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Frédéric Dard

L'Histoire de France vue par San-Antonio

AVERTISSEMENT

Ce livre a ceci de commun avec le très respectable Annuaire des Téléphones, c'est qu'on n'est pas obligé de le lire en commençant par le commencement.

Oh ! mais alors pas du tout !

Comme beaucoup de gens, il n'a, j'en conviens, ni queue ni tête, ce qui facilite grandement son exploration.

Si une période de l'Histoire de France (ouvrez le ban) vous intéresse particulièrement, cherchez à la table des matières les pages qui la concernent et commencez par elles afin de vous mettre en train.

Si vous n'avez aucune idée préconçue et si vous ne faites pas de différence entre Charlemagne, Napoléon III ou Charles XI (vous n'êtes pas forcément intelligent) ouvrez donc ce bouquin n'importe où et laissez-vous aller, tout comme le fait au long de cette narration mon camarade Bérurier.

Que vous dire encore ?

Oh ! oui : ne laissez pas tramer ce livre à la portée de toutes les mains. Il est très instructif certes, mais il n'est pas pour autant destiné aux enfants de chœur. Et si d'aventure les enfants de chœur l'achètent (j'y compte bien, d'ailleurs) qu'ils évitent de le montrer à leurs parents.

Ce petit avertissement est uniquement destiné à vous exciter un brin, tous, car il faut toujours donner aux adultes l'illusion que certaines lectures leur sont réservées, tout en faisant croire aux enfants que ces mêmes lectures leur sont interdites. De cette façon, les uns et les autres achètent le livre en grand secret et ça fait marcher l'édition.

Cela dit, il est bon d'avoir deux ouvrages de cette épaisseur par ménage, ne serait-ce que pour asseoir dessus les chérubins qui hélas ! étudient le piano.

Tant de gens se sont déjà assis sur l'Histoire de France !

San-Antonio.

A tous les Étudiants de France, qui sont mes amis ;

et à PATRICE DARD, dont je suis l'ami.

SAN-ANTONIO.

AVANT-PROPOS

HORS DE PROPOS

MAIS QUI VIENT A PROPOS

La maison Parapluie ressemble à une étable lorsque les vaches sont aux champs. C'est que, depuis quelques jours, les malfaiteurs ne « malfont » plus. En effet, ils ont entrepris une grève revendicative pour protester contre la multiplication des signaux d'alarme dans les banques. Non pas que ces appareils bruyants les gênent particulièrement dans l'exercice de leur profession, mais ils incitent les employés de banque à l'héroïsme. Conséquences directes : messieurs les hommes sont obligés de leur tirer dessus afin de les faire tenir tranquilles, ce qui leur vaut de graves ennuis lorsque, d'aventure, nous les arrêtons.

Donc, apathie générale dans les joyeux locaux de la police. On entendrait voler les mouches, si les mouches se hasardaient céans. Pas folles les guêpes !

Les pieds sur le cuir râpé de mon sous-main, les mains croisées sur le ventre dans la pose idéale du Privé américain attendant le démarrage d'un premier chapitre de série noire, j'attends pour ma part qu'il soit l'heure d'aller ailleurs.

Je rêvasse à des futurs probables. Quand l'époque vous paraît un peu fadasse, il est bon de se réfugier dans l'avenir.

Je me dis que plus tard, on sera sorti de la grande torpeur saccharinée. Les marchands de bagnoles vendront des fusées d'occase. Y aura des dépanneuses cosmiques pour aller récupérer les gus en rade entre Mars et Vénus.

Les congés payés pique-niqueront en scaphandre auto-nome dans la Grande Ourse. Et le panier ne sera pas duraille à coltiner vu l'absence de pesanteur. Notez bien que de nos jours et sur notre planète de pères de famille, la pesanteur ne nous gêne pas tellement aux entournures. Excepté l'intelligence des gardiens de la paix, il n'y a rien de vraiment lourd autour de nous. Le poids du monde, on peut le connaître avec un pèse-lettres. Il suffît de ne pas éternuer au moment de la pesée ! Ici-bas, tout est plume et silence. Le bruit de notre planète, c'est la rumeur indécise que vous balbutie un coquillage vide. Mais les humains se balancent à tout va de grandes poignées de poudre-aux-yeux, comme on balance des confetti. Ils naviguent d'illusions en désillusions, vaille que vaille, en s'efforçant de croire qu'ils existent… Il y a des moments, pourtant, où l'homme moderne se rend compte qu'entre une incongruité de lapin et lui il n'y a pratique-ment aucune différence : c'est quand il descend de sa voiture. Hors de son auto, il est foutu, l'homme moderne. C'est un cul-de-jatte en péril. Il se tue généralement au volant de sa bagnole, mais c'est seulement quand il est à pied qu'il a conscience d'être mortel ! Alors il se trouve des excuses, de la qualité de celles qu'inventent les gens de théâtre pour expliquer les mauvaises recettes. Vous les avez déjà entendus bavasser sur la question, les comédiens, les magiciens, les baladins ? Un poème ! C'est dans ces moments-là qu'ils vadrouillent dans le vrai lyrisme. Il y aurait un lexique à écrire sur les bonnes formules réconfortantes qui servent de paravent aux échecs. Le public n'est pas venu ce soir parce que, deux points à la ligne :

« Il fait trop chaud, il fait trop froid, il fait trop de vent. Parce qu'on est au début du mois, parce qu'on est à la fin du mois, parce qu'on est au milieu du mois. Parce que c'est lundi, parce que c'est mardi, ou mercredi, ou jeudi, ou vendredi. Parce qu'on est samedi et que demain, ce sera dimanche ; ou parce qu'on est dimanche, veille de l'impitoyable lundi. Il est resté chez lui, le public, parce que c'est le terme, parce qu'il a changé de bagnole, parce qu'il y avait l'Homme du XXe siècle (le perfide) à la télé ! Parce que de Gaulle parlait ! Parce que le Premier ministre ne parlait pas. Parce que ça va être Noël, parce que ç'a été Noël. Parce qu'il se réserve pour le Salon de l'Auto. Parce que la Reine de Patagonie est en visite officielle à Paris. Parce qu'il va y avoir des élections. Parce que la vie augmente. Parce que c'est la rentrée des classes. Parce qu'il y a des grippes ! Parce qu'il ne saurait pas où garer sa voiture. Il n'est pas venu parce que c'est un tocard ! Un grand crétin multiple et anonyme à la couennerie couleur de muraille ou de papier de salle à manger à fleurs ! »

— T'as l'air morose ! remarque une voix qui fait irrésistiblement songer à des pommes de terre jetées dans de l'huile bouillante.

Mon valeureux camarade Bérurier vient d'entrer. Ses joues rouges comme des pommes de Californie racontent des hectolitres de beaujolais. Il porte un complet Prince de Galles dans les vert sombre. Les poches du vêtement sont gonflées d'objets mystérieux et pesants. Bérurier ressemble à un gros âne bâté. Sa chemise rose s'orne de trous brunâtres produits par les cigarettes. Sa cravate bleu ciel sert d'écrin à un reliquat de jaune d'œuf. Il ne s'est pas rasé depuis l'avant-veille. C'est un exploit inexplicable que réussit Béru d'une façon permanente : on peut le voir quotidiennement, il est resté pas-rasé-de-deux-jours avec une constance qui tient du prodige. Son chapeau de feutre au bord large et gondolé lui compose une auréole couleur de margelle. Saint Béru ! Introuvable sur le calendrier, mais connu dans tous les bistrots de Paris !

Je considère avec cordialité les cent dix kilos de brave homme proposés à mon amitié. Le haut du pantalon est dégrafé et il manque trois boutons à la chemise rose, si bien que le contemporain du Gros a une vue imprenable sur son nombril tourmenté, ombragé de poils vigoureux et duquel rayonnent quantité de cicatrices.

— Je ne suis pas morose, Gros, expliqué-je. Je réfléchis !