campe là, les bras croisés, l’air maussade.
Guext :
Dans les canalisations, je vous ai parlé d’un ami qui voulait me raconter une histoire avant mon départ. À propos de Freemee. Il est mort. Accident. Peu de temps avant mon agression à Vienne, qui aurait également eu l’air d’un accident.
Coïncidence ? Ça pourrait être lié à l’affaire des financements cachés ?
Jakinta0046 :
Impossible. C’est autre chose.
Guext :
J’ai son ordinateur.
Il est verrouillé.
Pause.
Jakinta0046 :
Alors on ne peut y accéder. Tu peux demander à quelqu’un d’autre ?
Guext :
Oui, je voulais le faire demain.
Jakinta0046 :
Et si on peut t’aider, dis-nous.
Guext :
Une interview avec Zero ? ☺
Jakinta0046 :
Lorsqu’on a des choses à dire, on le dit de nous-même. Mais peut-être pouvons-nous t’apporter notre soutien dans cette histoire. Tiens-nous au courant lorsque tu auras plus d’éléments. La prochaine fois, tu auras besoin d’un mot de passe. Entres-en un que tu peux retenir. Minimum dix signes, des chiffres, des minuscules et des majuscules, des caractères spéciaux.
Cyn réfléchit. La partie critique de leur échange a disparu de l’écran.
Guext :
MF17.Blonde
Jakinta0046 :
OK.
« MF17.Blonde ? » demande Viola.
Surprise, Cyn lève le regard sur elle. Elle ne l’a ni vue ni entendue venir, tant elle était absorbée par son chat.
« Je t’ai pourtant dit…
— Sans moi, t’aurais pas réussi à monter ce truc », la coupe sa fille.
Cyn serre les lèvres.
« “MF” pour “Ma Fille”, ton âge et la couleur de tes cheveux.
— C’est sûr, comme mot de passer doute Viola.
— T’en as un meilleur ? »
Viola fait non de la tête. « Demande-lui ce que signifient les images en arrière-plan. »
Cyn obtempère.
Jakinta0046 :
Camouflage.
À la prochaine.
Pendant quelques secondes, elle regarde l’écran sans un mot. Plus rien ne s’y passe, hormis les images qui scintillent.
« On le cache où ?
— Je n’aime pas trop l’idée de le garder ici », répond Cyn. Elle se rappelle l’interrogatoire à l’aéroport, « On est en contact avec des terroristes en cavale. »
Elle retire les câbles et emballe le tout dans la boite, hormis la carte SD qu’elle a retirée en se référant au schéma.
« Dans la hotte au-dessus de la gazinière, dit Viola. Elle ne marche plus.
— Bonne idée. »
Dans la cuisine, Cyn enlève un filtre, passe le paquet dans l’ouverture ainsi libérée, puis la referme.
Elle pose la carte SD dans le vestibule, dans une coupe remplie de clefs, de porte-clefs, de stylos, etc.
« Une cachette à l’air libre, commente-t-elle. Comme dans l’histoire d’Edgar Allan Poe. Et tu n’y touches pas, hein ! » Avant d’aller se coucher, elle vérifie une dernière fois le verrou de la porte. Elle range dans sa seule valise, en piteux état, des habits pour quatre jours et une tenue habillée pour le talk-show. Peut-elle vraiment laisser Viola seule ? Doit-elle se faire du mouron supplémentaire à cause de ce paquet ? Elle se rappelle comment sa fille a ouvert le colis et installé l’appareil.
Elle est plus courageuse que moi. Pourquoi devrais-je me faire du mauvais sang ? Elle en sait moins que moi. Et c’est mieux ainsi.
Au lit avec son ordinateur portable, elle effectue des recherches sur Sheeld. Une start-up peu connue. Elle ne trouve aucun lien avec Freemee, ni au niveau des dirigeants ni à celui des investisseurs. Elle ne parvient pas à s’endormir. Trop de choses se sont déroulées au cours de ces dernières quarante-huit heures. Trop d’événements encore obscurs.