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Quinze minutes plus tard, Je me trouve devant une maison basse non loin des Usines Simca (les anciennes). C’est ce que les Bérurier appellent « dormir à la campagne  ». Moi Je veux bien. Du reste, ils ont un autre air qu’à Paris puisqu’ils se trouvent entre les gazomètres et l’usine de produits chimiques.

Un Jardin de quatre-vingt-dix centimètres carrés, entièrement ensemencé de réséda sépare l’avenue de la porte (ou si l’on se trouve à l’intérieur de la maison, la porte de l’avenue). Coquette villa en fibrociment couverte en carton goudronné. Je me mets à tabasser à la lourde.

Au début rien ne bouge. Ensuite, il y a des grognements, des chuchotements, des crachats, des toux, des éternuements, des bâillements, des grattements de dos, des grattements de bas de dos, des grattements de ventre, des imprécations. Un homme que Je soupçonne de manquer de ferveur mêle étroitement le nom du Seigneur à celui de certains établissements qu’une dame fit clore pour de bon (n’ayant plus l’âge d’y sévir). Et puis enfin la porte s’ouvre. J’ai devant les yeux un bouton que Je pense être de braguette. Je regarde au-dessus de ce bouton et je découvre un nombril en parfait état de marche, à peine poussiéreux, et d’une contenance approximative de trois litres et demi. Par-dessus le nombril s’étend un chargement de fourrage qu’une main énorme malaxe mollement. Et, tout en haut du chargement, une voix demande :

— C’qu’v’s’avez à faire ch… le monde à c’t’heure-là ?

Ma curiosité native me pousse à contempler la bouche qui a émis cette phrase de bienvenue. J’aperçois tout là-haut une minuscule tronche de lézard.

— Je voudrais parler à Benoît, dis-je. Je suis son chef, le commissaire San-Antonio.

— Oh ! fait le gigantesque lézard (l’ensemble va chercher dans les deux mètres dix), j’ai entendu causer de vous par c’t’endoffé.

« Entrez !

J’entre.

J’entre dans une pièce qui a priori me semble être une cuisine car il y a un fourneau, un buffet et une pendulette-coucou. Mais au centre trône un énorme catafalque couronné de hardes. Qu’est-ce ? Mystère et Bérurier !

— Cendre ! hurle le dinosaure.

— Qu’est-ce c’est que ce b… ? fait le catafalque d’une voix qui doit être féminine. Je m’approche et je constate que ledit catafalque n’est en réalité qu’un fauteuil orthopédique pouvant adopter la position horizontale. Sur ce fauteuil il y a une chose énorme, mafflue, graisseuse, suintante, abominable. Cette chose est une femme. Une femme enveloppée dans une couverture aussi grande que la plage de lancement du porte-avions Béarn.

— Bonjour, madame, dis-je poliment au catafalque.

Celui-ci (je ne puis me résoudre à employer le féminin pour qualifier quelqu’un d’aussi effrayant) grogne quelque chose qui peut à la rigueur servir de salut après qu’on l’ait désinfecté à l’alcool à 90° et repeint au Ripolin express. Puis il enchaîne.

— Félix, remonte-moi, je veux voir !

Le géant à la tête de microbe enrhumé actionne une manivelle et le fauteuil, toujours lesté de son chargement, prend une position semi verticale, ce qui fait que le cétacé qui l’occupe se trouve relativement assis.

Contente d’avoir refait surface, la personne écarte douze kilogrammes de viande avariée pour me découvrir un sourire aussi émouvant que la bonde d’une citerne à purin.

Un remue-ménage a lieu dans une pièce voisine, puis la porte s’ouvre sur Berthe Bérurier. Spectacle étonnant. B.B. est en chemise de nuit. Un de ses nichons indisciplinés s’est évadé par l’échancrure et dévale la pente comme une avalanche.

— Oh ! Mais, fait la baleine du Gros, c’est le Commissaire ! Quel hasard ?

— J’ai besoin de Benoît, expliqué-je avec un maximum de sobriété dans la voix et dans le geste.

— Cendre ! barrit à nouveau le lézard.

— V’là ! meugle un Béru endormi.

La Gravosse me désigne le catafalque.

— Je vous présente ma sœur Geneviève.

Quelque chose s’échappe du monceau de bidoche pas fraîche : une main. Elle est épaisse comme un édredon et les doigts unis par la graisse ne se souviennent plus qu’à une époque ils eurent leur autonomie.

J’attrape la marchandise, je la lâche en affirmant que je suis enchanté.

Berthe a des bigoudis plein les crins. Elle les rajuste d’un geste bien de féminité, puis, d’un autre geste soulève le pan de sa chemise et se gratte furieusement l’entresol.

Quelqu’un apparaît, venant de la chambre voisine : Alfred le coiffeur. Lui porte un pyjama de soie bleu étourdissant. Élégant jusque dans la dorme, le merlan. Sa femme le suit, puis c’est ensuite un gamin obèse, une petite fille myope, un vieillard qui n’a pas eu le temps d’enfourner son râtelier ce qui lui donne une mâchoire de brochet, une mémé avec une pèlerine et un militaire habillé en soldat. Je commence à me sentir traqué par tout ce trèpe.

D’où ils sortent ces bonnes gens ? Je prends peur, moi ! La galerie des monstres, quand on a passé une nuit blanche, ça impressionne !

— Et alors, Béru ! je crie, tu arrives, oui ?

L’insoumis me répond par une question. Celle-ci concerne la partie charnue de sa personne, partie dont il se demande si elle ne serait pas en réalité du poulet.

Puis il s’annonce. Il a un futal, sa généreuse poitrine, réceptacle d’un cœur plus généreux encore, couverte de poils et de cicatrices a une belle couleur laiteuse. Béru c’est l’athlète polaire. Le soleil n’a jamais vu sa peau.

— Qu’est-ce tu viens maquiller dans ce b… ! s’étonne l’Enflure.

Cette fois le terme me paraît pleinement approprié. J’admire la richesse infinie de la langue française qui permet de qualifier gens et choses avec le maximum de nuance.

— Je te réquisitionne pour une affaire urgente. On prend l’avion dans trois quarts d’heure, fringue-toi vite !

Il disparaît.

— Où me remmenez-vous encore ? rouscaille la gravosse.

— À Glasgow, rétorqué-je.

— Misère, c’est au Japon, ça ! mugit la baleine.

Heureusement que Félix-le-lézard est là pour rectifier les erreurs géographiques de sa belle-sœur.

— T’es pas louf, Berthe ? C’est au Danemark.

— Qu’st-ce qu’est le plus loin ? s’inquiète Miss Monstre.

— Le Danemark, bien sûr, renseigne le dinosaure. Si tu connaîtrais la carte de la Mappemonde, tu le saurais.

Béru sort en galopant de la chambre commune.

Dans sa précipitation, il heurte la manivelle du fauteuil orthopédique. Ce dernier part brutalement dans sa position première. Ça fait un chahut du tonnerre de Zeus. On dirait qu’un quartier s’écroule. La frangine de B.B. se confond en imprécations. Elle plaint sa sœurette d’avoir un tel mari, elle dit qu’un manche pareil n’a pas le droit de vivre et que si c’était elle il pourrait retourner chez sa mère !

— Barrons-nous, fait le Gros, quand la montagne Sainte Geneviève se met à râler, j’aimerais mieux attraper la scarlatine !

Une fois dehors je lui demande, tandis qu’il s’installe dans ma chignole :

— Ton beauf, il est microcéphale, on dirait ?

— Penses-tu, fait Béru, il est plombier-zingueur.

CHAPITRE IV

Dans lequel je découvre le pays du whisky des gogos

Voyage sans incident. Notre coucou vole haut, ses hélices tournent rond, il a suffisamment d’essence pour nous conduire jusqu’en Écosse et il a à son bord une hôtesse de l’air qui filerait des démangeaisons dans la paume d’un manchot.