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SAN-ANTONIO

LE PÉTOMANE NE RÉPOND PLUS

ROMAN

QUI NE SAURAIT CONSTITUER UNE NOUVELLE SUITE

À AUTANT EN EMPORTE LE VENT

A mon cher Antoine de CAUNES, à qui je voue un amour paternel, en lui souhaitant toutes les grâces auxquelles je pense, et toutes celles auxquelles je ne pense pas.

San-Antonio

Les Anglais sont les creux de nos reliefs.

Albert Benloulou

*

De nos jours, les cultivateurs sont cultivés et les exploitants exploités.

*

Indurain : le gérant du Tour.

INTRODUCTION

Comme il était frileux, il avait, à l’époque de son opulence, acheté un magnifique couvre-lit en fourrure de loup. Il en aimait le poids, la chaleur, et se pelotonnait voluptueusement sous cette masse de poils.

Au fil du temps, la peau avait contracté une sorte de méchante pelade qui la constellait de vilaines plaques jaunes. Il se consolait de cette usure en songeant qu’étant donné son âge avancé, la couverture lui survivrait.

Ce fut dans sa soixante-quinzième année que les premiers phénomènes commencèrent à se manifester.

Une nuit de pleine lune, il fut éveillé par les hurlements lointains d’une horde sauvage. Mais, parce qu’il faisait grand vent, il crut à quelque distorsion de son ouïe.

Il oublia l’incident jusqu’à la lunaison suivante, au cours de laquelle le phénomène se reproduisit. Il en alla de même tous les mois. Chaque fois, il était tiré du sommeil par les cris de plus en plus présents d’une meute de loups affamés. Ces cris discontinus étaient à la limite du supportable. Alors il se levait, écartait les rideaux de sa fenêtre et ouvrait cette dernière en grand. Le silence revenait sur sa banlieue résidentielle. Les villas entourant la sienne semblaient pétrifiées dans le clair de lune. Il découvrait, au-delà des toits d’ardoise, une large boucle de la Seine qui scintillait comme du métal abrasé.

Cette vision tranquille ne le rassurait qu’à moitié. Il mettait beaucoup de temps à se rendormir, encore, son sommeil retrouvé, continuait-il d’être perturbé par la horde forcenée.

Il en vint à appréhender les nuits de lumière blême. Il crut prévenir le cauchemar en prenant des somnifères les soirs fatidiques, mais le sortilège ne cessa pas pour autant.

Le moment vint où les fauves pénétrèrent jusque dans sa chambre. Il voyait luire leurs yeux rouges dans l’obscurité. Leurs cris féroces le plongeaient dans des abîmes d’épouvante. Il se blottissait sous sa lourde couverture où il étouffait.

Sa femme de ménage le retrouva égorgé, un matin, sous le couvre-lit de fourrure poisseux de sang.

PREMIÈRE PARTIE

LE LOUP

DE LA PLEINE LUNE

1

J’EN AI MARRE

— Ecoute-moive, tout p’tit : t’as aucune raison d’ deviendre neurastérix. T’es encore jeune pour ton âge, t’as pas l’ sida, ni l’ crabe, ta gueule est pas tellement à chier et sans êt’ rupin, t’es pas fauchemane. T’es pas embourbé du calbute qu’ j’ susse et j’ me rappelle t’avoir vu tirer la Fernande Dutilleul comme un pape ! Sûr, t’as pas mon intelligence, mais nanmoins tu fais av’c c’ qu’ t’as. N’évidemment, t’es fringué comm’ l’ beau-frère à l’as de pique ; slave dit, personne t’empêche d’acheter des sapes de milord à « Tout pour Messieurs », boulevard Bonne-Nouvelle. Si tu voudrerais, tu poufferais partir au Clube Merde et y l’ver un’ p’tite sœur à la chaglatte humide kif un œil d’ biche. T’as tout pour toive : t’ sais même nager !

« Bon, ta bite. Je veuille qu’é soye en arc d’ cercle, mais quand tu fourres en l’vrette ça s’ connaît pas. N’au contraire, les gonzesses, ça leur ramone mieux la moniche. E z’ aiment ! T’es français, tu votes et tu croives en Dieu. T’es pas communisse, t’as pas d’ex-zéma non plus qu’ d’ rhumatisses articulés, comme ton dabe. Dans dix-huit piges t’ s’ras à la r’traite et tu pourreras faire la masse gratinée t’t les jours fériés.

« Tu peux baiser ta concierge si l’ guignol t’en direrait. Je veuille bien qu’é soye portugaise, qu’é fasse une décalficication d’ l’ hanche et qu’é l’aye soixante-dix balais et mèche, mais é l’a l’œil fripon, croive z’en mon espérience. C’te vioque, é n’ d’mande qu’à t’ turluter l’ p’tit colonel et t’acalifourcher su’ un’ chaise, quoiqu’av’c ta bite cintrée, ça n’ doive pas s’ prêter à la manoeuv’.

« La vie s’ouv’ d’vant toi, mec. T’as enville d’asperges ? Tu bouffes des asperges. Tu veux siffler un’ boutanche d’ Condrieu ? Tu l’écluses en tête à tête av’c elle. Même si l’idée t’ biche d’ te taper une pogne d’vant la photo d’ Lady Di, rien t’en empêche : l’ivreresse est à toi, mon salaud ! Sais-tu parce que quoi ? Parce que t’es libre ! Allons, bon ! Qu’est-ce y l’a à chougner, c’ bazu ? Tu t’ plains qu’ la mariée est trop belle ? »

Un silence tomba brusquement sur la diatribe. L’interlocuteur d’Alexandre-Benoît Bérurier murmura avec des infiltrations dans la voix :

— Je me plains qu’elle soit morte, Sandre.

Le Mastard eut un bref instant d’indécision ; il cherchait comment prendre l’argument à revers.

Il dit :

— Ça, j’ t’ concède, pour êt’ morte, é l’ est morte ; s’l’ment t’oublille une chose prépondérable, Augustin : personne n’y peut plus rien.

L’argutie fut inopérante sur le veuf. Ses larmes continuaient de couler.

Vaincu par la douleur de son ami, le Mammouth soupira.

— Mouais, c’est trop frais pour qu’on cause valab’ment. C’est vrai qu’on est z’encore dans l’ cim’tière ; d’main, tu verreras l’existence autrement. Faut pas brutaliser l’ chagrin.

Il empoigna le bras de son compagnon, voulant l’entraîner vers la vie.

Mais Augustin renâcla, refusant de s’éloigner de la tombe qui hébergeait dix-sept années d’un bonheur que le premier écrivailleur de mes fesses venu réputerait « sans mélange ».

— Je peux pas, je peux pas, larmichait-il.

Un agacement peu compatible avec la situation s’empara de Sa Majesté Béru.

— Voyons, Gustin, grogna-t-il avec le ton hargneux que prend un propriétaire face à son locataire insolvable, t’ vas pas nous péter un’ horloge biscotte ta mégère nous a bricolé un’ embolie mal placée ! C’est tout d’ même pas la p’tite sœur Machin de l’Immatriculée contraception qu’est en train de préparer la bouffe aux astèques ! J’ veuille bien qu’ ta Marthe fûte un’ mousmé plutôt gentille, n’empêche qu’ é s’ gênait pas pour t’ faire du contrecarre av’c Pierre, Paul, Jacques ou Alexandre-Benoît quand l’occase se trouvait.

Le veuf frais pondu s’arrêta et saisit le bras jambonnier de son compagnon.

— Tu dis ça par charité chrétienne ! soupira-t-il.

Lors, le Mammouth s’enflamma :

— Soye pas con hors des normes, Augustin ! Ta gerce s’ faisait tirer comme à la fête foraine ; on y passait d’ssus kif si é s’rait été un pont à forte circulation. Moi-même, je m’ l’embroquais à l’occasion. Tu veuilles la preuve ? L’avait un’ trace d’opération sous l’nombrille du ventr’ et un’ tache brune av’c du poil aux intérieurs d’ la cuisse, près d’ la chaglatte. J’mentis-je ?