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Je m’aperçus, dès le lendemain matin, que cet espoir n’était pas vain. J’étais éveillé depuis une heure. La plupart de mes compagnons tournaient sans arrêt dans leur cage, à la manière de certains animaux captifs. Quand je réalisai que je faisais comme eux, depuis déjà un long moment et à mon insu, j’en conçus du dépit et me forçai à m’asseoir devant la grille, en prenant une attitude aussi humaine, aussi pensive que possible. C’est alors que la porte du couloir fut poussée et que je vis entrer un nouveau personnage, accompagné par les deux gardiens. C’était un chimpanzé femelle, et je compris qu’elle occupait un poste important dans l’établissement, à la façon dont les gorilles s’effaçaient devant elle.

Ceux-ci lui avaient certainement fait un rapport sur mon compte car, dès son entrée, la guenon posa une question à l’un d’eux, qui tendit le doigt dans ma direction. Alors, elle se dirigea directement vers ma cage.

Je l’observai avec attention tandis qu’elle s’approchait. Elle était vêtue, elle aussi, d’une blouse blanche, de coupe plus élégante que celle des gorilles, serrée à la taille par une ceinture, et dont les manches courtes révélaient deux longs bras agiles. Ce qui me frappa surtout en elle, ce fut son regard, remarquablement vif et intelligent. J’en augurai du bien pour nos futures relations. Elle me parut très jeune, malgré les rides de sa condition simienne qui encadraient son museau blanc. Elle tenait à la main une serviette de cuir.

Elle s’arrêta devant ma cage et commença à m’examiner, tout en sortant un cahier de sa serviette.

« Bonjour, madame », dis-je en m’inclinant.

J’avais parlé de ma voix la plus douce. La face de la guenon exprima une intense surprise, mais elle conserva son sérieux, imposant même silence, d’un geste autoritaire, aux gorilles qui recommençaient à ricaner.

« Madame ou mademoiselle, continuai-je encouragé, je regrette de vous être présenté dans de telles conditions et dans ce costume. Croyez bien que je n’ai pas l’habitude…»

Je disais encore n’importe quelles bêtises, cherchant seulement des paroles en harmonie avec le ton civil auquel j’avais décidé de me tenir. Quand je me tus, ponctuant mon discours par le plus aimable des sourires, son étonnement se changea en stupeur. Ses yeux clignotèrent plusieurs fois et les rides de son front se plissèrent. Il était évident qu’elle cherchait avec passion la solution d’un difficile problème. Elle me sourit à son tour et j’eus l’intuition qu’elle commençait à soupçonner une partie de la vérité.

Pendant cette scène, les hommes des cages nous observaient sans manifester cette fois la hargne que le son de ma voix provoquait chez eux. Ils donnaient des signes de curiosité. L’un après l’autre, ils cessèrent leur ronde fébrile pour venir coller leur visage contre les barreaux, afin de mieux nous voir. Seule, Nova paraissait furieuse et s’agitait sans cesse.

La guenon sortit un stylo de sa poche et écrivit plusieurs lignes dans son cahier. Puis, relevant la tête et rencontrant encore mon regard anxieux, elle sourit de nouveau. Ceci m’encouragea à faire une autre avance amicale. Je tendis un bras vers elle à travers la grille, la main ouverte. Les gorilles sursautèrent et eurent un mouvement pour s’interposer. Mais la guenon, dont le premier réflexe avait été tout de même de reculer, se reprit, les arrêta d’un mot et, sans cesser de me fixer, avança elle aussi son bras velu, un peu tremblant, vers le mien. Je ne bougeai pas. Elle s’approcha encore et posa sa main aux doigts démesurés sur mon poignet. Je la sentis frémir à ce contact. Je m’appliquai à ne faire aucun mouvement qui pût l’effrayer. Elle me tapota la main, me caressa le bras, puis se tourna vers ses assistants d’un air triomphant.

J’étais haletant d’espoir, de plus en plus convaincu qu’elle commençait à reconnaître ma noble essence. Quand elle parla impérieusement à l’un des gorilles, j’eus la folie d’espérer que ma cage allait être ouverte, avec des excuses. Hélas ! il n’était pas question de cela ! Le gardien fouilla dans sa poche et en sortit un petit objet blanc, qu’il tendit à sa patronne. Celle-ci me le mit elle-même dans la main avec un charmant sourire. C’était un morceau de sucre.

Un morceau de sucre ! Je tombais de si haut, je me sentis d’un coup si découragé devant l’humiliation de cette récompense que je faillis le lui jeter à la face. Je me rappelai juste à temps mes bonnes résolutions et me contraignis à rester calme. Je pris le sucre, m’inclinai et le croquai d’un air aussi intelligent que possible.

Tel fut mon premier contact avec Zira. Zira était le nom de la guenon, comme je l’appris bientôt. Elle était le chef du service où j’avais été amené. Malgré ma déception finale, ses façons me donnaient beaucoup d’espoir et j’avais l’intuition que je parviendrais à entrer en communication avec elle. Elle eut une longue conversation avec les gardiens et il me sembla qu’elle leur donnait des instructions à mon sujet. Ensuite, elle continua sa tournée, inspectant les autres occupants des cages.

Elle examinait avec attention chacun des nouveaux venus et prenait quelques notes, plus succinctes que pour moi. Jamais elle ne se risqua à toucher l’un d’eux. Si elle l’avait fait, je crois que j’aurais été jaloux. Je commençais à ressentir l’orgueil d’être le sujet exceptionnel qui, seul, mérite un traitement privilégié. Quand je la vis s’arrêter devant les enfants et leur lancer, à eux aussi, des morceaux de sucre, j’en éprouvai un violent dépit ; un dépit au moins égal à celui de Nova qui, après avoir montré les dents à la guenon, s’était couchée, de rage, au fond de sa cage et me tournait le dos.

XIV

La deuxième journée se passa comme la première. Les singes ne s’occupèrent de nous que pour nous apporter à manger. J’étais de plus en plus perplexe au sujet de ce bizarre établissement quand, le lendemain, commença pour nous une série de tests, dont le souvenir m’humilie aujourd’hui mais qui me procurèrent alors une distraction.

Le premier me parut tout d’abord assez insolite. Un des gardiens s’approcha de moi, tandis que son compère opérait devant une autre cage. Mon gorille gardait une main cachée derrière son dos ; de l’autre, il tenait un sifflet. Il me regarda pour attirer mon attention, porta le sifflet à sa bouche et en tira une succession de sons aigus ; cela, pendant une minute entière. Puis il démasqua son autre main, me montrant avec ostentation une de ces bananes dont j’avais apprécié la saveur et dont tous les hommes se montraient friands. Il tint le fruit devant moi, sans cesser de m’observer.

J’allongeai le bras, mais la banane était hors de portée et le gorille ne s’approchait pas. Il paraissait déçu et semblait désirer un autre geste. Au bout d’un moment, il se lassa, cacha de nouveau le fruit et recommença de siffler. J’étais nerveux, intrigué par ces simagrées et je faillis perdre patience quand il le brandit encore hors de mon atteinte. Je réussis pourtant à rester calme, essayant de deviner ce qu’il attendait de moi, car il avait l’air de plus en plus surpris, comme devant un comportement anormal. Il refit le même manège cinq ou six fois puis, découragé, passa à un autre prisonnier.

J’eus un net sentiment de frustration quand je constatai que celui-ci recevait la banane, lui, dès la première expérience et il en fut de même du suivant. Je surveillai de près l’autre gorille qui se livrait à la même cérémonie dans la rangée d’en face. Comme il en était arrivé à Nova, je ne perdis aucune des réactions de celle-ci. Il siffla, ensuite brandit un fruit comme son camarade. Aussitôt, la jeune fille s’agita, remuant les mâchoires et…