Выбрать главу

— Dont nous sommes, vous et moi, le coupé-je.

— Dont nous sommes, vous et moi, admet-il. Voyez comme nous sommes en bonne voie : jusqu’ici personne n’a eu vent de notre existence. Nous avons d’ores et déjà tissé une force fantastique. Nous pourrions faire fondre les pôles, si nous le voulions…

— Y aurait p’t’être ben du rififi dans le voisinage, mon pote ! doute Bérurier. Tant que vous goupillez vos mignonnes espériences à dache, au fin fond de la glacière, ça boume, et encore, voyez : on commence d’arriver au renaud ; mais c’est quand t’est-ce que vous passerez en surmultipliée que vous trouverez des os.

Le docteur sourit derechef.

— Homme de peu de foi, dit-il. Vous êtes le type même du sous-individu encombrant et superflu.

— Le sous-individu que vous causez aurait pas les mains enferrées dans son dos, qu’il vous ferait sûrement éternuer vot’lorgnon, camarade ! rétorque l’Enflure. Au lieu de nous gazouiller vos salades, vous feriez mieux d’envoyer de la becquetance. Avant de se mêler de refaire le monde, faut d’abord penser d’alimenter ceux qui s’y trouvent !

Le Japonais hoche la tête.

— Vous le serez, promet-il. Pour travailler, animal a besoin de sa pitance. Vous aurez le nombre de calories nécessaire.

— Travailler ? m’étonné-je.

— Parfaitement, répond notre interlocuteur. Nous en sommes encore au stade où nous manquons de main-d’œuvre.

— Vous avez besoin de monde pour détruire ce monde ?

— En somme, oui. On va donc s’occuper de vous. Vous nourrir pour mieux vous conditionner. Le moment viendra où vous saurez vous rendre utiles. Au lieu de regimber, acceptez votre sort délibérément, c’est ce que je suis venu vous expliquer. Vous ne pouvez pas vous échapper d’ici. Vous ferez vos classes dans cette oasis de paix. Plus tard, lorsque vous serez parfaitement intégrés à notre organisation, on vous déplacera sur d’autres terrains d’expérience. Mais, croyez-moi, il vaut mieux adhérer de son plein gré à ce qu’on ne peut refuser.

Ainsi parlait Kamasoutra !

Apparemment satisfait, le Dr Chudanlmaki se retire dans ses appartements, et sur la pointe des pieds.

*

Un peu plus tard, les péones du docteur viennent s’occuper de nous. Nous sommes déliés (non pas du secret professionnel, mais de nos entraves) et conduits à la salle de douches, ce qui n’est pas pour Bérurier d’un grand intérêt. Une fois nettoyés, rasés — je parle pour Béru et moi —, nos geôliers nous emmènent dans un réfectoire situé à l’autre bout de la propriété. Nous traversons un jardin odoriférant et passons devant une sorte de zoo-miniature où des lionceaux s’ébattent, tandis que des ouistitis se balancent par la queue.

— Auriez-vous imaginé qu’un tel prodige pût s’accomplir ? soupire Dominique.

— J’ai l’impression de rêver, avoué-je ; nous vivons l’aventure la plus faramineuse de tout l’étang, lapsusé-je par distraction car nous longeons une pièce d’eau.

Le repas est à base de riz cuit à l’eau et de conserves, mais il nous semble délectable. Il est arrosé de saké tiède, si bien qu’une douce euphorie s’empare de nous. Je me dis qu’on a peut-être bricolé un chouïa l’alcool de riz afin de nous rendre euphoriques, mais cette perspective ne me trouble pas, ce qui tendrait à prouver que la pseudo-drogue est vraiment au poil. Démonstration par l’absurde, mais l’absurde rejoint le positif. Il est son support. Tenez, ça me rappelle l’histoire de M. Paul Deschanel, ce président de la république qui descendait du train la nuit pour rendre visite aux garde-barrières et les impressionner avec ses pieds propres. Malgré ses frasques, les gars de son bled le réélurent aux élections suivantes, et comme on se gaussait d’eux, ils se justifièrent par ces mots magnifiques : « La preuve qu’il n’est point fou, not’ président, c’est qu’on a voté pour lui ». Dans le cas présent, je peux vous dire : « La preuve qu’elle est euphorisante, la drogue du Dr Chudanlmaki, c’est qu’on est heureux de l’avoir avalée ».

Je vois la vie du bon côté. Et même du James Bond côté ; car c’est bondesque ce qui nous arrive, je suis le premier à n’en pas disconvenir. Je me vois très bien bosser à l’œuvre secrète de rénovation terrestre, avec Dominique comme compagne. À nous le pôle Sud-Côte-d’Azur !

Lorsque notre repas est englouti, un nouveau personnage paraît. Un grand diable blond, au front proéminent et aux yeux suaves.

— Herr Hetick, se présente l’arrivant, je suis le collaborateur du Dr Chudanlmaki. On m’a chargé de votre instruction. J’espère que vous serez aussi dociles que les autres !

— Quels autres, amigos ? demande Sa Majesté en libérant un demi-mètre cube de gaz superflus.

Herr Hetick s’abstient de répondre directement.

— Vous le verrez, dit-il. Pour l’instant, contentez-vous d’obéir avec une confiance aveugle. Vous comprendrez très vite combien notre œuvre est belle, enthousiasmante, digne, en un mot, de la mission humaine…

— Glisse le reste sous la porte, on le lira à tête reposée, interrompt Béru.

Notre… moniteur fronce les sourcils.

— Six coups de fouet pour m’avoir interrompu, fait-il.

Il frappe dans ses mains. Un gus au crâne rasé surgit, armé d’un gros martinet. Il ressemble aux eunuques des films sur la Perse antique, telle que la concevait et nous la restituait le regretté Cécil D. dans le mille !

Il donne un ordre au père fouettard, et v’là l’autre gardien de harem qui lève son chat à neuf queues pour corriger mon ami. Naturellement, vous connaissez Béru et vous vous doutez bien que Pépère est pas le genre d’homme à subir une fouettée comme le premier marmot-voleur-de-confiture venu. Il esquive d’un bond arrière et attaque d’un bond avant. L’eunuque chope la bouille d’un Bérurier revigoré en plein étalage et partaux quetsches.

Dès lors que l’ennemi est à terre, le courroux du Dodu s’apaise. Il se contente de ramasser le fouet et de le brandir sous le nez pincé d’Herr Hetick.

— Si tu veux qu’y ait du rendement, Toto, t’avise pas à ces petits jeux-là, compris ?

Et il lui fait péter un coup de chlague dans le museau.

Un qui se déchaîne, c’est l’Allemand (car j’oubliais de vous dire qu’Herr Hetick l’est un peu sur les bords… du Rhin).

Il hurle à nous en perforer les cages à miel. Il ameute la garde. Il donne des ordres en conséquences… Good-bye notre belle euphorie. Nous voici de nouveau garrottés. On nous traîne par les pieds jusqu’à la porte. Nous sommes alors chargés sur un véhicule électrique, pareil à ceux qui sillonnent les pistes d’aéroport. Tout se passe dans une grande frénésie aboyeuse d’Herr Hetick. Il nous convoie lui-même jusqu’à une tour métallique située au bout de la station. Cette tour est en réalité une cage d’ascenseur permettant de quitter la vallée radieuse sans hélicoptère. Nous sommes hissés hors de l’immense serre et nous débouchons dans une grotte artificiellement taillée dans le roc. On nous fait longer la paroi bordant les dalles de verre jusqu’à un petit cirque au centre duquel s’élève un tuyau noir, coudé à son extrémité. Parvenus là, on nous sépare. Béru est enchaîné dans le fond du cirque après un anneau scellé dans la paroi, tandis que Dominique et moi-même sommes liés à l’entrée de ce cirque. Ce furieux de Hetick aboie alors, plus frénétique que jamais :