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Notez que je ne contemple ses formes formidables que par intermittence car, parodiant l’effroyable Béru, je me hâte d’en écraser. Ce roupillon de trois heures me répare un peu. Enfin, le haut-jacteur grésille et annonce à messieurs les passagers qu’ils doivent agrafer leurs ceintures because on est à pas longtemps de Glasgow. J’éveille Béru et ceci met fin à un doute que nourrissait le commandant de bord quant au parfait fonctionnement de ses moteurs. Effectivement, le Mastar produisait un bruit de turbine chancelante au point qu’une vieille Américaine dure de la feuille a demandé au-dessus du Pas-de-Calais s’il n’y avait pas de mou dans un turboréacteur.

— Baisse le col de ta veste ! enjoins-je. Tu fais clodo frileux.

Le Mahousse obtempère.

— Et maintenant ? qu’il demande, en retirant son chapeau aussi gras que l’évier d’un restaurant pour mettre en ordre des tifs rétifs.

— Maintenant, tu fais clodo pas frileux.

Je me tais, médusé.

— Mais dis donc, Pépère, t’as pas mis de liquette !

— Qu’est-ce tu débloques encore ? ronchonne le Gros.

Ce que disant il porte sa main boudinée à sa poitrine et se rend à l’évidence.

— Mince, dans la bousculade du départ…

Sous sa veste il n’a que sa cravate. Assez bien nouée d’ailleurs autour de son cou de goret.

— Ça se remarque ? s’inquiète mon coéquipier.

— Pas beaucoup, fais-je, car grâce à ton abondant système pileux on dirait que tu portes un pull en mohair. Faudra tout de même t’acheter une limace, Gros.

Il promet et nous descendons du zinc.

Après le passage de la douane nous remarquons un grand type en tenue de chauffeur de big house qui fait les cent pas dans le hall de départ (hall de départ servant également de hall d’arrivée). Et juste comme j’aperçois le type, le haut-parleur annonce qu’un chauffeur de la maison Herst attend monsieur San-Antonio dans le grand hall pour mettre une voiture à sa disposition.

J’aborde donc l’escogriffe, Je lui dis qui je suis et il me salue avec déférence.

Cinq minutes plus tard, j’ai les clés et les fafs d’une imposante Bentley noire, un tout petit peu plus grande qu’un corbillard automobile.

Le Big rupiné.

— Là-dedans, déclare-t-il, je dois avoir l’air de la reine d’Angleterre.

— God save the queen, soupiré-je.

Mybackside-Ischicken est une coquette cité d’environ cinq mille âmes à une cinquantaine de kilomètres de Glasgow.

Lorsque nous passons devant la plaque portant le nom de l’agglomération, je décide de me rencarder un chouïa sur les whiskies Mac Herrel et j’arrête mon corbillard devant une auberge à l’enseigne laconique : « Hand of my sister in a turkish trouser ».

Le Big et moi pénétrons dans une salle pittoresque aux boiseries dûment encaustiquées. Un poêle de faïence, éteint because la saison et l’esprit d’économie des tauliers, trône au milieu de la pièce.

Une dame rondouillarde, avec un chignon posé comme une pomme sur le sommet de la tronche, des lunettes cerclées de fer et un sourire de bébé, s’empresse.

— Pour moi ça sera un muscadet-cassis, affirme Béru.

— Tu te crois encore à Nanterre, hé ! Big Apple, dis-je. Ici tu es au pays du whisky, ne l’oublie pas.

— Je suis pas sectaire, transige mon pote, je me ferai une raison.

Il se tourne vers la souriante aubergiste.

— Two viskies dans des mahousses glass ! commande-t-il.

Le sourire de la brave woman disparaît comme si on venait de la taper pour le denier du culte. Elle m’annonce que ça n’est pas l’heure de l’alcool. Une tâche effrayante m’attend : expliquer à Béru qu’en Grande-Bretagne on ne peut s’alcooliser toute la journée. Il m’écoute, le visage meurtri par la déception. Les poils de son nez frisent.

— Dis-y qu’on est Français, tente-t-il, et qu’on pas à entrer dans ces considérations.

Je me file en renaud.

— Écoute, Bonhomme, on va se farcir deux thés, j’ai à me documenter auprès de cette vieille tarte et je ne tiens pas à piétiner les lois de son pays.

Instantanément, le Gros s’enferme dans une silencieuse hostilité.

Lorsque la théière fumante est devant nous, je me lance à l’assaut de la femme au chignon. Heureusement elle est causante, et puis ça l’amuse de bavarder avec un frenchman.

En moins de temps qu’il n’en faut à Béru pour vider cent centilitres de Côtes du Rhône, j’apprends que la distillerie Mac Herrel est une des plus importantes de la région. Elle se trouve bien à Mybackside-Ischicken, mais les propriétaires demeurent à trois kilomètres d’ici, à Stingines et comme leur crèche s’appelle Stingines Castle, j’en déduis sans mal qu’ils sont les châtelains de l’endroit.

Le temps de boire une gorgée de thé, d’acheter une chemise blanche à Béru, et nous voici en route pour Stingines.

Le pays ne comporte qu’un seul hôtel qui est : « The Great Hôtel of the generous Scottish ». Nonobstant la longueur de son enseigne, c’est un établissement relativement modeste.

Il est tenu par un couple d’Écossais : M. et Mme Mac Hantine, lesquels sont assistés d’une soubrette de dix-huit printemps environ, pas mal roulée du tout. J’explique que nous sommes des touristes français en vadrouille au pays des cornemuses, et nous sommes accueillis comme Anquetil au Parc après qu’il eut remporté son cinquième Tour of France. Mac Hantine est un type d’une soixantaine de carats, chauve avec une moustache blonde, de bonnes joues luisantes et un ventre qui ne fait pas oublier la passion de l’Écosse pour le rugby. Sa bergère au contraire, est grande, mince, osseuse, mais pas antipathique pour autant.

On nous donne les deux meilleures chambres de l’établissement : les ouatères sont sur le même palier et il y a l’eau chaude dans la cuisine. C’est la soubrette qui coltine mes bagages. En considérant sa croupe, mon siège est fait. Ce brin de muguet est tout à fait ce qui me convient, non seulement pour le sentiment, mais pour les informations locales.

Je l’attaque sec en lui plaçant mon sourire 84 bis ponctué d’une œillade plus incisive que des rayons X. Elle rougit.

« Message capté », mon commandant !

Nous voilà seulâbres dans ma chambre. Elle m’explique comment il faut faire pour ouvrir les rideaux de la croisée. Ces Écossais sont des gars prodigieux : il suffit de tirer sur un cordon et les rideaux s’écartent. Elle m’apprend ensuite de quelle manière on actionne le robinet du lavabo : il suffit de le tourner dans le sens inverse à celui des aiguilles d’une montre. Prodigieux, non ? Puis elle me fait remarquer que le lit possède deux couvertures, aussi écossaises qu’elle, et qu’il y a des tiroirs à la commode.

Ayant fourni sa documentation, elle se tait et me regarde de ses grands yeux bleus, pleins d’innocence et d’admiration.

Je lui demande son blaze : elle s’appelle Katty Mapple. Je lui déclare qu’elle est très jolie, elle me croit. Bref, ça carbure. J’hésite à lui décerner la galoche façon Hôtel Terminus, mais je me ravise. Le temps travaille pour moi. Laissons-la s’habituer à mon physique séduisant. En attendant je la travaille sur le terrain national en lui refilant un billet d’une livre imprimé en Angleterre.

C’est la première fois de toute l’histoire de l’Écosse qu’un monsieur lâche un pareil pourboire. Je frémis : elle va me prendre pour un dingue, ameuter la garde et me faire boucler vite-fait dans un asile psychiatrique.

Il n’en est rien. Katty adopte le parti le plus sage : elle fourre le bifton dans sa fouille. Pour ce prix-là, elle repeindrait Buckingham Palace avec un pinceau à cils.