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San-Antonio

Réglez lui son compte

Première partie

FAITES CHAUFFER LA COLLE

CHAPITRE PREMIER

Plus moyen de dormir !

Si un jour votre grand-mère vous demande le nom du type le plus malin de la Terre, dites-lui sans hésiter une paire de minutes que le gars en question s’appelle San Antonio. Et vous pourrez parier une douzaine de couleuvres contre le dôme des Invalides que vous avez mis dans le mille ; parce que je peux vous garantir que la chose est exacte étant donné que le garçon en question c’est moi.

Ça vous surprend, hein ?

Et d’abord vous vous dites : « Pourquoi se fait-il appeler San Antonio ? »

Eh bien, je vais vous répondre. Lorsqu’un type dans mon genre écrit ses mémoires, après avoir exercé pendant quinze ans le plus dangereux de tous les métiers, c’est qu’il en a gros comme l’Himalaya à raconter ; en conséquence, il ne peut s’offrir le luxe de faire clicher son bulletin de naissance sur la page de couverture.

Mon nom importe peu. Du reste, il n’y a pas dix personnes au monde qui connaissent ma véritable identité. Et ceux qui ont essayé d’en apprendre trop long sur la question ressemblaient davantage à une demi-livre de pâté de foie qu’à Tyrone Power après que je leur ai eu conseillé de cesser les recherches.

Vous saisissez ?

Bon !

Maintenant je vais vous parler de moi, et vous donner des détails indispensables sur ma petite personne. Je dois vous dire pour commencer que si je ne suis pas le sosie d’Apollon, je n’évoque pas non plus un tableau de Picasso. Je ne me souviens plus du nom du bonhomme qui a dit que la beauté ne se mangeait pas en salade, mais j’ai dans l’idée que ce type-là n’avait pas du ciment armé à la place du cerveau. Il avait extraordinairement raison, et les femmes ne vous diront pas le contraire. Essayez de leur présenter, sur une assiette, un petit freluquet bien frisotté avec, à côté, un gaillard de ma trempe, et vous verrez si ce n’est pas San Antonio qu’elles choisiront, malgré sa tête de bagarreur et ses façons brusques.

Je connais à fond la question.

Sur les femmes, je pourrais vous en écrire si long qu’un rouleau de papier peint ne me suffirait pas.

Mais je ne suis pas de l’Académie française, et le blablabla psychologique n’est pas mon fort. Je vous assure que chez nous, aux services secrets, nous ne passons pas nos loisirs à lire des romans à la réglisse. Pour nous chanter le couplet sentimental il faut se lever de bonne heure, ça je vous le dis ; et il serait plus facile de charmer un ménage de crocodiles avec des boniments de midinette que de nous faire tomber en pâmoison avec des histoires de clair de lune.

Les petites mômes c’est bien joli, mais moins on y attache d’importance, mieux ça vaut. Surtout lorsqu’on pratique une profession où il y a plus de morceaux de plomb à gagner que de coquetiers en buis sculpté. Avec moi pas de pommade. Dites-vous bien que si je me bagarre avec mon porte-plume présentement, c’est pas pour jouer les romantiques. Les mandolines, c’est pas le genre de la maison et je me sens plus à l’aise avec la crosse de mon Walter 7,65 silencieux dans la main, qu’avec ce stylo qui bave comme un escargot qui voudrait traverser les Salins d’Hyères.

Dans l’affaire que je vais avoir l’honneur et l’avantage de vous relater, il y a des poupées bien tournées, des chouettes, des pin-up n° 1 comme vous n’en avez jamais vues dans les Technicolor d’Hollywood…

Mais je vous jure que je m’en serais bien passé…

*

Ça a commencé comme d’habitude : je dormais. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je trouve qu’à part la bombe atomique, on n’a jamais rien inventé de mieux que le lit.

J’étais en train de rêver que le shah de Perse me faisait visiter sa basse-cour, ou je ne sais pas quoi de rigolo, quand voilà Félicie qui me réveille. Félicie, pour tout vous expliquer, c’est ma mère. Une bonne vieille, pas du tout le genre ruine, mais pas non plus la tête de Lady qu’on voit sur les bouteilles de Marie Brizard. Une tête de chic vieille maman de chez nous, vous voyez ce que je veux dire ?

Elle a un coup particulier pour m’appeler lorsque j’en écrase. Elle toussote et éternue comme une souris. Boum ! J’ouvre les yeux. Il fait grand jour. Tout de suite, je me dis que c’est au poil et que je vais pouvoir faire ma partie de pêche sur les bords de la Seine. Et puis ma matière grise démarre à cent à l’heure et je comprends que si Félicie m’a réveillé, c’est pas pour me raconter que la chatte de la laitière a fait des petits.

Dans ce métier il faut s’attendre à tout. Vous rentrez de mission, vous croyez tirer quelques jours au vert, dans votre pavillon de Neuilly, et puis voilà qu’un motard rapplique avec une enveloppe bleue dans les doigts. Je regarde les mains de Félicie et justement, j’aperçois une enveloppe bleue. Je me mets en rogne. Alors quoi, il n’y a plus moyen de tirer douze heures consécutives sous les plumes ! Félicie baisse la tête comme si c’était sa faute. Elle qui devait me faire une quiche lorraine pour le repas de midi…

J’ouvre le message. Le chef m’ordonne de filer illico à Marseille pour m’occuper d’une affaire bien gratinée qui est peut-être plus de notre ressort que de celui de la Sûreté. Je dis à Félicie de me préparer une petite valise, je décroche le téléphone et je demande Orly. Un gars de l’aéroport me répond que l’avion pour Marseille va partir dans une heure, mais qu’il est complet. Alors, je lui chuchote quelques mots magiques et je l’entends qui se met au garde-à-vous. Il me dit que ça colle et que je peux amener mes cent quatre-vingts livres dans son Dakota. Une heure ! Je m’habille si vite que Frégoli à côté de moi est un paralytique. J’avale une tasse de thé-citron. J’embrasse Félicie qui, comme chaque fois, me recommande de faire attention à son fils unique et je saute dans ma traction.

Quand je suis au volant de ma bagnole, vous pouvez être assurés qu’un météore ne va pas plus vite que moi.

Il faut me voir traverser Paris !

Pour commencer, j’écrase le champignon jusqu’à ce que l’aiguille du compteur de vitesse aille se mettre sur le cent vingt et n’en bouge plus. Je traverse la ville à l’allure des pompiers lorsqu’il y a le feu chez le président de la République ; les flics sifflent tellement qu’on se croirait à un examen de garçons laitiers. Mais vous pensez si je m’en balance…

En passant à la porte d’Italie, je manque aplatir un cantonnier et je l’entends qui me crie sa façon de penser sur les types qui prennent les avenues de Paname pour la piste de Montlhéry. Je rigole un bon coup et je continue à enfoncer la pédale d’accélération. Je file tellement vite que je me demande presque si ça vaut le coup de prendre l’avion. À cette vitesse-là, il y a gros à parier que je peux être à Marseille avant le Dakota.

Lorsque je débouche sur le port aérien, je m’aperçois que les deux moteurs de mon oiseau tournent déjà à plein régime et l’hôtesse de l’air s’apprête à grimper dans le toboggan.

Elle est drôlement bien fabriquée, cette gamine.

J’escalade la passerelle à sa suite.

Il était temps, moi je vous le dis.

CHAPITRE II

Il est question du macchabée

Sitôt débarqué à Marseille, je saute dans un taxi. Le chauffeur est une espèce de mulâtre triste qui a les yeux d’un cheval qui viendrait de se faire opérer de la vésicule biliaire. Je lui ordonne de me conduire dare-dare à la Sûreté, et surtout de ne pas compter les bordures de trottoirs en route, because je ne m’intéresse pas à la question. Il sourit lugubrement. Ce moricaud a dû lire, la veille, un roman de Pierre Loti, ou alors il a reçu sa feuille d’impôts. Néanmoins, il conduit comme un prince russe. Il faut le voir doubler les tramways à gauche et brûler les signaux rouges ! En dix minutes je suis arrivé. Dans mon enthousiasme je lui refile cent balles de gratification. Il a l’air ahuri par ma générosité et se demande si, pour ce prix-là, il ne doit pas me chanter quelque chose. Je me lance dans les escaliers. Dans le hall, un agent m’avertit que le chef de la police ne reçoit pas le public. Alors je lui flanque mon insigne sous le nez et il me fait le salut militaire. Un de ses collègues prend livraison de ma personne et la véhicule à travers des bureaux où des inspecteurs cassent la croûte. Un instant plus tard, je suis introduit dans le cabinet du grand patron. Ils me plaisent tous les deux : le bureau parce qu’il est clair, et le patron parce qu’il n’a pas l’air m’as-tu-vu. C’est un grand type maigre qui ressemble à Anthony Eden. Il se lève, fait le tour de son bureau, et me serre chaleureusement la main.