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Za dom spremni ! en pénétrant avec une moue inspirée un vagin rétif, parfois sanglant, parfois croûteux, mais le plus souvent bien tenu, comme il disait le socialisme a beaucoup fait pour l’hygiène intime, diable merci, il avait tout de même réussi à attraper des morpions, mais difficile de savoir s’ils provenaient d’un corps, de la paille ou de la crasse généralisée, impossible à déterminer, le pou vient avec le soldat et le prisonnier, parasites préliminaires, organismes préfigurant la décomposition à venir, les vraies bestioles qui vous mangeront réellement et sans pommade qui vaille : bactéries, champignons, larves, ou chiens renards et corbeaux si vous avez la malchance de tomber dans un coin où personne ne viendra vous ensevelir pour limiter au lent et minuscule l’effet de gomme des charognards, qui sont la majeure partie du vivant, tout comme les soldats, le barman itinérant a un uniforme lui aussi, il est seul derrière le comptoir bringuebalant qui traverse l’Italie à fond de train, avec quoi vais-je me soûler, combien de mignonnettes va-t-il falloir que j’ingurgite, le whisky sentirait trop le cafard écrasé, la chambrée, je choisis quelque chose de plus bucolique, du gin, plus proche de l’infusion et donc de la nature, des buissons, des fourrés, des bords de la Lašva, de Vitez, des alcools de prune ou de raisin qu’on s’enfilait là-bas, comme le Xoriguer de Minorque terrible genièvre d’ascendance britannique, je m’offre un gin, sec et tiède avec un hallebardier sur l’étiquette, dans un verre en plastique transparent, à la santé de la Grande-Bretagne, à la santé de sa reine et des chevaux noirs de Minorque, à saint Jean patron de la ville de Ciutadella à Minorque, patron des aigles et des îles perdues, Saint Jean l’évangéliste l’Aigle de Patmos premier romancier de la fin du monde, le barman me jauge du regard, quel genre de cinglé peut bien avaler du gin pur et sans glace, dans un train qui plus est et je ne serais pas loin de lui donner raison, c’est infect, cela brûle et laisse dans la bouche un goût de potion, de remède prescrit par Bardamu lui-même pour guérir je ne sais quelle sombre maladie de la misère, nous entrons dans un tunnel, mes tympans sont compressés, j’ai l’impression d’être dans une cage, j’ai besoin d’air, si je pouvais j’ouvrirais une fenêtre, j’y passerais la tête pour être décoiffé par le vent glacé de décembre — Stéphanie la brune son Céline sous le bras me ferait la morale si elle était là, elle me dirait tu ne vas pas boire maintenant, tu ne vas pas encore t’enivrer, elle utilisait
t’enivrer drôle de terme Dieu sait de quel livre elle l’a tiré, je préférais ne pas répondre, ne rien dire, commander mon verre ou me le servir tranquillement sans polémiquer, Stéphanie Muller vient d’une famille d’enseignants de Strasbourg, de ceux qui se saignent aux quatre veines pour que leurs enfants parviennent à quelque chose, ils avaient été si fiers qu’elle intègre Sciences-po, c’est là que nous nous étions rencontrés avant que je ne la recroise quelques années plus tard au détour d’un des couloirs sombres du boulevard Mortier, où j’œuvrais sous la férule de Lebihan l’amateur d’huîtres — les parents de Stéphanie savaient qu’elle travaillait comme analyste pour le ministère de la Défense, mais ignoraient exactement où, nous avons tous nos secrets, curieusement elle détestait tant la violence, les armes et la guerre (étrange vu son employeur) que je ne lui avais pas réellement raconté mes activités de soudard balkanique, par lâcheté : pour elle toute cette période de ma vie était très vague, floue, quelques photos, rien de plus, elle n’était jamais allée en Croatie, elle fut très étonnée d’apprendre que j’avais passé quelques mois à Venise, entre deux eaux, flottant comme un cadavre dans la lagune à l’odeur fétide, Stéphanie belle et brune aurait souhaité y aller, plus d’une fois elle revint à la charge : pourquoi pas Venise, elle avait trouvé un bel hôtel assez bon marché, des vacances nous feraient du bien, j’ai dû lui expliquer que je ne souhaitais pas y retourner, que je ne voulais pas revoir Venise la Sérénissime reine du brouillard et du tourisme, pas encore, c’était trop tôt, elle trouvait cela étrange, pourquoi, pourquoi, mais a fini par accepter de changer de destination, Barcelone était tout aussi méditerranéenne et attirante, à Venise j’avais été bien malade et bien miséreux j’avais toujours froid même enroulé dans mon tapis, je n’avais pas pu rejoindre la France, pas la force, pas le courage et je me cachais au beau milieu de la lagune en lisant toute la nuit en sortant au point du jour un soir j’ai rassemblé mes treillis mes uniformes j’en ai fait une grosse boule que j’ai brûlée dans le bac de la douche après l’avoir imbibée de rhum de cuisine, tout, insignes compris : je n’ai gardé que le poignard, sa gaine, et quelques crucifix en plastique, gadgets qu’on nous distribuait par poignées entières comme les clés du paradis aux volontaires iraniens sous Khomeiny, il fallait donner une réalité à la barbarie c’était le début d’une vie nouvelle le tissu se consumait dans une belle fumée au parfum de crêpes, on n’échappe pas à sa patrie, ma patrie je la flambais au rhum avec mes frusques de soldat et ma mère je la laissais dans le silence elle qui m’avait donné sans le savoir ce couteau et ces crucifix c’était sans doute elle que je voulais conserver avec les colifichets guerriers, les flammes de mon holocauste de salle de bains détruisaient l’illusion d’avoir eu un pays avec la même facilité qu’on avale un verre d’alcool fort c’est désagréable sur le moment on sent son parcours le long de l’œsophage et tout seul dans ce bar déchirant la campagne je vais m’en offrir un autre, un gin à la santé de ma mère croate et bigote, un gin