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Zero prend les traits du chef d’état-major.

« Et n’oublie pas qu’il faut terrasser l’hydre des données. »

« Cette fois-ci, aucune erreur concernant les métadonnées », l’informe un technicien au bout du fil. « Et rien non plus dans la vidéo. »

Pennicott doit fulminer, pense Marten.

Il ressent comme un petit plaisir coupable.

« Ça concorde avec ce que nous savons », conclut l’inspecteur, après que Cyn en a fini. Il pousse sur la table l’impression d’une image extraite d’une bande de vidéosurveillance. Cyn reconnaît la réception de l’hôtel. Au desk, un homme avec un chapeau, les lunettes sur le front, en train de parler à la réceptionniste.

« Vous le connaissez ? »

Cyn regarde précisément son visage. Elle est déconcentrée par une femme au costume mal coupé qui fait irruption dans la pièce et murmure quelque chose à l’oreille de l’inspecteur. Il hoche la tête, elle s’en va.

Straiten jette un regard interrogateur à la photo.

« Non, dit Cyn. Mais son chapeau, oui. L’un des hommes qui est entré dans la chambre de Chander portait le même. Ou, en tout cas, dans le même genre.

— Venez avec moi », dit-il en se levant.

Cyn hésite. Il a déjà la poignée de la porte en main.

« Allez, venez. Je veux vous montrer quelque chose. »

Il la conduit dans une pièce où se font face deux bureaux recouverts de dossiers. À celui de gauche, la femme qui vient de parler à l’inspecteur. Straiten pousse Cyn derrière elle et tous trois regardent son écran. Il met ses mains dans les poches de son jean, comme pour signifier qu’il ne craint aucunement qu’elle cherche à leur faire faux bond.

Cyn a besoin de quelques secondes pour voir ce qu’il se passe sur l’écran. Différents contenus défilent dans plusieurs fenêtres. Dans la plus grande, le talk-show. Elle identifie Kosak et Washington.

C’est là que je devrais être.

« … manifestement, nous avons encore plus de téléspectateurs que prévu ! » s’écrie l’animateur.

Pauvre naze.

« Peu de temps après l’arrestation de Cynthia Bonsant, de nombreux spectateurs du monde entier se sont mis à chercher des preuves pour étayer ce qu’elle disait. Parmi eux, quelques collaborateurs des plus grosses entreprises de collecte de données. Ces sociétés en savent plus sur nous que nous-mêmes. Ils savent quand et comment meurent les gens. Ils n’ont eu besoin que d’une petite demi-heure pour trouver des indices sérieux venant corroborer les accusations de Cynthia Bonsant à propos du nombre élevé de décès non naturels parmi les utilisateurs Freemee aux États-Unis et au Japon, et plus encore ! Regardez-moi ça ! »

Sur l’écran mural, la régie diffuse des cartes colorées, des graphiques, des diagrammes et des camemberts.

« Quelques minutes plus tard, une équipe de recherche internationale créée spontanément et composée de spécialistes en IT a publié des données similaires ! »

« Ils ont décroché le gros lot, je crois », commente l’inspecteur.

Quelques jours plus tard

Les derniers rayons de soleil luttent pour traverser les feuillages au bord du pré et obligent Cyn à fermer les yeux. Elle savoure leur chaude caresse sur son visage. Le mur de pierres contre lequel elle est adossée réfléchit encore la chaleur emmagasinée l’après-midi. L’air frais de la prairie passe sur ses jambes étendues. Un mouton bêle un peu plus loin, deux autres lui répondent. Le troupeau, la tête dans les hautes herbes, broute paisiblement. Puis le silence, de nouveau.

« Tiens. » Viola pose un verre sur la table en bois brut devant sa mère. Elle prend place à ses côtés sur le banc. Elles trinquent, boivent et écoutent les grillons.

« On a encore téléphoné sept fois, et tu as environ cent mails », dit Viola.

Cyn ne répond rien. Les yeux fermés, elle attend le prochain rayon de soleil, mais la fraîcheur du soir commence à se faire sentir. Des amis d’amis lui ont prêté cette maison retirée de Lake District.

Elle ouvre les yeux, regarde sa fille qui porte une nouvelle paire de smartglasses.

« Je ne suis disponible pour personne, dit-elle enfin.

— Je sais. »

Cyn, de retour à Londres, a remarqué que Viola ne portait plus de smartwatch.

« Grâce à la carte de téléphone prépayée, on ne peut pas nous trouver. Puis j’utilise des programmes d’anonymisation sur Internet et je passe par un Mesh.

— Mesh ? répète Cyn, interrogatrice.

— Un réseau libre. Un réseau maillé. Une sorte d’Internet parallèle. Des initiatives privées au niveau local que l’on trouve avant tout dans des endroits où les gens luttent contre la centralisation d’Internet et son flicage, ou alors là où il y a rupture des réseaux de communication traditionnels. Ils ne sont infiltrés ni par les services de renseignement ni par les publicitaires. »

Comment sait-elle ce genre de choses ?

« Mais ne crois pas qu’on ne puisse pas te trouver ici ! Mesh ou pas ! »

Elle désigne la vieille Vauxhall à côté de la maison avec laquelle elles sont venues. Un véhicule d’une époque où les voitures étaient conduites par de vrais chauffeurs et où le passager regardait l’itinéraire sur une carte. Un véhicule sans GPS ni électronique, prêté par les mêmes amis d’amis.

Cyn avait dû rester deux jours encore à New York, jusqu’à ce que la police la relâche. En raison du nombre d’interviews pour lesquelles on la sollicitait, elle aurait pu rester une semaine de plus, mais elle voulait absolument être présente à l’enterrement d’Eddie.

Les enquêteurs cherchent maintenant les hommes que l’on voit sur les enregistrements de la caméra. Ils ont pu, en reconstituant leur emploi du temps, trouver différents indices, tels un visage non dissimulé, une plaque d’immatriculation ou encore d’autres objets sur lesquels ils ont retrouvé des empreintes digitales. Deux ont déjà été arrêtés, trois sont encore en fuite. La police a également analysé les liens entre EmerSec et la petite compagnie de sécurité. Henry Emerald a bien sûr nié tout lien entre EmerSec et les événements autour de Freemee. De même qu’Erben Pennicott a rejeté en bloc toutes les allégations. Mais les médias comme l’opposition, réveillés par Cyn, lui demandent des comptes.

« La baisse du nombre d’utilisateurs Freemee continue, dit Viola. Ils en ont perdu un quart. Pas étonnant après le Tchernobyl des big data, comme tout le monde l’appelle depuis ton article. »

Carl Montik a reconnu avoir mené une expérience, sans pour autant en donner tous les détails ni son étendue réelle. Il nie, bien entendu, tout lien ou toute responsabilité avec les trois mille morts.

« Tu ferais quoi si tu apprenais que tu étais l’une des cobayes de Freemee ? demande Cyn.

— Je ne sais pas, répond Viola.

— As-tu envie de le savoir, d’ailleurs ?

— Je… Je m’en suis beaucoup servie, mais c’est fini maintenant.

— Quoi ?

— Maman ! Combien de fois en a-t-on parlé depuis ton retour ? Freemee, c’est du passé ! Il y a des enquêtes en cours dans plusieurs pays, la mère d’Adam et d’autres ont porté plainte.