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Au-delà des autorités, derrière une balustrade, plusieurs rangs étaient réservés aux collaborateurs subalternes des savants. Une tribune était aménagée à ce même niveau pour les journalistes et les photographes. Enfin, plus haut encore, derrière une autre barrière, se pressait la foule, un public simien qui me parut fort surexcité, d’après la densité des murmures qui saluèrent mon apparition.

Je cherchai également à découvrir Zira, qui devait se trouver parmi les assistants. Je sentais le besoin d’être soutenu par son regard. Là encore, je fus déçu et ne pus découvrir un singe familier parmi l’infernale légion de singes qui m’entourait.

Je reportai mon attention sur les pontifes. Chacun d’eux était assis dans un fauteuil drapé de rouge, alors que les autres n’avaient droit qu’à des chaises ou des bancs. Leur aspect rappelait beaucoup celui de Zaïus. La tête basse, presque au niveau des épaules, un bras démesuré à demi plié et posé devant eux sur un sous-main, ils griffonnaient parfois quelques notes, à moins que ce ne fût un dessin puéril. Par contraste avec la surexcitation qui régnait sur les bancs supérieurs, ils me parurent avachis. J’eus l’impression que mon entrée et l’annonce qui en était faite par un haut-parleur arrivaient juste à point pour réveiller leur attention chancelante. En fait, je me rappelle fort bien avoir vu trois de ces orangs-outans sursauter et relever brusquement le col, comme s’ils étaient arrachés à un sommeil profond.

Cependant, ils étaient maintenant tous bien éveillés. Ma présentation devait être le clou de la réunion et je me sentais la cible de milliers de paires d’yeux simiens, aux expressions diverses, allant de l’indifférence à l’enthousiasme.

Mes gardes me firent monter sur l’estrade, où siégeait un gorille de belle allure. Zira m’avait expliqué que le congrès était présidé, non par un savant comme c’était le cas autrefois – alors, les singes de science, livrés à eux-mêmes, se perdaient dans des discussions sans fin, n’aboutissant jamais à une conclusion – mais par un organisateur. A la gauche de cet imposant personnage se tenait son secrétaire, un chimpanzé, qui notait le compte rendu de la séance. A sa droite, prenaient place successivement les savants dont c’était le tour d’exposer la thèse ou de présenter un sujet. Zaïus venait d’occuper ce siège, salué par de maigres applaudissements. Grâce à un système de haut-parleurs conjugués avec des projecteurs puissants, rien de ce qui se passait sur l’estrade n’était perdu sur les plus hauts gradins.

Le président gorille agita sa sonnette, obtint le silence et déclara qu’il donnait la parole à l’illustre Zaïus, pour la présentation de l’homme dont il avait déjà entretenu l’assemblée. L’orang-outan se leva, salua et commença à discourir. Pendant ce temps, je m’efforçais de prendre une attitude aussi compréhensive que possible. Quand il parla de moi, je m’inclinai en portant la main à mon cœur, ce qui souleva un début d’hilarité, vite réprimé par la sonnette. Je compris rapidement que je ne servais pas ma cause en me livrant à ces facéties, qui pouvaient être interprétées comme le simple résultat d’un bon dressage. Je me tins coi, attendant la fin de son exposé.

Il rappela les conclusions de son rapport et annonça les prouesses qu’il allait me faire exécuter, ayant fait préparer sur l’estrade les accessoires de ses maudites expériences. Il conclut en déclarant que j’étais aussi capable de répéter quelques mots, comme certains oiseaux, et qu’il espérait pouvoir me faire exécuter cette performance devant l’assemblée. Ensuite, il se tourna vers moi, prit la boîte à fermetures multiples et me la présenta. Mais, au lieu de faire jouer les serrures, je me livrai à un autre genre d’exercices.

Mon heure était venue. Je levai la main, puis, tirant doucement sur la laisse que tenait le garde, je m’approchai d’un micro et m’adressai au président.

« Très illustre président, dis-je en mon meilleur langage simien, c’est avec le plus grand plaisir que j’ouvrirai cette boîte ; c’est très volontiers aussi que j’exécuterai tous les tours du programme. Cependant, avant de me livrer à cette tâche, un peu facile pour moi, je sollicite l’autorisation de faire une déclaration qui, je le jure, étonnera cette savante assemblée. »

J’avais articulé très distinctement et chacune de mes paroles porta. Le résultat fut celui que j’escomptais. Tous les singes restèrent comme écrasés sur leur siège, abasourdis, retenant leur respiration. Les journalistes en oublièrent même de prendre des notes et aucun photographe n’eut assez de présence d’esprit pour prendre un cliché de cet instant historique.

Le président me regardait stupidement. Quant à Zaïus, il paraissait enragé.

« Monsieur le président, hurla-t-il, je proteste…»

Mais il s’arrêta court, submergé par le ridicule d’une discussion avec un homme. J’en profitai pour reprendre la parole.

« Monsieur le président, j’insiste avec le plus profond respect, mais avec énergie, pour que cette faveur me soit accordée. Quand je me serai expliqué, alors, je le jure sur mon honneur, je me plierai aux exigences du très illustre Zaïus. »

Un ouragan, succédant au silence, secoua l’assemblée. Une tempête de folie passait sur les gradins, transformant tous les singes en une masse hystérique où se mêlaient les exclamations, les rires, les pleurs et les hourras ; cela, au milieu d’un crépitement continu de magnésium, les photographes ayant enfin recouvré l’usage de leurs membres. Le tumulte dura cinq bonnes minutes, pendant lesquelles le président, qui avait retrouvé un peu de sang-froid, ne cessa de me dévisager. Il prit enfin un parti et agita sa sonnette.

« Je…, commença-t-il en bégayant, je ne sais pas trop comment vous appeler.

— Monsieur, tout simplement, dis-je.

— Oui, eh bien, mon… monsieur, je pense qu’en présence d’un cas aussi exceptionnel, le congrès scientifique que j’ai l’honneur de présider se doit d’écouter votre déclaration. »

Une nouvelle vague d’applaudissements salua la sagesse de cette décision. Je n’en demandais pas plus. Je me plantai très droit au milieu de l’estrade, fixai le micro à ma hauteur et prononçai le discours suivant.

VIII

« Illustre président,

« Nobles gorilles,

« Sages orangs-outans,

« Subtils chimpanzés,

« Ô singes !

« Permettez à un homme de s’adresser à vous.

« Je sais que mon apparence est grotesque, ma forme repoussante, mon profil bestial, mon odeur infecte, la couleur de ma peau répugnante. Je sais que la vue de ce corps ridicule est une offense pour vous, mais je sais aussi que je m’adresse aux plus savants et aux plus sages de tous les singes, ceux dont l’esprit est capable de s’élever au-dessus des impressions sensibles et de percevoir l’essence subtile de l’être par-delà une pitoyable enveloppe matérielle…»

L’humilité pompeuse de ce début m’avait été imposée par Zira et Cornélius, qui la savaient propre à toucher les orangs-outans. Je continuai dans un silence profond.

« Entendez-moi, ô singes ! car je parle ; et non pas, je vous l’assure, comme une mécanique ou un perroquet. Je pense, et je parle, et je comprends aussi bien ce que vous dites que ce que j’énonce moi-même. Tout à l’heure, si vos Seigneuries daignent m’interroger, je me ferai un plaisir de répondre de mon mieux à leurs questions.