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— Un enfant du néolibéralisme moderne qui transforme tout en marchandise, y compris les hommes, qui en fait des rouages monétaires de la grande mécanique…

— Tu vires à l’extrême gauche, maintenant ? » s’amuse Carl en faisant de gros yeux. « Mon Dieu, Will, nous ne sommes pas les Body Snatchers ! On ne veut pas créer d’êtres uniformes et sans âme, au contraire ! Avec Freemee, chacun doit enfin pouvoir exprimer tout son potentiel individuel.

— Ne dis à personne que tu as des difficultés à comprendre les autres ! Pardonne-moi de t’attaquer sur le terrain personnel. Mais que quelqu’un avec un problème psychique et social puisse édicter les règles du vivre ensemble, c’est absurde, non ?

— Quand je t’écoute, je me demande si tu tiens encore à ton travail ici. Réfléchis rapidement, nous avons encore à faire. Et tu peux gagner énormément ! Si tu ne veux pas, je dois te rappeler la clause de confidentialité que tu as signée.

— Tu ne te débarrasseras pas aussi simplement de moi.

— Je le savais bien ! » Il lui tape sur l’épaule.

Will ne peut se souvenir d’avoir déjà vu Carl faire un tel geste amical.

« Plus de mille », répète Erben Pennicott en étudiant le document. Jon a ajouté aux légendes et données des concepts sibyllins, incompréhensibles à qui n’est pas familier des chiffres et des diagrammes.

Il se trouve en compagnie de Jonathan Stem dans l’une des deux pièces de la Maison-Blanche qu’il fait examiner plusieurs fois par jour par différentes compagnies de sécurité spécialisées dans le contre-espionnage. Ici, ils peuvent parler tranquillement.

« Elle a probablement reçu ces informations d’un jeune homme de sa connaissance, explique Jon. Il est mort il y a quelques jours. Un accident.

— Hasard ?

— Sans doute pas. On fait des recherches.

— Nos hommes ont d’autres sources de données et d’autres moyens qu’un môme de dix-huit ans. Les données et les analyses ont été rassemblées en deux heures. Il faut simplement en avoir l’idée.

— Et qu’y découvre-t-on ?

— Nos statisticiens estiment que les fluctuations concernant les décès non naturels dans certains groupes d’utilisateurs sont plus élevées que la norme. Le plus difficile a été de définir ces groupes. Ils ne sont pas tant définis selon les paramètres classiques tels que l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, la situation familiale, le lieu de résidence ou les revenus, mais d’après un faisceau de valeurs. Il n’est pas aisé de trouver dans quels groupes il y a un taux de décès non naturels plus élevé, parce que nous ignorons quelles valeurs attribuent les algorithmes de Freemee à une personne. Jusqu’ici, nos programmes ont pu en identifier cinq. Il y en a sans doute plus. Nos équipes sont sur le pont.

— Ces chiffres montrent donc un taux de mortalité plus élevé dans certains groupes d’utilisateurs Freemee.

— Oui. Mais on en ignore encore la raison. »

Erben se demande si Jon saisit toute la portée de cette découverte. « Il y a sans doute plusieurs causes, d’ailleurs, réfléchit-il à voix haute. Mais Carl Montik va m’expliquer ça personnellement. Je pense que les résultats de nos hommes sont fiables.

— Bien entendu.

— Cette affaire doit être classée au plus haut niveau de nos intérêts nationaux et demande le plus grand secret. En aucun cas nos équipes ne doivent en dire un mot ou la rendre publique. Ni cette journaliste, ni cet Indien, ni qui que ce soit.

— Je comprends. Il y a également une première piste qui nous conduirait à Zero. Curieusement, elle mène aussi à Freemee. »

Jon fait un résumé à Erben. Après son départ, ce dernier appelle sa secrétaire dans la pièce attenante.

« Il me faut un vol pour New York, s’il vous plaît. »

Puis il prend un vieux portable sécurisé et appelle Henry Emerald, avec qui il n’a pas discuté depuis longtemps.

Cyn appelle sa fille alors qu’ils attendent de sortir de l’avion. En entendant sa voix, elle est rassurée.

« Eddie ne t’a vraiment rien confié concernant ce qu’il voulait me dire ? » demande-t-elle d’une voix forte et claire, au cas où son téléphone serait sur écoute.

« Rien du tout ! Je te l’ai déjà dit », répond Viola un peu agacée.

Vous avez entendu ? pense Cyn. Parano.

Pour ne pas inquiéter sa fille, Cyn change de sujet et lui parle du vol avant de raccrocher.

Elle craint le contrôle des douanes. Si les Américains se livrent au même cirque que leurs collègues britanniques la veille, elle ne peut répondre de rien. Les formalités se passent pourtant fort bien. Comme l’avait annoncé la chaîne de télévision, un chauffeur l’attend à la sortie avec un panneau à son nom.

Ils embarquent. Lorsqu’une bonne demi-heure plus tard Cyn aperçoit la skyline dans le lointain, sa smartwatch mesure une accélération de son pouls et une transpiration excessive. L’appareil peut-il aussi identifier ses sentiments ? L’excitation, la joie, l’incertitude, la curiosité ? Ce qu’elle aimerait que Viola soit avec elle !

L’hôtel Bedley est dans le Lower East Side ; un bâtiment fonctionnel des années 1970, au mobilier design. En s’enregistrant, Cyn reçoit un colis de bienvenue de la chaîne contenant les informations essentielles et des conseils de shopping ou de sorties. Sa chambre se trouve au septième étage avec une vue sur la cour, à l’arrière d’autres bâtiments dévoilant leurs échelles de secours. Chander a sa chambre à l’étage en dessous. Il propose de passer la prendre une fois qu’ils se seront rafraîchis.

Cyn range ses habits dans l’armoire, puis se douche. Elle ne cesse de penser à la vidéo d’Eddie. Encore en peignoir, elle l’enregistre sur sa clef USB et la copie sur son ordinateur. Elle se connecte au VPN pour accéder au serveur sécurisé du Daily. Elle entre son identifiant et son mot de passe et y transfère également la vidéo.

Pendant qu’elle se charge, elle appelle Jeff.

« T’es où ?

— À la rédaction.

— Un dimanche ?

— Oui. À cause des Anonymous, on fait des gardes le week-end. Et toi ? Déjà à New York ?

— J’ai chargé une vidéo sur le serveur. » Si quelqu’un m’écoute, je suis fichue. Qu’importe. Jeff a la vidéo, maintenant. « Tu peux la regarder et m’en dire plus ? Tu pourrais examiner les chiffres. Elle vient d’Eddie, le jeune homme mort récemment. Mais considère-la avec sérieux !

— Ce sera fait ! Bye ! »

Elle dépose la clef USB dans le coffre de la chambre.

Puis elle appelle Will Dekkert. On le lui passe. Il prend des nouvelles de son voyage. « Vous avez prévu quelque chose ce soir ? J’aimerais vous inviter à dîner. »

Cyn est excitée. Dekkert souhaiterait-il la voir s’il voulait et pouvait démentir ce qu’elle a à lui apprendre ? Elle ne sait que penser. Est-elle en sécurité avec lui ? Elle se demande si elle doit y aller avec Chander. Mais elle en apprendra certainement plus en tête-à-tête qu’accompagnée.

« OK, se dépêche-t-elle de répondre avant de changer d’avis. C’est votre ville : où et à quelle heure ? »

Un quart d’heure plus tard, Chander frappe à sa porte.

« Prête pour sortir ? demande-t-il en lui souriant. Où veux-tu aller ? Times Square ? La Cinquième Avenue ? »

Lorsque Cyn l’informe qu’elle va dîner avec Dekkert, il a une grimace de dépit. Il comprend bien pourtant pourquoi elle préfère y aller seule.