Выбрать главу

« Maître, implorai-je, je comprends votre prudence. Je sais à quoi s’exposent les hommes de la Terre sur cette planète. Mais nous sommes seuls, je vous le jure, et vos épreuves sont terminées. C’est moi qui vous le dis, moi, votre compagnon, votre disciple, votre ami, moi, Ulysse Mérou. »

Il fit encore un saut en arrière, me lançant des regards furtifs. Alors, comme je restais là, tremblant, ne sachant plus par quels mots le toucher, sa bouche s’entrouvrit.

Avais-je enfin réussi à le convaincre ? Je le regardai, haletant d’espoir. Mais je restai muet d’horreur devant le genre de manifestation qui traduisit son émoi. J’ai dit que sa bouche s’était entrouverte ; mais ce n’était pas là le geste volontaire d’une créature qui s’apprête à parler. Il en sortit un son de gorge semblable à ceux qu’émettaient les étranges hommes de cette planète, pour exprimer la satisfaction ou la peur. Là, devant moi, sans remuer les lèvres, tandis que l’épouvante me glaçait le cœur, le professeur Antelle poussa un long ululement.

TROISIEME PARTIE

I

Je me réveillai de bonne heure, après un sommeil agité. Je me retournai trois ou quatre fois dans mon lit et me frottai les yeux avant de reprendre conscience, encore mal habitué à la vie de civilisé que je menais depuis un mois, inquiet, chaque matin, de ne pas entendre craquer la paille et de ne pas sentir le chaud contact de Nova.

Je recouvrai enfin mes esprits. J’occupais un des appartements les plus confortables de l’Institut. Les singes s’étaient montrés généreux. J’avais un lit, une salle de bains, des vêtements, des livres, un poste de télévision. Je lisais tous les journaux ; j’étais libre ; je pouvais sortir, me promener dans les rues, assister à n’importe quel spectacle. Ma présence en un lieu public suscitait toujours un intérêt considérable, mais l’émoi des premiers jours commençait à s’apaiser.

C’était maintenant Cornélius le grand maître scientifique de l’Institut. Zaïus avait été limogé – on lui avait cependant accordé un autre poste et une nouvelle décoration – et le fiancé de Zira, nommé à sa place. Il en était résulté un rajeunissement des cadres, une promotion générale du parti chimpanzé et une recrudescence d’activité dans tous les travaux. Zira était devenue adjointe au nouveau directeur.

Pour moi, je participais aux recherches du savant, non plus comme cobaye, mais comme collaborateur. Cornélius n’avait d’ailleurs obtenu cette faveur qu’avec de grandes difficultés et après beaucoup de réticences du Grand Conseil. Les autorités paraissaient n’admettre qu’à contrecœur ma nature et mon origine.

Je m’habillai rapidement, sortis de ma chambre et me dirigeai vers le bâtiment de l’Institut où j’avais été autrefois prisonnier, le service de Zira, qu’elle dirigeait encore, en plus de ses nouvelles fonctions. Avec l’accord de Cornélius, j’avais entrepris là une étude systématique des hommes.

Me voici dans la salle des cages, arpentant le passage devant les grilles comme un des maîtres de cette planète. Avouerai-je que j’y fais de fréquentes visites, plus fréquentes que mes études ne l’exigent ? Parfois, la permanence de l’entourage simien me paraît pesante et je trouve là une sorte de refuge.

Les captifs me connaissent bien maintenant, et admettent mon autorité. Font-ils une différence entre moi, Zira et les gardiens qui leur apportent à manger ? Je le souhaiterais, mais j’en doute. Depuis un mois, malgré ma patience et mes efforts, je n’ai pas réussi, moi non plus, à leur faire accomplir des performances supérieures à celles de bêtes bien dressées. Un secret instinct m’avertit qu’il y a pourtant en eux des possibilités plus grandes.

Je voudrais leur apprendre à parler. C’est cela ma grande ambition. Je n’y ai pas réussi, certes ; c’est à peine si quelques-uns parviennent à répéter deux ou trois sons monosyllabiques, ce que font certains chimpanzés de chez nous. C’est peu, mais je m’obstine. Ce qui m’encourage, c’est l’insistance nouvelle de tous les regards à chercher le mien, regards qui me paraissent se transformer depuis quelque temps et où il me semble voir poindre une certaine curiosité d’une essence supérieure à la perplexité animale.

Je fais lentement le tour de la salle, m’arrêtant devant chacun d’eux. Je leur parle ; je leur parle doucement, avec patience. Ils sont habitués, maintenant, à cette manifestation, de ma part insolite. Ils semblent écouter. Je continue pendant quelques minutes, puis je renonce aux phrases et je prononce des mots simples, les répétant plusieurs fois, espérant un écho. L’un d’eux articule maladroitement une syllabe, mais cela n’ira pas plus loin aujourd’hui. Le sujet se fatigue bientôt, abandonne une tâche surhumaine et se couche sur la paille comme après un labeur accablant. Je soupire et je passe à un autre. J’arrive enfin devant la cage où Nova végète à présent, solitaire et triste ; triste, c’est du moins ce que je veux croire, avec ma suffisance d’homme de la Terre, m’efforçant de découvrir ce sentiment sur ses traits admirables et inexpressifs. Zira ne lui a pas donné d’autre compagnon et je lui en suis reconnaissant.

Je pense souvent à Nova. Je ne peux oublier les heures passées en sa compagnie. Mais je ne suis plus jamais entré dans sa cage ; le respect humain me l’interdit. N’est-elle pas un animal ? J’évolue maintenant dans les hautes sphères scientifiques ; comment me laisser aller à une telle promiscuité ? Je rougis au souvenir de notre intimité passée. Depuis que j’ai changé de camp, je me suis même interdit de lui témoigner plus d’amitié qu’à ses semblables.

Je suis tout de même obligé de constater qu’elle est un sujet d’élite et je m’en réjouis. J’obtiens avec elle de meilleurs résultats qu’avec les autres. Elle est venue se coller contre les barreaux dès mon approche et sa bouche se contracte en une grimace qui pourrait presque passer pour un sourire. Avant même que j’aie ouvert la bouche, elle essaie de prononcer les quatre ou cinq syllabes qu’elle a apprises. Elle y met une application évidente. Est-elle naturellement plus douée que les autres ? Ou bien mon contact l’a-t-il polie et rendue apte à mieux profiter de mes leçons ? Je me plais à penser, avec une certaine complaisance, qu’il en est ainsi.

Je prononce son nom, puis le mien, nous désignant alternativement du doigt l’un et l’autre. Elle esquisse le même geste. Mais je la vois changer d’un seul coup de physionomie et elle montre les dents, tandis que j’entends un rire léger derrière moi.

C’est Zira, qui se moque sans méchanceté de mes efforts et sa présence excite toujours la colère de la fille. Elle est accompagnée de Cornélius. Celui-ci s’intéresse à mes tentatives et vient souvent se rendre compte par lui-même des résultats. Aujourd’hui, c’est dans un autre dessein qu’il me cherche. Il a l’air assez surexcité.

« Vous plairait-il d’entreprendre avec moi un petit voyage, Ulysse ?

— Un voyage ?

— Assez loin ; presque aux antipodes. Des archéologues ont découvert là-bas des ruines extrêmement curieuses, si j’en crois les rapports qui nous parviennent. C’est un orang-outan qui dirige les fouilles et on ne peut guère compter sur lui pour interpréter correctement ces vestiges. Il y a là une énigme qui me passionne et qui peut apporter des éléments décisifs pour certaines recherches que j’ai entreprises. L’Académie m’envoie là-bas en mission et je crois que votre présence serait très utile. »

Je ne vois pas en quoi je pourrais l’aider, mais j’accepte avec joie cette occasion de voir d’autres aspects de Soror. Il me conduit dans son bureau pour me donner d’autres détails.