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Il sonne le ci-devant brigadier Grossel.

— Prenez l’enveloppe jaune qui se trouve dans mon coffre, lui dit-il, et remettez-la au commissaire San-Antonio. Elle contient vos titres de transport, des devises et une documentation détaillée sur la Terre Adélie, me révèle le Dabuche. Vous trouverez à Hobart l’équipement qui vous sera nécessaire pour débarquer au pôle. Hourrou s’en occupe.

C’est la fin de l’entretien. Je me lève et recommande à mon bien-aimé directeur de se soigner énergiquement afin qu’il connaisse bientôt des lendemains meilleurs dans la douceur retrouvée des matins triomphants.

Il me serre la main énergiquement. Il doit cogner le quarante, Pépère. Faut un certain cran pour s’occuper encore de la Terre Adélie quand votre bigorneau fait péter les thermomètres.

— Si l’explication de ce phénomène est d’ordre scientifique, dit-il, évidemment votre présence là-bas s’avérera inutile. Mais quelque chose me dit qu’elle n’est pas d’ordre scientifique. Alors je compte sur vous, mes amis…

D’un battement de cils, Béru promet de la sagacité, du courage et un triomphe total.

— À propos, m’sieur le directeur, risque-t-il avant de passer le seuil. Pour aller dans votre Terre Mélanie, faut se fringuer comment ? Je mets mon pardessus de demi-saison ou si mon Rasurel suffit ?

CHAPITRE II

Moi, jusqu’au moment d’écrire ce livre, je connaissais pas Hobart. Tout à l’heure, dans le chapitre premier, vous avez dû vous marrer quand vous avez entendu Béru demander si ça se trouvait dans la région de Dieppe, n’est-ce pas, mes gros malins ? Et pourtant, un qui vous aurait posé la question avant que je vous géographise la couleur vous aurait bien embarrassés. Il y a des lieux, des tas et des tas, qui restent insituables pour l’homme moyen.

Moi, avant la mission du Vioque, on m’aurait dit : « Hobart », je serais resté perplexe. J’aurais maté mon Petit Larousse, en loucedé. C’est comme la Tasmanie. C’est vrai que le blaze a un petit côté Asie Mineure, non ?

Et les longs-courriers ne font qu’accroître les incertitudes. Le Boeinge ridiculise la planète. Il en démontre l’exiguïté. On vagabonde d’un continent à l’autre par-dessus les nuages. On s’aperçoit que notre véritable univers c’est le ciel bien bleu. Peut-être qu’il deviendra également notre élément, un de ces prochains millénaires ? À force de prendre l’avion, il vous poussera des ailes, c’est sûr ! Vous deviendrez faucons, mes drôles, après en avoir été d’authentiques.

Bon, je vous disais : Hobart. Nous y sommes ! Un port ! Des grues, des grosses bittes, des bateaux noirâtres, des usines, une ville posée dans du vert.

Le zinc qui nous amène de Melbourne se pose sur une piste qui, de là-haut, ressemblait à un jeu de boules.

À peine au sol, on s’aperçoit qu’on est dans un patelin anglais. Pour nous autres, citoyens du monde, il ne reste plus que ça comme authentique dépaysement : l’ambiance britiche.

Lorsqu’on veut vraiment se décadrer, pas la peine de se farcir la longue croisière, mes amis. Londres suffit. L’Inde, le Brésil, le Sénégal sont superflus, dérisoires et vains. Quatre pas à faire, dont un de Calais, et vous voici franchement ailleurs.

— Voitise ze programme ? demande mon camarade devant le tapis roulant qui nous crache nos bagages.

— On file chez le correspondant du Vieux, toutes affaires cessantes.

— Et il crèche où t’est-ce que ?

— Je pense que c’est dans la banlieue car le nom de Hobart ne figure pas sur son adresse.

Effectivement, le taxi pressenti nous déclare que New-Queen se trouve à dix kilomètres de l’aéroport et nous réclame une coquette somme pour nous y conduire.

Moi, vous me connaissez ? Je ne discute jamais lorsque mes déplacements doivent figurer sur une note de frais. Nous grimpons dans un carrosse noir, haut sur pattes et plus moelleux qu’un édredon ; nous passons notre avant-bras dans les accoudoirs et nous contemplons d’un œil indifférent les constructions de briques cernées de pelouses comestibles qui défilent.

Le taximan est un vieux type coiffé d’une casquette à petits carreaux, qui ressemble à un jockey retraité. Il pilote lentement en mâchouillant un morceau de cigare qui a dû s’éteindre quelques années plus tôt et qu’il s’est abstenu de rallumer par mesure d’économie.

Le Gros s’endort après quelques dodelinements. Profitant de son silence (très relatif vu qu’il ronfle comme une turbine en plein turbin), je fais le premier point de la situation. Au cours du vol j’ai compulsé les documents relatifs à notre base du pôle Sud. L’importance de celle-ci rend effectivement sa disparition phénoménale. Mon impression est qu’un bouleversement géologique s’est produit en douce. Peut-être qu’à cet endroit de la Terre Adélie, le sol s’est englouti. Aucun sismographe n’a enregistré la catastrophe parce que cette dernière s’est opérée en souplesse. Je dois faire hausser les épaules de quelques scientifiques, mais enfin cette hypothèse n’est pas plus sotte que l’événement auquel elle se rattache, non ? Supposez qu’un matin, on ne trouve plus qu’une grande terre nue à la place de Poissy ou de Sainte-Foy-l’Argentière, nécessairement notre gamberge grimperait en mayonnaise. On se dirait que la nature s’est payé une petite fantaisie. Elle donne tant et tant, la nature, qu’après tout elle peut bien reprendre, je trouve. En général, elle donne discrètement et reprend dans le chaos. Mais pourquoi elle dérogerait pas un peu à ses habitudes, dites voir ? Pourquoi elle se mettrait pas, manière de changer, à nous filer des champs de blé instantanés et à nous faucher en souplesse la Dordogne ou la baie de Rio ? Sans casser la vaisselle. Comme on efface une pensée de Pascal au tableau noir ?

Nous suivons une route étroite, qui toboggante parmi des mamelons. De temps à autre, notre conducteur lève le pied pour écouter son moteur car les ronflements du Gros lui filent des bouffées d’inquiétude. Chaque fois il se gourre, le vieux jockey. Il prend les bourrasques nasales de Béru pour un déconnage de ses soupapes. Puis, rassuré, il remet la gomme en suçant sa bouillie de cigare froid.

Nous atteignons enfin une charmante localité, bien pimpante (pourquoi ne le serait-elle pas ?) qui miroite sous la pluie (quand je vous le disais qu’on est en pleine atmosphère anglaise !). Des banderoles, des drapeaux, des guirlandes indiquent que c’est fête au village. Un calicot annonce à l’entrée de l’agglomération que ce soir va se dérouler la fameuse émission télévisée qui a pour titre « Impossible is not tasmanien », animée par le réputé Guily-Guilyx. Sur la place du pays, une lice et des estrades sont dressées. On voit un peu partout des groupes électrogènes, des camions de son, des roulottes. C’est plein de câbles partout. Nonobstant la flotte, la population surexcitée se presse sur les trottoirs. C’est dans ce climat de liesse populaire que nous pénétrons dans la coquette city de New-Queen.

Wolfgang Hourrou habite un quartier un peu retiré du fait qu’il se trouve à l’écart.

Sa maison est en briques ocres. La porte et les fenêtres sont peintes en blanc. Elle ressemble à ces maquettes que l’on vend pour égayer les circuits de petits trains électriques. Un minuscule jardinet la précède, histoire de justifier une vasque de marbre au centre de laquelle glou-gloute un jet d’eau prostatique.

Je sonne et j’attends. De l’intérieur de la maison s’élève la voix acerbe d’un roquet, mais personne ne vient ouvrir. Visiblement, le correspondant de Pépère est allé voir ailleurs s’il s’y trouvait.