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Lorsque j’ai rédigé l’enveloppe, il rafle le blaud, l’enfouille et se lève.

— J’espère que cette brave dame prendra, comme l’on dit, votre demande en considération, déclare-t-il. L’I.S. aimerait beaucoup voir un gars de votre trempe auprès d’elle. C’est le genre de femme qu’il fait bon surveiller.

Il me tend sa main précieuse et se fait la valise.

Je le regarde partir sous la flotte.

Drôle de bonhomme…

* * *

Quatre jours plus tard, montre en main, le Vieux me convoque.

Il a son œil grave des instants solennels et son crâne, aussi dépourvu de tifs qu’un presse-papier de cristal, brille tendrement à la lumière de sa lampe de burlingue.

— La réponse est arrivée, dit-il… Et elle est favorable. La Filesco vous engage. Elle vous envoie tous les papiers nécessaires pour que vous preniez livraison d’une voiture qu’elle a commandée : une Frégate. Je ne vois pas très bien pourquoi elle achète une bagnole en France, mais enfin… Bon, vous irez chercher le véhicule en question, puis vous traverserez le Channel à Calais, par le ferry-boat de demain, 14 h 30 gare de transit…

Il me regarde.

— C’est tout, San-Antonio !

— Parfait… Pas d’instructions particulières ?

— Aucune… Soyez un bon chauffeur… et observez les agissements de la dame. Votre rôle est tout ce qu’il y a de passif. Si quelque chose vous semble suspect, téléphonez à l’inspecteur-chef Rowland au Yard, il est au courant…

— Entendu…

— Voici des papiers au nom de Georges Rouquet… Voici des certificats de travail qui font de vous un employé modèle…

Il s’arrête. Comme j’ai lu mes classiques j’ai envie d’ajouter :

— Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous…

Mais le boss n’entraverait que pouic à cette plaisanterie. Du reste, l’humour, c’est pas son fief à ce gnace.

— En somme, conclut-il, ce travail n’en est pas un… Mettons que ce soit des demi-vacances.

La moutarde me monte au nez.

— Écoutez, patron, dis-je, en faisant un effort maison pour me contenir, mes vacances, d’ordinaire, je les passe dans une chaise longue au soleil, et non en faisant le larbin.

Il pige le bien-fondé de ma rouscaillerie.

— C’est vrai, admet-il.

Pour qu’il abaisse son éventail, faut qu’il se sente morveux.

Il me serre la main en regardant ailleurs.

— Bonne chance…

— On tâchera…

* * *

Il est treize heures et des poussières lorsque je débouche dans Calais après avoir foncé comme un dingue depuis Boulogne. Il pleut sur la ville pire que dans le cœur de Verlaine. Les maisons de brique sont tristes comme un rendez-vous d’amour raté.

Une horloge de ville me rancarde sur l’heure et me dit de me manier la rondelle, because il est bien entendu que les dingues, qui ne seront pas à quai une plombe avant la décarade du barlu, pourront aller se faire déguiser en tramway à pédale…

Les quais sont noirs, sinistres, couverts de mâchefer… Des rails, des cahutes en tôle ondulée, des petits troquets minables…

Les essuie-glaces de ma tire fonctionnent à tout-va, et la sauce continue de ruisseler vachement sur la vitre bombée du pare-brise. Enfin je débouche sous un immense hangar neuf et largement vitré.

Des mecs des douanes s’occupent de ma pomme. Les bagnoles sont alignées sur huit rangs, bien sagement. Je suis le seul Français à m’aventurer dans l’île à Churchill. Tout le reste est english jusqu’au trognon, les pégreleux de la Grande Albion rentrent dans leurs terres après avoir visité le Louvre, le tombeau de l’Empereur, la tour Eiffel et le musée Grévin. Ils vont raconter Paris à leurs voisins de cottage, un Paris pour prospectus de syndicat d’initiative, avec des cars for Versailles, des Montmartre by night et tout le circus en Technicolor…

Une petite plombe s’écoule dans le courant d’air du hangar. Enfin, par une rampe mobile, on grimpe à la queue leu leu à bord du Halladale.

Lorsque j’ai hissé mon bahut sur le pont, un mataf qui ressemble à Popeye, en plus locdu, vient me baragouiner quelque chose sous le pif. Il jacte tellement vite que je ne pige rien à ses salades.

— Cause francecaille si tu veux que je te réponde, lui dis-je.

Mais tout ce que je tire de lui c’est un rire tellement crétin qu’un académicien en pleurerait.

Il reprend son évangile.

— Me casse pas les valseuses, Jean Bart ! Tu sens l’oignon, c’est nocif pour les relations internationales.

En gambergeant à ce qu’il peut me bonnir et en me basant sur les larges gestes dont il ponctue sa diatribe, je déduis qu’il entend me voir décamper de la tire après avoir serré le frein à pogne et laissé les chiaves de contact sur le tablier. J’obéis. Il approuve d’un mouvement de hure frénétique. Il s’installe à mon siège, comme un pape, et se taille avec mon os dans les profondeurs de l’arche.

Je hausse les rouleuses et je grimpe une passerelle conduisant au pont.

C’est bourré de touristes icigo. Il fait fin de vacances-retour at home, le pont du Halladale, moi je vous le dis. Des fringues fripées, des valoches éraflées et truffées d’étiquettes, des appareils photo qui ont cligné de l’œil devant l’Arc de Triomphe et les jardins du Palais-Royal… Des mouflets turbulents, des vieilles croulantes sous les plaids, des voyages de noces aussi, déjà embrigadés dans de la bonne routine matrimoniale…

Je monte sur la plate-forme supérieure et je bigle le large d’un regard aigu comme un accent du même nom. La flotte ruisselle sur mon C.C.C. et bouche l’horizon. La France est couleur de suie aujourd’hui. J’aperçois, au sommet d’une falaise, un moulin à vent qui paraît avoir été oublié là par une équipe de cinéastes…

Des grues dessinées à l’encre de Chine sur la grisaille ! Un vrai Simenon pour soirée au coin du feu, nature !

Une cloche sonne. Un mec nazillard débloque des ordres en anglais dans un micro. Les matafs s’empressent de tirer sur des filins et d’enrouler des cordages. Des treuils cliquettent…

Le Halladale s’ébroue comme une grosse bête réveillée. Doucement il sort du port. Une fois la passe franchie, il bombe sauvage en direction du large… Le vent souffle tellement qu’il faut se clouer les tiges sur le pont pour pouvoir tenir debout.

Écœuré, je descends dans une des deux cabines collectives réservées aux passagers.

La mer est tellement en renaud que le barlu tangue et roule comme un paumé. Des vioques extirpent presto les récipients glissés sous les banquettes pour aller au refil.

On se croirait dans un vomitorium.

J’en suis tellement ulcéré que je prends le parti le plus sage : celui de descendre au bar et de me faire servir un whisky toutes les dix minutes…

C’est le remède idéal pour lutter contre le mal de mer.

Lorsque nous arrivons à Dover, j’ai la bouche en fond de cage de perroquet et une boule de plomb roule dans ma terrine.

Enfin la terre ferme remet les choses en place. Un bref contrôle des douaniers anglais, assez coulants, et je fonce sur une route bordée de gentils pavillons…

Ironie, il ne pleut plus…

La campagne anglaise est plus joyeuse qu’on ne peut le penser. Ratissée comme un jeu de golf, avec des maisons qui rivalisent de coquetterie, des jardins gentiment arrangés, des autobus à deux étages ; des magasins colorés, des églises de style — je ne sais pas lequel par exemple ! Bref, tout ça est très enlevé…

Je mets cinq broquilles à m’accoutumer à la conduite à gauche. Comme dit mon pote Jeannot : « J’ai pris l’habitude en France ! »