Выбрать главу

Je fouille les fringues de la penderie, mais sans résultat. Elles ne contiennent rien d’essentiel, aucun papier sinon des lettres de fournisseur adressées à Théodore Schwob…

Satisfait de ma visite nocturne, je quitte la casba après l’avoir poliment reverrouillée derrière moi.

Je viens de faire un nouveau pas en avant.

* * *

Félicie n’est pas encore zonée…

— Debout à ces heures ! je lui fais en entrant.

— Oui, je voulais savoir… J’en ai profité pour faire ma vaisselle. Alors ?

— Alors, tu avais raison, M’man… Parfois je me demande comment il se fait que je sois si intelligent, maintenant je sais : je tiens de toi. C’est l’hérédité qui parle…

Elle rit.

— Une femme ?

— Et peut-être aussi un homme… Coup double. On pensait que mon type était seul au meeting et en réalité il s’y trouvait dûment accompagné…

— Tu veux manger quelque chose ?

— Non, sans façon…

Je m’assieds et je pose sur la table ma provende. Un à un j’examine les papiers prélevés dans la coupe de porcelaine. Ils m’apprennent que le vieux se fournissait à Villennes et qu’on le livrait à domicile… Demain faudra que je fasse une petite tournanche des commerçants…

Outre les factures, je dégauchis un reçu de teinturier. Dessus il y a un « complet de flanelle grise ».

Ça m’intéresse bigrement, parce que la flanelle, le vieux devait la porter à même la peau… Ses costars à lui étaient taillés dans des tissus plus classiques…

Je note l’adresse du teinturier. C’est rue Saint-Lazare… Faudra que j’aille dire un bonjour également à ce digne commerçant.

— Content ? me demande Félicie…

— Ravi… Je crois que tu m’as branché en direct sur la bonne voie…

Un doux éclat satisfait illumine son regard. Elle ôte son tablier et frotte sa jupe afin de la défroisser.

— Tu dis que cet homme était le bras droit d’Hitler ?

— Pas d’Hitler, d’Himmler… Le grand manitou de la Gestapo.

Elle hoche la tête.

— Alors, si tu le retrouves, prends bien garde à lui, mon grand, cet homme doit être dangereux…

— T’en fais pas, M’man, j’en ai blousé d’autres…

Elle médite un instant et murmure :

— Et s’il était devenu un être normal ? Rien ne prouve qu’il ait une mauvaise activité. Depuis la guerre il a pu faire un retour sur lui-même.

— Quand les zigs comme lui font un retour sur eux-mêmes, c’est qu’ils viennent de prendre un chargeur dans les tripes, M’man…

CHAPITRE V

Le lendemain il fait beau. Ça me met de bonne humeur. J’avale un bol de café et je reprends la route de Villennes pour en finir avec cette histoire de commerçants.

J’ai le bol de trouver la bouchère de Schwob, son boucher, le garçon boucher, le livreur et une série de quartiers de bœuf…

Tout ce petit monde débite de la barbach avec entrain en fredonnant le dernier succès de M. Eddie Constantine.

J’arrive avec ma carte de flic à la main exactement comme une mouche à miel dans un bol de lait. Je perturbe l’atmosphère…

Ils écoutent mon baratin en se grattant le dos avec leurs coutelas.

Le boucher est un gros zig au bord de l’hémorragie cérébrale et sa nana est prête à faire fondre à feu doux un nid de petits oignons.

— Oui, M. Schwob était un client… Il mangeait de la viande tous les jours depuis qu’il avait quelqu’un chez lui.

Je m’adresse au livreur, un gamin boutonneux qui doit planquer des journaux pornos sous la selle de son triporteur.

Je produis la photo de Luebig.

— C’est bien le monsieur qui habitait chez Schwob, n’est-ce pas ?

Il file un coup de saveur et secoue négativement la tête. Je sens alors mes espoirs se flétrir comme un cactus parachuté sur le cercle polaire.

— Pas du tout, dit-il…

J’insiste… Tu en es bien certain ?

— Et comment, l’homme qui habitait chez Schwob, je l’ai vu plus de mille fois ! Il me filait la pièce quand je livrais… C’était un homme jeune… Il ne devait pas avoir trente ans !

J’en suis malade de déception. Si je m’écoutais, je m’assiérais sur la pointe du fusil à aiguiser.

— Comment était-il, cet homme ?

— Grand… roux…

— Roux ?

— Oui…

— Il portait les cheveux longs ou bien était-il coiffé à la Marlon ?

— Il avait les cheveux longs…

— Un accent étranger ?

— Non…

— Tu n’as jamais entendu son nom ?

— Son prénom seulement… Il s’appelait Germain…

— Comment le sais-tu ?

— M. Schwob, un jour, qui lui a demandé s’il avait de la monnaie.

— Tu dis qu’il était grand… Qu’appelles-tu grand ?

— La tête de plus que moi.

Comme le porteur d’escalopes est d’une taille très honorable, je dois convenir que le rouquin en question était effectivement de haute taille.

— Tu ne vois rien d’autre à me dire ?

— Non…

— Pas de femme à la maison ?

— Je n’en ai jamais vu !

— Ça faisait longtemps que ce Germain habitait chez Schwob ?

— Deux mois environ…

— Il sortait dans le village ?

— Non, jamais il ne quittait la maison. Il était pâle comme s’il relevait d’une grave maladie…

— Tu n’as aucune idée des liens qui l’unissaient au vieux ? C’était un parent ou un ami d’après toi ?

— Je l’ignore… Vous savez, je passais en vitesse, bonjour, bonsoir…

— D’ac… Eh bien ! je te remercie, tu n’es pas bête…

Le compliment le fait rougir et comble d’aise le louchébem qui y voit un fleuron de plus pour sa maison.

Je quitte les marchands d’animaux morts. Je suis pensif… Toujours… Lamartine, à côté de moi, aurait l’air d’un petit étourdi.

J’allume une cigarette qui ne me fait aucun plaisir. Voilà déjà des bâtons dans les roues ! Ça boumait trop bien au départ, fallait s’attendre à du contre-carre !

Je suis obligé de me ranger sur ma droite parce qu’un camion gros comme le Palais des Sports obstrue la chaussée. Je m’aperçois alors que je suis pile devant la gendarmerie nationale au fronton de laquelle flotte un drapeau de couleurs indéfinissables.

Je mets le frein à pogne et je descends. Un gendarme à moustaches et aux manches ornées de sardines m’accueille avec un regard soupçonneux.

— C’qu’v’v’lez ? s’enquiert-il en paraissant regretter que cette question ne comporte pas de r qu’il eût pu rouler.

Je lui montre ma carte. Il salue aussi militairement que possible et un sourire fétide (ses douze dernières dents sont cariées) s’épanouit sous sa moustache.

— Enchanté, m’sieur le commissaire, entrez donc…

Je m’insinue dans une pièce qui sent la vieille affiche de mobilisation générale moisie et la mouche morte…

Une chaise dépaillée s’offre à mon postérieur démocratique.

Je les mets en contact.

— J’v’s’écoute, m’apprend le moustachu.

Je croise mes paluchettes sur mes genoux.

— Dites, brigadier, l’affaire Schwob, c’est vous qui vous en êtes occupé ?

— Zoui.

— Bon, alors c’est moi qui vous z’écoute…

Il fronce ses sourcils jusqu’à ce que ces derniers se soient unis pour le meilleur et pour le pire !

— On nous a prévenus qu’un cadavre gisait sur la voie ferrée… C’est une équipe de vérification qui l’a découvert à six heures du matin… J’y suis t’été immédiatement…