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— Encore quelque chose ?

— Depuis trois ans, elle n’utilise plus de moyens d’anonymisation tels que TOR ou VPN.

— C’est suspect. » Il fronce les sourcils. « Je vais en parler avec Stem. »

« Pourquoi ? demande Jon.

— Son comportement sur Internet a radicalement changé il y a trois ans, dit Marten. Nous pensons qu’elle utilise plusieurs appareils depuis cette date. Certains, non anonymes, que nous pouvons surveiller, et d’autres servant exclusivement pour des communications masquées.

— C’est peut-être sa vie qui a changé abruptement à cette époque.

— On a examiné cela aussi. Rien de changé, tout du moins rien de notable au premier coup d’œil. On a fouillé davantage. Autrefois, elle a été activiste. C’est ensuite qu’a été créé le site avec les chutes d’eau. Certaines choses semblent concorder.

— Mais comment peut-on être activiste et travailler pour Freemee ? Dans les deux cas, ils sont très forts, mais poursuivent des objectifs opposés.

— Précisément ! Pensez à Edward Snowden. Ce n’est pas incompatible si on pense à sa situation actuelle et à ses responsabilités antérieures.

— C’est-à-dire ?

— De très forts indices nous font penser que Carl Montik, le patron de Freemee, soutient la traque de Zero. On ne peut exclure que Freemee ait manigancé et financé toute l’histoire pour les raisons habituelles. Nous examinons les transferts d’argent. En tant que communicante, il est à parier qu’elle est liée à cette campagne. Si elle faisait partie de Zero, tout cela aurait du sens. Pour finir, ce serait Freemee qui donnerait à Zero les moyens d’exister dans la sphère publique.

— Sans que les patrons de la boîte s’en doutent, je suppose.

— Ça se peut. Mais qui sait ?

— OK, dit Jon. La surveillance complète. Chevaux de Troie, écoutes, micros, agents dans la rue, bref, tout le bazar. »

Le bunker se situe au centre de l’ancienne savonnerie, haute de six étages, que Freemee a investie il y a six mois et qui est déjà trop petite. Ses murs de béton armé font un mètre et demi d’épaisseur, et ils sont truffés de divers équipements techniques pour prévenir toute tentative d’espionnage. Chaque personne qui pénètre dans la pièce doit déposer tous ses appareils électroniques à l’entrée, passer à travers un portique de sécurité et se soumettre à une fouille corporelle.

Il n’y a pour l’heure que les quatre patrons de Freemee : Carl lui-même, Kim Huang, Jenna Wojczewski et Will Dekkert.

Carl n’est pas partisan des grands discours. « Bien, il y a de bonnes et de mauvaises nouvelles. Commençons par les bonnes. Presque 90 % des utilisateurs de Freemee suivent les préconisations des Act Apps pour augmenter la valeur de leurs données. Exemple : dans chaque école, il y a un groupe de jeunes leaders, les faiseurs d’opinion. Les plus cool. Tous les autres veulent en faire partie. Grâce à nos outils, nous savons avant eux quelles nouvelles marques ils vont porter. Si quelqu’un veut appartenir à ce groupe, une Act App lui conseille de porter ces marques.

— Jusque-là, rien de neuf », remarque Jenna. Will la jauge. Aurait-elle minci ? On remarque des veines saillantes sur ses poignets et son cou.

« Jusque-là, oui. Il y a quelques mois, je me suis permis d’optimiser le programme, de procéder à quelques petites expériences. Pour des raisons que vous comprendrez bientôt, je n’en ai informé personne. Les résultats sont si explosifs que je voulais vous les présenter oralement afin de n’avoir aucun document écrit.

— Merde ! » fait Jenna à voix basse.

Will se demande ce que son collègue a bien pu faire.

« Ha ! Ha ! rit Carl. À vos visages, je vois que vous devinez ce dont il s’agit. J’ai procédé à mes expériences à petite échelle. Ne vous en faites pas, les programmeurs qui travaillaient pour moi ignoraient ce dont il retournait. »

Will a un sombre pressentiment.

« J’ai inclus dans le programme trois millions de jeunes personnes dans différentes régions des États-Unis et du Canada, de Grande-Bretagne, du Japon, d’Allemagne, de France et de Scandinavie. On a dans ces pays de nombreux utilisateurs aux données qualitativement excellentes. J’ai d’abord fait comme pour l’exemple dont je viens de parler. Que se passe-t-il lorsque les Act Apps conseillent aux leaders et aux autres jeunes une marque qui ne correspond pas tout à fait à leur univers ? Achèteront-ils des vêtements de cette marque si cela leur permet d’augmenter la valeur de leurs données ? Je voulais évaluer l’influence des Act Apps dans les cas où il n’y avait pas ou peu d’identification entre une marque et les consommateurs potentiels. J’ai ainsi fait modifier les algorithmes en conséquence. Qu’est-il arrivé ? Les jeunes ont acheté ces marques pour augmenter la valeur de leurs données. » Il regarde fièrement l’assemblée. « Bien sûr, tout cela a encore des limites. Il faut qu’il y ait une certaine adéquation entre la marque et les consommateurs, au moins entre 20 et 35 % selon les individus.

— Merde, dit Jenna. Est-ce à dire que les jeunes achètent ce que leur conseillent les applications, que ça leur plaise ou non ?

— Non, ricane Carl. Les Act Apps disent aux jeunes ce qui leur plaît, et ils achètent. »

Pendant quelques secondes, le silence règne dans la pièce. Ils doivent digérer cette première nouvelle.

Carl manipule les gens comme de simples marionnettes ! Si ça venait à se savoir…, songe Will.

« À la suite de ces résultats encourageants, j’ai entrepris de nouveaux tests avec des produits divers comme des marques de chaussures ou de sport, de l’électronique, des jeux, des produits d’éducation. Les algorithmes fonctionnent dans tous les domaines.

— Et les gens agissent contrairement à leurs convictions parce qu’ils veulent accumuler plus de points ? » Elle secoue la tête, incrédule. « C’est de la schizophrénie, chuchote Jenna.

— Non ! » Carl hausse les épaules. « Ils n’agissent pas contrairement à leurs convictions, ils en changent.

— Tu les fais en changer.

— Je ne force personne. Ainsi sont les gens. Chacun d’entre nous change de point de vue et d’opinion au cours de sa vie. Plus ou moins, ça dépend. À quoi est-on prêt pour marquer des points chez quelqu’un ? Pour plaire à quelqu’un ? »

Jenna opine du chef, à contrecœur.

Carl a visé juste, pense Will.

« J’ai poursuivi mes tests et découvert quelque chose de surprenant. Le changement de leurs opinions dans un domaine impliquait des changements de comportement dans d’autres où je n’avais pas essayé de les influencer. Pour faire vite : on peut changer un skateur en golfeur ou faire d’un révolutionnaire en herbe un gendre idéal. Et l’inverse. Ça fonctionne aussi pour les idées politiques. »

Will soupire.

« Je n’y crois pas, dit Jenna.

— Comme je l’ai déjà dit, ainsi sont les gens. Tu peux presque tout calculer, prévoir, diriger.

— Non ! Je ne peux pas croire que tu aies vraiment fait ça.

— Mais le développement des applications n’est que la suite logique.

— Si quelqu’un venait à l’apprendre… Des gamins comme rats de laboratoire !

— J’ai dû également tester mon dispositif sur des adultes, afin de vérifier. »

Il rit.

Son cou fait souffrir Will, il est tendu. Il se frotte les tempes. Où cela va-t-il nous mener ?

« Qu’est-ce que vous avez ? La pub ne fait que ça depuis toujours, tenter d’exercer une influence sur nos comportements et nos goûts. Les grandes entreprises de l’Internet manipulent les informations en choisissant la manière dont les contenus sont mis à disposition sur la toile. Ce faisant, elles influencent le comportement des gens. Au cours de mes expériences, je suis parvenu à faire en sorte que des écolos achètent des produits polluants, et inversement. »