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Comme on ne fait rien de bon le ventre vide, je vais casser une graine dans un petit restau à rideaux rouges sur la nationale.

La tortore est mimi : tripes à la mode, steak au poivre, soufflé. Je me bouscule deux fines et je constate que le moment est venu de jouer mes brèmes.

J’espère que les deux zigs de la maison fermée aiment les oranges. Enfin, je peux toujours me pointer. Au cas où ça ne tournerait pas rond, je leur dirai que j’ai perdu mon stylo en livrant, tout à l’heure.

Je m’annonce donc devant la grille. Je sonne : tintin… J’entends le grelottement argentin à l’intérieur de la strass. Personne ne répond. Par mesure de sécurité, je remets ça… Je compte jusqu’à vingt, posément, puis je fais appel à mon sésame, vous savez, ce petit outil particulier qui enjôle les serrures.

En moins de temps qu’il n’en faut à un gendarme pour comprendre la dernière de Titin, je suis dans la place.

Et je vais vous dire, il était temps que je m’annonce, because ma séance a eu des conséquences imprévues. Le couple est groggy. Stumer gît dans un fauteuil de la salle à manger, sa donzelle est allongée sur le tapis style persan-Bazar de l’Hôtel de Ville et, pendant ce temps, le gaz part, comme dirait mon collègue Bérurier, qui a toujours de l’esprit à distiller. Le café qui chauffait s’est mis à bouillir, il a éteint la flamme et ça renifle le gaz.

J’éteins presto. Je ne pense pas que mes deux mecs aient été incommodés ; néanmoins, il était temps.

Je les examine : ils en ont pour un moment à récupérer.

Je me mets en devoir de fouiller la maison méthodiquement. Je commence par la cave, et je termine par le grenier. Rien ne m’échappe. Pas un millimètre carré de ce pavillon. Je décroche les tableaux, je sonde les murs, je fouille dans les pots de farine…

Je palpe les fringues, je décloue les tapisseries de fauteuil, j’éventre les matelas.

Zéro sur la question des documents. De toute évidence, Stumer a pris ses précautions. Il a carré ceux-ci dans un endroit sûr, car il a tout prévu, le bougre.

Je reviens à la salle à manger, où le couple flotte toujours dans une bienheureuse inconscience.

Et alors, je me dis qu’il faut cogner un grand coup.

L’heure n’est plus à la rigolade. Lorsque Stumer reprendra connaissance, il comprendra que sa campagne a été l’objet d’une sérieuse razzia.

Tant qu’à faire, autant y aller à fond.

Je ramasse la môme par les aisselles, je la charge sur mon épaule et je la porte jusqu’à ma bagnole.

Lorsqu’elle est allongée sur le coussin de derrière, je reviens au bonhomme. Je tire mon carnet de notes, j’arrache un feuillet blanc et j’écris :

Stumer,

Si tu veux revoir ta souris sur ses deux pattes, ne joue pas au con et attends le coup de téléphone.

Un ami qui te veut du bien

Ça n’est pas génial, mais ça doit suffire à intriguer un zig dont l’existence n’est pas particulièrement de tout repos. Il va se demander si c’est un coup de la police ou d’une autre bande. Dans l’expectative, il attendra. Il n’osera rien entreprendre. Pour peu qu’il tienne à son brancard, je vais peut-être arranger mon kidnapping aux petits oignons.

Je me trisse après lui avoir collé mon mot dans la paluche. Comme il n’est pas con, il va faire son enquête. Il comprendra que le garçon épicier est suspect. Il demandera des explications à mon « employeur » d’un jour.

Je passe chez ce dernier.

— Écoutez, papa. Stumer va rappliquer dans un moment. Il va vous poser mille questions à mon sujet ; si vous avez le malheur de lui dire que je suis de la Grande Taule, je me fâche, et quand je me fâche ça fait un tel baroud que mes victimes regrettent d’avoir été mises au monde, compris ?

« Dites-lui que je me suis présenté chez vous de la part d’un bureau de placement et que j’ai disparu, compris ?

— Compris.

— Parfait !

Je décarre.

Maintenant, il me reste un drôle de turbin à faire : planquer ma proie.

C’est vachement délicat. Le colis le plus encombrant qui soit, c’est encore un humain. D’abord, ça tient de la gâche, c’est lourd à coltiner, et puis ça ne peut pas se fourrer n’importe où.

Je me titille la matière grise tout en regagnant Paris.

CHAPITRE VI

Du neuf et du déraisonnable !

— Tu as l’air tout chose ! remarque Félicie.

Elle me connaît par cœur, comme l’alphabet.

Je lui explique mon dilemme :

— J’ai dans ma guinde la souris que tu as vue, ou plutôt aperçue, hier, au Vésinet.

— Comment ça ?

— Je l’ai enlevée…

La brave femme paraît terrorisée…

— Enlevée ? répète-t-elle.

— Oui, comme ça se fait dans les romans américains, tu es contre ?

Elle soupire :

— Enfin, tu sais ce que tu as à faire…

D’accord sur tous les points, Félicie. Dans un sens, c’est la daronne facile.

— Il faut que je planque cette souris, dis-je… Elle va me servir d’appât, en quelque sorte. Seulement je ne sais pas où la mettre.

— Pourquoi ne la laisserais-tu pas ici ? suggère ma brave femme de mère. Dans la chambre d’amis ?

— Je ne veux pas te mettre dans le coup ! Ce que je fais n’est pas très réglo.

Elle hausse imperceptiblement les épaules.

— Réglo, réglo ! murmure-t-elle.

Dompté, j’accepte la proposition.

— Bon ! On l’installe ici…

Je monte la donzelle au premier. Il y a une chambrette tapissée en bleu pervenche qui donne sur l’arrière de la maison. Un lit de cuivre, vachement astiqué, une commode ancienne, un fauteuil, c’est tout.

Je la colle sur le pageot. Puis, je ferme les volets de fer et je passe une chaînette à travers les fentes de ceux-ci. Je boucle la chaînette au moyen d’un cadenas. Je ferme la fenêtre.

Ensuite, je prends une vieille paire de menottes, j’emprisonne la cheville gauche de la fille et je fixe l’autre boucle au montant du lit. De cette façon, elle ne peut pas faire grand-chose pour se libérer… Si elle gueule, je lui collerai du sparadrap sur le museau : mais il n’en est pas question pour l’instant.

— Bon ! fais-je à Félicie. Maintenant, laisse-nous, M’man. Je prendrai la clé de la chambre et officiellement tu n’es au courant de rien, d’accord ?

— Comme tu voudras…

— C’est moi qui m’occuperai de cette pensionnaire…

— Elle va rester longtemps ici ?

— Ça dépend d’un tas de facteurs…

Félicie fait un petit signe de tête qui veut dire : « À ton aise. » Puis, discrètement, elle les met.

Je referme la porte et je me laisse choir dans le fauteuil, auprès du lit. J’attends que la poulette recouvre ses esprits. En attendant, je l’examine à loisir. Vraiment, ça vaut le coup d’œil. Quand je pense qu’il y a des locdus qui donnent des trois cents balles pour grimper à la tour Eiffel, alors qu’ils ont à leur hauteur des spectacles aussi sensationnels !

La petite est jeune, vingt-trois ans, à mon avis. De près, elle fait vraiment gosse, alors que de loin elle donnait l’impression d’être une femme de trente berges. Sa peau a une couleur extraordinaire, chaude, ocrée, duveteuse… On a envie de mordre là-dedans comme dans un fruit.

Doucement, j’avance la paluche et je me mets à lui caresser le visage…

C’est doux, c’est tiède…