L’homme la pousse sur la banquette et ferme la portière. Un court instant, le calme règne. Lorsque les policiers prennent place à l’avant, elle entend les cris de la foule, les bruits de la ville, puis la sirène.
Sur le trajet du commissariat, l’inspecteur Straiten apprend que les résultats des appareils de mesure de Bonsant, de ses lunettes et de son téléphone sont disponibles, de même que ceux d’Argawal.
« C’est allé vite, dit-il dans ses lunettes.
— Les collègues ont découvert que lorsque les lunettes de l’Indien ont cessé de fonctionner, Bonsant se trouvait à proximité. Seulement, la localisation a une marge d’erreur de trois mètres. C’est donc assez imprécis.
— C’est quoi “à proximité” ? Assez près ?
— On a la même marge d’erreur pour les appareils de la victime. En tout, ça nous donne une approximation de plusieurs mètres.
— Sois clair ! Les deux cercles de trois mètres se recoupaient-ils au moment de l’agression, oui ou non ?
— Oui et non.
— Des faits !
— Tu m’as demandé de parler des cercles. Vus d’en haut, oui, ils se croisent. Mais on sait que Bonsant descendait l’échelle d’incendie. Ses coordonnées sont restées plus ou moins identiques.
— Mais…
— Pas l’altitude. Manifestement, elle se trouvait quatre à huit mètres plus bas qu’Argawal lorsque ses lunettes ont cessé de fonctionner.
— Ça ne signifie pas grand-chose. Peut-être que les lunettes n’ont cessé d’émettre qu’après l’impact, alors qu’elle avait pris la fuite.
— D’après le médecin, non. Le coup était trop brutal.
— En gros, nous cherchons un autre suspect ?
— Elle a raconté au cours de son show qu’elle était poursuivie par plusieurs hommes. T’as vu son raffut à Times Square ?
— En partie.
— T’en penses quoi ?
— Rien. Ça a l’air insensé. En même temps, on m’aurait dit il y a trois ans que nous pourrions causer avec des lunettes, j’aurais trouvé ça fou aussi. »
« Chers téléspectateurs, notre émission s’achève normalement dans quelques minutes ! Considérant les événements récents survenus à New York, nous allons rester plus longtemps à l’antenne. Nous accueillons Tyria Lebon, notre présentatrice vedette. Notre régie diffuse actuellement une analyse de la vidéo réalisée par Trevor Demsich et postée sur son blog ! Trevor est un spécialiste en IT de Santa Fe. Grâce à un programme de reconnaissance faciale et corporelle, il a examiné les images des caméras de surveillance et des smartglasses envoyées sur le Net cet après-midi. »
Il porte la main à son oreille pour mieux comprendre ce que lui dit la réalisatrice dans son oreillette.
« On vient de me dire que Trevor a fait une découverte intéressante ! Tout de suite après l’agression supposée de Chander Argawal, Cynthia Bonsant a quitté l’hôtel. Dans les minutes qui ont suivi, huit autres personnes en sont sorties. Parmi eux, cet homme. »
Sur l’écran, un homme en costume et lunettes est entouré d’un cercle rouge.
« Puis celui-ci. »
Un autre cercle rouge autour d’un homme corpulent portant un short, une chemise hawaïenne, ainsi qu’un chapeau de paille clair et des lunettes de soleil.
« Trevor a trouvé les images des caméras qui jalonnent la fuite de la journaliste jusqu’à sa disparition dans les égouts. Et nous pouvons voir qu’apparaît en permanence un de ces hommes derrière elle. Vous voyez ? Sur tout le trajet. Coïncidence ? Trevor a la certitude que ces hommes ont poursuivi la journaliste depuis son hôtel. Qui sont-ils ? Des témoins ? Pourquoi alors n’ont-ils pas appelé la police ? Pourquoi n’ont ils pas appelé la police alors qu’ils semblaient avoir une bonne raison de suivre Cynthia Bonsant ? Comment pouvaient-ils la suivre aussi sûrement alors même qu’à plusieurs reprises ils n’étaient plus en contact visuel ? »
« Ce Demsich a parfaitement raison, confirme l’opérateur du RTCC. On a comparé les images de son blog avec les vidéos de l’hôtel. Les caméras de la réception ont également filmé ces types. Ils sont apparus vingt minutes avant les faits, en compagnie de trois autres. »
Il envoie les images à Straiten. Un homme en chemise hawaïenne, trois en costume, un en jean et chemise. Tous portant des lunettes de soleil, deux un chapeau, un autre une casquette de base-ball. L’un d’eux va au desk. En parlant à la réceptionniste, il met ses lunettes sur son front.
« Grave erreur ! s’écrie l’opérateur.
— T’as envoyé ça dans le logiciel de reconnaissance faciale ?
— Oui. Il travaille pour une petite entreprise de sécurité. Une filiale d’un monstre : EmerSec.
— Tu as bien dit EmerSec ? Le partenaire du gouvernement, qui a des contrats en Irak et où sais-je encore pour des milliards de dollars ?
— Oui. Et son propriétaire principal, Henry Emerald, a des parts dans Freemee.
— Freemee ? Freemee que Bonsant assassine au coin de la rue ?
— Oui. »
L’inspecteur siffle entre ses dents.
Arrivée au commissariat, Cyn doit attendre. Ses poignets sont douloureux à cause des menottes.
Au bout d’un quart d’heure, Straiten la rejoint. Il la désentrave et la conduit dans une salle d’audition.
« Dites-moi maintenant ce qu’il s’est vraiment passé. » Sa voix est douce. Les murs nus produisent un léger écho.
« Par où dois-je commencer ?
— L’hôtel Bedley, cet après-midi lorsque vous êtes revenue de chez Freemee avec Chander Argawal.
— Est-il vraiment mort ? »
Elle ne sait trop ce qu’elle éprouve en cet instant. La découverte de sa trahison a jeté un voile d’ombre sur les quelques belles heures passées en sa compagnie.
L’inspecteur la regarde. « Oui, il est mort.
— Ce n’est pas moi.
— Dites-moi tout. »
« La régie nous envoie une nouvelle vidéo, braille l’animateur. Apparemment, elle vient de Zero ! »
Sur l’écran de Marten s’affiche une photo du Président qui prend les traits du chef d’état-major.
« Le Président’s Day n’était que le début, commence Zero. Bien entendu, nous ne nous intéressons pas exclusivement au Président, mais également à ses hommes. Erben Pennicott, par exemple, qui a trouvé nos charmants petits drones. Un vrai héros de la nation ! »
La vidéo montre la réception d’un hôtel. Erben Pennicott la traverse.
« Hier soir, il passait devant un client du Waldorf Astoria équipé de lunettes, qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de poster la vidéo sur Facebook. »
Putain, Pennicott, il risque d’en vouloir aux responsables ! Sans compter la diffusion sur Facebook. Des têtes vont tomber, pense Marten.
Ça ne fait pas initialement partie de ses missions, mais depuis le numéro de Cynthia Bonsant sur Times Square, il a le sentiment qu’il va bientôt se retrouver à traquer Zero. Il passe un coup de fil à ses techniciens pour qu’ils analysent aussitôt la nouvelle vidéo.
« À la fenêtre du quarantième étage du même hôtel, poursuit Zero, on aperçoit le président du conseil d’administration de Freemee, grâce à une caméra de surveillance de la terrasse d’en face. Elle diffuse ce qu’elle filme en direct sur Internet et notre logiciel de reconnaissance faciale nous a permis d’identifier ce personnage. D’ailleurs, ne voit-on pas également Erben Pennicott et Henry Emerald ? La ressemblance est frappante, n’est-ce pas ? De quoi peuvent-ils bien parler, ces trois-là, la veille même du jour où Cynthia Bonsant fait des révélations fracassantes sur Freemee et où elle est poursuivie par le FBI, accusée d’appartenir à une organisation terroriste ? Mon bon Pennicott, cette fois, vous ne pourrez pas détruire nos caméras. »