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Notre jardin nous procura des distractions agréables. Il occupait une place importante à bord. Le professeur Antelle, qui s’intéressait, entre autres matières, à la botanique et à l’agriculture, avait voulu profiter du voyage pour vérifier certaines de ses théories sur la croissance des plantes dans l’espace. Un compartiment cubique de près de dix mètres de côté servait de terrain. Grâce à des étagères, tout le volume y était utilisé. La terre était régénérée par des engrais chimiques et, deux mois à peine après notre départ, nous eûmes la joie de voir pousser toutes sortes de légumes, qui nous fournissaient en abondance une nourriture saine. L’agréable n’avait pas été oublié : une section était réservée aux fleurs, que le professeur soignait avec amour. Cet original avait aussi emporté quelques oiseaux, des papillons et même un singe, un petit chimpanzé que nous avions baptisé Hector et qui nous amusait de ses tours.

Il est certain que le savant Antelle, sans être misanthrope, ne s’intéressait guère aux humains. Il déclarait souvent qu’il n’attendait plus grand-chose d’eux et ceci explique…

« Misanthrope ? fit encore Phyllis, interloquée. Humains ?

— Si tu m’interromps à chaque instant, remarqua Jinn, nous n’arriverons jamais à la fin. Fais comme moi ; essaie de comprendre. »

Phyllis jura de garder le silence jusqu’au bout de la lecture, et elle tint parole.

Ceci explique sans doute qu’il ait rassemblé dans le vaisseau – assez vaste pour contenir plusieurs familles – de nombreuses espèces végétales, quelques animaux, en limitant à trois le nombre des passagers : lui-même, Arthur Levain, son disciple, un jeune physicien de grand avenir, et moi, Ulysse Mérou, journaliste peu connu, qui avais rencontré le professeur au hasard d’une interview. Il avait proposé de m’emmener après s’être aperçu que je n’avais pas de famille et que je jouais convenablement aux échecs. C’était une occasion exceptionnelle pour un jeune journaliste. Même si mon reportage ne devait être publié que dans huit cents ans, peut-être à cause de cela, il aurait une valeur unique. J’avais accepté avec enthousiasme.

Le voyage se passa donc sans anicroche. Le seul désagrément fut une pesanteur accrue pendant l’année d’accélération et pendant celle de freinage. Nous dûmes nous accoutumer à sentir notre corps peser environ une fois et demie son poids de la Terre, phénomène un peu fatigant au début, mais auquel nous ne prîmes bientôt plus garde. Entre ces deux périodes, il y eut une absence totale de gravité, avec toutes les bizarreries connues de ce phénomène ; mais cela ne dura que quelques heures et nous n’en souffrîmes pas.

Et, un jour, après cette longue traversée, nous eûmes l’émotion de voir l’étoile Bételgeuse s’inscrire dans le ciel avec un aspect nouveau.

III

L’exaltation que procure un pareil spectacle ne peut être décrite : une étoile, hier encore point brillant parmi la multitude des points anonymes du firmament, se détacha peu à peu du fond noir, s’inscrivit dans l’espace avec une dimension, apparaissant d’abord comme une noix étincelante, puis se dilata en même temps que la teinte s’affirmait, pour devenir semblable à une orange, s’intégra enfin dans le cosmos avec le même diamètre apparent que notre astre du jour familier. Un nouveau soleil était né pour nous, un soleil rougeâtre, comme le nôtre à son déclin, dont nous ressentions déjà l’attraction et la chaleur.

Notre vitesse était alors très réduite. Nous nous approchâmes encore de Bételgeuse, jusqu’à ce que son diamètre apparent excédât de loin celui de tous les corps célestes contemplés jusqu’alors, ce qui produisit sur nous une impression fabuleuse. Antelle donna quelques indications aux robots et nous nous mîmes à graviter autour de la super géante. Alors, le savant déploya ses instruments astronomiques et commença ses observations.

Il ne fut pas long à découvrir l’existence de quatre planètes, dont il détermina rapidement les dimensions, et les distances à l’astre central. L’une d’elles, la deuxième à partir de Bételgeuse, se mouvait sur une trajectoire voisine de la nôtre. Elle avait à peu près le volume de la Terre ; elle possédait une atmosphère contenant oxygène et azote ; elle tournait autour de Bételgeuse à une distance égale à trente fois environ celle de la Terre au Soleil, en recevant un rayonnement comparable à celui que capte notre planète, grâce à la taille de la supergéante et compte tenu de sa température relativement basse.

Nous décidâmes de la prendre comme premier objectif. De nouvelles instructions ayant été données aux robots, notre vaisseau fut très vite satellisé autour d’elle. Alors, les moteurs arrêtés, nous observâmes à loisir ce nouveau monde. Le télescope nous y montra des mers et des continents.

Le vaisseau se prêtait mal à un atterrissage ; mais le cas était prévu. Nous disposions de trois engins à fusée, beaucoup plus petits, que nous appelions des chaloupes. C’est dans l’un d’eux que nous prîmes place, emportant quelques appareils de mesure et emmenant avec nous Hector, le chimpanzé, qui disposait comme nous d’un scaphandre et avait été habitué à s’en accommoder. Quant à notre navire, nous le laissâmes simplement graviter autour de la planète. Il était là plus en sécurité qu’un paquebot à l’ancre dans un port et nous savions qu’il ne dériverait pas d’une ligne de son orbite.

Aborder une planète de cette nature était une manœuvre facile avec notre chaloupe. Dès que nous eûmes pénétré dans les couches denses de l’atmosphère, le professeur Antelle préleva des échantillons de l’air extérieur et les analysa. Il leur trouva la même composition que sur la Terre, à une altitude correspondante. Je n’eus guère le temps de réfléchir à cette miraculeuse coïncidence, car le sol approchait rapidement ; nous n’en étions plus qu’à quelque cinquante kilomètres. Les robots effectuant toutes les opérations, je n’avais rien d’autre à faire que coller mon visage au hublot et regarder monter vers moi ce monde inconnu, le cœur enflammé par l’exaltation de la découverte.

La planète ressemblait étrangement à la Terre. Cette impression s’accentuait à chaque seconde. Je distinguais maintenant à l’œil nu le contour des continents. L’atmosphère était claire, légèrement colorée d’une teinte vert pâle, tirant par moments sur l’orangé, un peu comme dans notre ciel de Provence au soleil couchant. L’océan était d’un bleu léger, avec également des nuances vertes. Le dessin des côtes était très différent de tout ce que j’avais vu chez nous, quoique mon œil enfiévré, suggestionné par tant d’analogies, s’obstinât follement à découvrir là aussi des similitudes. Mais la ressemblance s’arrêtait là. Rien, dans la géographie, ne rappelait notre ancien ni notre nouveau continent.

Rien ? Allons donc ! L’essentiel, au contraire ! La planète était habitée. Nous survolions une ville ; une ville assez grande, d’où rayonnaient des routes bordées d’arbres, sur lesquelles circulaient des véhicules. J’eus le temps d’en distinguer l’architecture générale : de larges rues ; des maisons blanches, avec de longues arêtes rectilignes.

Mais nous devions atterrir bien loin de là. Notre course nous entraîna d’abord au-dessus de champs cultivés, puis d’une forêt épaisse, de teinte rousse, qui rappelait notre jungle équatoriale. Nous étions maintenant à très basse altitude. Nous aperçûmes une clairière d’assez grandes dimensions, qui occupait le sommet d’un plateau, alors que le relief environnant était assez tourmenté. Notre chef décida de tenter l’aventure et donna ses derniers ordres aux robots. Un système de rétrofusées entra en action. Nous fûmes immobilisés quelques instants au-dessus de la clairière, comme une mouette guettant un poisson.