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Une dernière fois j’hésite. Dois-je attendre encore ou bien me manifester ?

Après tout, Elia Filesco est peut-être venue retrouver un truand dans les bras duquel elle s’est endormie… Peut-être que cette maison est un coinceteau clandé où on tire sur le bambou ? Elle se farcirait des pipanches de noir, la Roumaine, que ça ne m’épaterait pas.

Je hausse les épaules. Tout ça ne tient pas debout. Pour retrouver un gigolpince dans un endroit aussi miteux, elle ne se serait pas sapée en conte des Mille et Une Nuits, non plus que pour fumer, ou alors faudrait que ça soit le vice… Du vrai, du grand, du compliqué !

Je quitte le bahut sentant le neuf et j’entre dans la baraque qui pue le vieux.

Un couloir s’offre à moi ; puis un escadrin de bois aux marches branlantes. Pour grimper au premier, faut avoir travaillé chez Amar. Plus je découvre cet immeuble lépreux, plus ma surprise croît. Les murs sont ravagés comme si des bombes étaient venues gambader dans le secteur. Après avoir risqué seize fois ma petite vie sur chacune des seize marches, je me trouve face à face avec une porte. J’arrondis un index prudent pour frapper. Mais comme mon doigt entre en contact avec le bois, la porte s’entrouvre car elle n’est pas fermée.

Moi je suis un mec dans le genre de Musset (Alfred pour les gerces) : je prétends qu’une lourde doit être ouverte ou fermée.

Lorsqu’elle n’est que poussée, c’est mauvais signe.

J’entre dans l’appartement et alors, les gars, j’éprouve plus que de la surprise : de l’ébahissement. Figurez-vous qu’une fois cette fameuse porte franchie on débouche dans un coin tout ce qu’il y a de chouïa. Un luxe, mes canards ! Une vraie débauche… La crèche de l’Aga Khan ressemblerait à la maison du jardinier à côté de celle-là. Il y a un large hall avec du marbre, des bronzes d’art sur des sellettes, des vases de cristal emplis de fleurs délicates, des tableaux de maîtres, des tentures lourdes et des tapis moelleux.

Ça vous a une gueule inouïe !

Je me frotte les châsses en me demandant si je rêve. Mais non, je suis tout ce qu’il y a d’éveillé. Une lumière indirecte, fort savante, fuse de tous les recoins de la pièce.

— Please ! je gueule, histoire d’alerter la population du coin. Mais elle est sourde ou absente, la population. Personne ne radine. Alors je décide de poursuivre mes investigations. Je trouve l’aventure terriblement excitante ! Cet immeuble croulant, dégueulasse, au fond d’un quartier sinistre qui abrite un tel luxe ! Jamais je n’ai vu ça…

Au bout du hall il y a un vaste espace qui, je le comprends, occupe toute la superficie de la maison.

Un escalier de marbre à double révolution descend dans un vaste living-room aussi soi-soi que le reste, sinon davantage. Des sofas couverts de satin mauve, un gigantesque piano à queue, un bar égayé de flacons versicolores…

Autour de ce living-room court une galerie à la hauteur du hall. Cette galerie est bordée d’une rambarde en fer forgé. Quelques portes arrondies du haut et capitonnées s’ouvrent dans la galerie. Il y en a quatre en tout, absolument identiques. Je les ouvre les unes après les autres. La première donne sur une petite cuisine ultramoderne, carrelée en vert clair. La seconde sur un cabinet de toilette carrelé en noir avec ustensiles en porcelaine jaune ! Les deux autres me découvrent deux chambres tendues de satin mauve.

Dans l’une de ces chambres le lit est défait.

Je remarque que cette pièce est la seule à posséder une fenêtre. C’est par cette fenêtre que passait la lumière… L’étrange appartement ne comporte pas d’autres ouvertures que la porte d’entrée et cette fenêtre, je comprends que les autres fenêtres de la façade n’ont été laissées là que pour le trompe-l’œil. Le gars qui a fait installer l’appartement à l’intérieur de l’immeuble en ruine, l’a fait reconstruire de l’intérieur, ce qui, vous l’avouerez, est peu banal. Toutes les pièces sont éclairées à la lumière électrique, façon néon et aérées par un système de ventilation. Pour crécher ici, faut pas être claustrophobe, rappelez-vous de ça ! Cette solitude dans cette clarté douce est déprimante.

Brusquement je sursaute. Puisqu’il n’existe qu’une porte, par où ma « patronne » est-elle sortie ? La bagnole était stationnée pile devant l’entrée ; il est impossible donc que la Filesco soit repartie par cette voie ; même pendant que j’en écrasais dans la Frégate, car j’ai le sommeil aussi léger que la prose du marquis de Sade. Alors ?

Que signifie tout ce micmac ?

Je descends dans le living-room. Je m’approche du piano dont le couvercle est ouvert. Sur le pupitre, un morceau de musique : Rhapsody in Blue.

Je regrette de ne pas savoir jouer du piano, j’ai idée que ça soulage les nerfs…

D’un doigt maladroit je tapote : C’est pas de ma faute si je suis venu au monde comme ça, mon air préféré. Ensuite je vais au bar. Le whisky est bon. J’en bois une sérieuse rasade…

Je me laisse tomber dans un fauteuil et je gamberge sec.

Les mystères, c’est gentil dans Ellery Queen’s Magazine, mais je ne suis pas Maurice Renault.

Avant d’aller plus avant dans cette confuse affaire, il faut que je découvre comment Elia Filesco s’est taillée de cette bicoque sans que je la voie.

CHAPITRE IV

De surprise en surprise

Quand je commence à jouer les chiens de chasse, vous pouvez croire que mon renifleur fonctionne.

Voilà donc le mec San-Antonio qui recommence son tour du propriétaire avec la ferme intention de découvrir une autre issue. Car je vous parie un abonnement à La Veillée des chaumières contre un ornithorynque sevré que cette seconde issue existe. Le gnaf qui camoufle un paradis comme celui-ci à l’intérieur d’une masure décrépie, a trop le goût du furtif pour ne pas se ménager une sortie de service clandé.

Une intense séance de gamberge m’amène à penser que cette sortie se trouve fatalement au rez-de-chaussée de la cahute, c’est-à-dire dans le living-room.

Je descends donc dans la vaste pièce et je me mets à sonder les murs minutieusement. Mais partout ça sonne le plein. En désespoir de cause, comme on dit dans les bouquins où l’auteur tire à la ligne, je m’abats dans un sofa aussi moelleux qu’une jatte de crème.

« Voyons, chuchote mon lutin portable, vous savez, le tout petit mec abstrait qui habite dans ma pensarde ? Voilà que tu te comportes en gardien de la paix. Le moindre mystère te fiche K.O. Après ça, ne vient plus nous raconter que tu es l’as des as ; le type qui remplace la graisse d’oie et le turboréacteur ! »

Comme j’aime pas qu’on me cavale sur les claouis, j’ordonne à mon lutin de la boucler, s’il ne veut pas que je le noie dans du whisky. Il a un petit rire aigrelet et ferme son clapet.

Du coup je réagis. Je me dis que lorsqu’une pièce comprend une issue secrète, celle-ci se trouve dans les murs, dans le plafond ou dans le plancher. Moi, je viens de vérifier les murs, et il est impensable que le plafond soit truqué ; conclusion : il ne me reste plus qu’à me filer à quatre pattes !

Je déplace des sofas, les meubles… Je soulève les tapis : mes fesses ! Le sol est aussi uni que des frères siamois.

Je dois me rendre à l’évidence : la maison truquée n’est pas si truquée que cela !

Une seconde fois je m’approche du piano et je laisse courir mes doigts de fée sur le clavier.

J’aime bien jouer : C’est pas de ma faute si je suis venu au monde comme ça. Bien que n’entravant que lerche à la musique, je le réussis toujours d’un index autoritaire.