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San-Antonio

Fleur de nave vinaigrette

AVANT-PROPOS

Sachant que la plupart de mes contemporains sont d’un tempérament bilieux, je prends soin, chaque fois que je publie un nouveau chef-d’œuvre, d’informer le lecteur que mes personnages sont imaginaires, fictifs et tout. Cette fois, la précaution me paraît superflue : qui donc, quel crâne plat, quel cerveau ramolli, irait supposer que les héros de ce livre sont réels ?

De même ses aspects historiques et géographiques n’échappent pas à la fantaisie de ma remarquable imagination. Toute ressemblance avec des personnes (fût-ce des empereurs) existantes ou ayant existé ne serait pas une coïncidence mais un miracle.

« Fleur de Nave vinaigrette » n’est qu’une immense tarte à la crème que je vous balance à la frite pour rigoler.

J’espère que vous trouverez la crème assez fraîche et que vous comprenez la plaisanterie.

Votre vieux :

S.-A.

CHAPITRE PREMIER

Comme chaque fois que le cousin Hector venait torturer at home (de Savoie), après le dessert, contrairement à ce que préconise une chanson de salle de garde, nous ne savions plus quoi foutre et nous nous regardions en cousins de faïence, lui et moi, pendant que Félicie, ma brave femme de mère, faisait la vaisselle. Ordinairement, j’essayais de m’esbigner en loucedé, mais m’man était si désemparée en me voyant mettre les adjas que j’avais de moins en moins le courage de l’abandonner entre les griffes d’Hector.

Ce dimanche-là, Hector s’était pointé avec un bouquet de chrysanthèmes. Probable que ce mois de novembre le poussait à la mélancolie. « Tu vas au cimetière ? » avais-je interrogé. Il s’était renfrogné comme un accordéon dans sa housse.

D’autant plus que ce matin-là il était plus amer qu’une bouteille de Fernet-Branca. Il avait eu des démêlés au burlingue avec son sous-chef. Une vraie tragédie antique ! Jugez-en plutôt (ou plus tard, si vous n’avez pas le temps maintenant) : M. Pinson, son supérieur, lui avait demandé de lui rapporter du bureau de tabac où Hector allait faire l’emplette de timbres, une boîte de cachous (substance astringente extraite des fruits de l’arec). Hector avait accompli cette mission délicate avec la vaillance, la sagacité et le sens des responsabilités qui sont l’apanage (blanc) de notre famille. Seulement, il avait acheté des cachous Bézuquet, alors que M. Pinson ne consommait — c’était notoire — que des cachous Lanfoiré. Drame ! Pinson avait nié les qualités intrinsèques et intrin-humides d’Hector.

Il l’avait traité d’incapable, de diminué mental, de refoulé sexuel et autres qualificatifs plutôt désagréables.

Ce qu’entendant, Hector avait osé une chose que de mémoire de gratte-papier nul avant lui ne s’était permise : il avait tiré la langue à son sous-chef. Vous imaginez le scandale ? Rapport en haut lieux ! Admonestation du sous-chef-chef, du chef-sous-chef et du chef-chef ! Rationnement sur le papier à faire les cocottes ! Tracasseries multiples de la part des collègues perfides qui allaient jusqu’à faire des taches d’encre sur ses manches de lustrine pour se faire bien voir du sous-chef !

Brimades de celui-ci qui, lorsque Hector eut à changer sa plume, lui refusa une plume sergent-major pour lui octroyer une plume baïonnette, ce dont Hector avait une sainte horreur. Bref, son bureau était devenu l’enfer. Et mon cousin m’expliqua après le repas, entre le café et le petit verre de Cointreau, qu’il songeait sérieusement à solliciter sa mise à la retraite anticipée.

— Mais que ferais-tu, dans le cas où la chose se réaliserait ? m’inquiétai-je.

Hector s’était raclé la gorge, avait craché discrètement dans un mouchoir noirci par le tabac à priser et, d’une voix lamentable :

— Vois-tu, Antoine, je suis un pas-de-chance. La vie a toujours été rude pour moi. Qu’ai-je eu comme joie ? Les palmes académiques ? Oui, je sais… Mais j’étais fait pour mener une autre existence.

— Tout le monde, lui dis-je. A ce titre-là tous les hommes sont des ratés. Je réitère ma question : une fois à la retraite, que feras-tu ?

— N’importe quoi !

— Ce sont les gens qui ne savent rien faire qui font n’importe quoi !

— Je suis fonctionnaire depuis vingt-trois ans, six mois et dix-neuf jours, se lamenta sombrement Hector, que pourrais-je savoir faire ?

Tant d’humble franchise m’émut. Afin de lui changer les idées, je lui proposai une balade.

— Aller où ? ronchonna mon estimable parent en pinçant son nez jaune.

J’eus alors une idée, innocente en elle-même, mais qui devait avoir par la suite des conséquences extraordinaires.

— Tu connais mon ex-collègue Pinaud ?

— Effectivement.

— Il s’est retiré à Vincennes où il tient un café. Si nous allions lui dire un petit bonjour ?

Hector fit son examen de conscience, branla le chef (il est célibataire) et soupira :

— Je méprise souverainement les cafés qui sont, comme chacun sait, des lieux de perdition où l’homme subit sa plus grave dégradation…

— Respire ! lui dis-je.

— Pardon ?

— Respire ! Sortir des phrases aussi longues sans escales, c’est un truc à vous conduire à l’infarctus !

Il haussa ses robustes épaules en forme de parapluie roulé.

— … Mais néanmoins, poursuivit mon vénéré cousin, la personne de ton ami Pinaud ne m’est pas antipathique, tout au contraire. C’est un homme pondéré et qui possède d’assez bonnes manières pour un ancien policier.

Nous partîmes donc sur ce jugement flatteur. Félicie refusa de nous accompagner, alléguant le ménage à faire et les oiseaux sans tête à préparer pour le soir.

Il faisait un temps d’arrière-saison du genre suave : soleil tiède, langueur à tous les étages avec, venant des Açores, la formation d’un anticyclone de direction nord-est assez prononcée.

Hector mit un certain temps à pénétrer dans ma M.G. Il y parvint à l’instant précis où j’allais chercher un chausse-pied pour faciliter l’opération.

— J’ai une sainte horreur de ces voitures sport, me dit-il tandis que je roulais à travers le bois. C’est inconfortable, cela vous brise les reins et on a des courants d’air dans la nuque.

— Entièrement d’accord, convins-je, ça ne vaut pas un bon édredon, mais avoue que ça va plus vite…

Hector marqua sa réprobation en relevant le col de son pardingue aussi râpé que le dos d’un vieil âne qui coltinerait des limes à métaux.

Paris était presque vidé de ses voitures. Il y avait tellement de place partout qu’on avait envie de s’arrêter tous les dix mètres afin de parquer à satiété (j’adore les jeux de satiété[1]). Les bouches de métro bâillaient d’ennui. Des messieurs tristes allaient consommer dans les cafés, et des couples dans les hôtels. Il y avait à ce propos des queues énormes devant les cinémas, principalement devant ceux qui projetaient des histoires de fesse, ceci étant la conséquence de cela. Sur les esplanades, les platanes faisaient du surplace et sur les places, des poulbots faisaient l’arbre-fourchu. Rien n’est plus tragique, rien n’exprime avec plus de force la précarité de l’existence que Paris un dimanche après-midi d’automne. Des feuilles mortes tourbillonnaient au vent mauvais qui les emportait de-ci, de-là.

Hector qui n’avait rien dit depuis ses pertinentes considérations sur l’industrie automobile, tira la langue qu’il avait agile et s’en frotta le bout du nez. Après quoi il soupira.

— Tu vois cette tristesse ambiante, Antoine ?

— Yes, Hector.

— Eh bien, elle me fait songer à celle qui règne dans mon modeste appartement de célibataire.

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Complètement idiot, mais ça crée l’ambiance !