Выбрать главу

— On tâchera.

— Et tenez-moi bien au courant…

— Comme toujours, patron.

* * *

Chaque fois que je sors de chez le Vieux, je me précipite au troquet d’en face car un entretien avec le grand patron donne toujours soif.

Le taulier est en train de s’entraîner au 421, tout seulâbre derrière son zinc.

Au moment où j’entre, il dit :

— Tous les deux !

— C’est un titre de roman d’amour, fais-je. Allez, enflure, sers-moi un petit anjou…

Il rouspète à cause du terme qu’il juge impropre à la qualifier. Sa vieille haine contre la police s’exhale. Il affirme que nous sommes tous plus mal embouchés les uns que les autres et que des types comme nous ne méritent pas de vivre.

Ordinairement je le chauffe au paroxysme, mais je suis trop préoccupé par ma nouvelle mission pour taquiner un tas de sonneries[1] à patente limonadière.

Je sirote mon blanquet tout en gambergeant.

Assez bizarre ce turbin, vous ne trouvez pas ?

Non, vous avez de l’huile de ricin à la place de la cervelle, vous autres ! On vous raconterait n’importe quelle girie, vous la goberiez en ouvrant le bec !

Moi, ce boulot ne m’emballe pas. J’aime pas avoir à m’occuper d’un crime dont on connaît l’auteur et à qui la police laisse ses aises. Ça m’ulcère, ça me contriste !

Ce Stumer, je vais vous dire, c’est le genre de gnace que je hais le plus. Des espèces d’hommes d’affaires du crime. Des gars qui ont pignon sur rue et qui se foutent de la rousse comme vous vous foutez d’une fiente de pigeon.

— Ça ne carbure pas ? s’informe le patron que mon silence déroute.

— T’occupe pas, Lagonfle !

— Bon, bon, moi ce que j’en dis…

Je bigle ma montrouze, elle annonce onze plombes. Je fais alors le calcul suivant : je crèche à Saint-Cloud, c’est-à-dire presque à mi-chemin entre Pantruche et Le Vésinet. La première chose c’est de rentrer à la cabane pour changer de fringues et morfiller un brin, ensuite j’irai voir à quoi ressemble la taupinière du gars.

Je lance un nickel aurifié sur le zinc et je me prends par la pogne.

Félicie, ma brave femme de mère, est tout ce qu’il y a de joyce en me voyant.

C’est les bises d’usage. Après quoi elle me dit qu’il y a une lettre pour moi. Elle précise qu’il s’agit d’une lettre express, qu’elle vient de Lyon et qu’elle est certainement de l’oncle Gustave, vu qu’elle a repéré son écriture et qu’il l’a du reste contresignée.

Je m’installe dans un fauteuil afin de prendre connaissance de la fameuse babillarde.

Tatave fait la pige à la mère Sévigné, il en met long comme un jour sans Martine Carol. Il ne me parle que de son noyé. Ce sera évidemment la partie de pêche la plus marquante de sa vie.

Cher Coco,

Comme suite à ta visite, je te ci-joints une coupure parue dans Le Progrès de ce matin. (En première page pour te dire.) Tu verras que la photo serait assez réussie mais qu’on ne me distingue pas à cause des gaules que je n’ai pas eu l’idée de poser.

D’autre part, le journaliste a orthographié mon nom avec un « d » à la fin, alors qu’il faut un « t » comme tu le sais. Enfin cela me fait un drôle d’effet tout de même d’avoir les honneurs de la grande presse. (Ta tante n’en revient pas.) Comme tu verras dans l’article (sous la photo) signé Grenier, notre noyé a été identifié. C’est un repris de justice (s’il te plaît) et de Paris encore, qui fait partie d’une bande d’Alsaciens… Mais je ne t’en dis pas plus sur le sujet, tu liras les détails dans l’article.

Moi je n’en reviens pas. Tous les copains me charrient ; je peux pas en rencontrer un sans qu’il me demande si ça biche ou bien à quoi j’amorce pour pêcher le noyé. Moi tu me connais ? Toujours le mot pour rire. Je réponds : « À l’asticot ».

Tu parles d’une partie de pêche !

J’espère te revoir bientôt. Puisque tu es sur place, peut-être que tu peux avoir des détails sur notre noyé. On se demande ce qu’un Alsacien habitant Paris peut faire dans le Rhône.

Embrasse ta mère pour nous.

Ta tante se joint à moi.

Ton oncle pour la vie :

GUSTAVE
P.S. : Quand je retournerai à Pierre-Bénite, je donnerai un bonjour pour toi à la bistrote que tu sais.

Je plie sa lettre et la vague dans mes fouilles.

— Rien de cassé ? demande Félicie, surprise.

— Non, M’man, rien, Tatave m’envoie une adresse que je lui ai demandée pour la pêche…

Je garde la coupure de presse à la main. Je la lis. Le reporter explique notre pêche ahurissante. Il dit que la P.J. a pris les empreintes du mort et a reconstitué son signalement. Aux sommiers on a constaté qu’il s’agissait d’un certain Fred Almayer, vingt-huit ans, né à Strasbourg et habitant Paris depuis la Libération, titulaire de trois condamnations pour vol à main armée et vol avec effraction. Il a été tué d’une balle de 7,35 tirée en plein cœur à bout portant. Le cadavre était immergé depuis trois semaines environ…

Les policiers de Lyon et ceux de Paris enquêtent dans chaque ville.

Je replie le morceau d’imprimé. Un règlement de comptes dans le milieu… C’est le fait divers par excellence.

Le tonton est dans tous ses états, évidemment. Il doit vachement se faire reluire, Tatave. Il joue sûrement les vedettes auprès des veuves un tantinet salingue…

— Qu’est-ce qui te fait rire ? interroge Félicie.

— Des bêtises, M’man…

— Tu sors cet après-midi ?

— Je vais jusqu’au Vésinet…

Elle s’exclame :

— Au Vésinet !

— Oui, pourquoi ?

— Je voulais justement y aller un de ces jours, chez Mme Delange, tu sais, mon amie d’enfance ? La femme des pompes funèbres ?

— Eh bien ! si tu veux profiter de la voiture…

Ses yeux brillent. Rien ne fait davantage plaisir à Félicie qu’une virouze en guinde avec son chiard.

On se met à table dans l’allégresse.

— Tout en m’empiffrant des tomates farcies sauce tomate, je dédie une pensée à mon noyé… Pardon, à notre noyé. Tout au boulot dont m’a chargé le Vieux, je l’avais oublié, cézigue !

Une phrase de Tatave me revient :

« On se demande ce qu’un Alsacien habitant Paris peut faire dans le Rhône. »

Comme quoi la logique sort de la bouche des grandes personnes !

La logique !

— Est-ce logique pour un flic d’avoir à enquêter sur un voleur comme Stumer ?

CHAPITRE IV

Je livre à domicile

Des allées ombreuses comme dans les romans de la mère du Veuzit ; des statues piquées au milieu de pelouses ratissées ; des ponts lilliputiens enjambant de minuscules cours d’eau… Des casbahs en meulière au style impressionnant et aux dépendances plus impressionnantes encore, That is the Vésinet. Un coin chouïa pour les gnaces qu’ont sucré assez de grisbi au monde des affaires.

Un coin où les oiseaux ne gazouillent qu’après s’être cogné trois ans de conservatoire, vous connaissez ?

L’avenue des Pages est à droite de la grand-route qui fonce sur Saint-Germain. On la dégauchit rapidos.

— Je te débarque chez la mère Delange ? je demande à Félicie…

вернуться

1

Il paraît que je dois tempérer ma grossièreté naturelle !