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Trempe ton pain dans la soupe

A la mémoire de Jean-Claude Lateltin

qui fut le plus talentueux des architectes et un incomparable ami.

San-Antonio

Nouvelles « réflexions » de Frédéric Dard

Je suis un chic type de pacotille.

Plus le temps passera, moins on rencontrera de gens ayant navigué à bord du Titanic.

La voix d'un homme qui parle doucement couvre toutes les autres.

J'investis dans l'amour.

Le slip de Béru ? Un havre de pets !

Il avait une voix à vous dégoûter de vos oreilles.

La réussite m'a rendu plein d'insuffisance.

Je t'aime, malgré toutes tes qualités.

La poire est un fruit inconsommable : le jour même, c'est trop tôt. Le lendemain, c'est trop tard.

Le non-su perpétue l'innocence.

L'homme est toujours disposé à s'asseoir.

Nous aurons une explication orageuse si le temps le permet.

Ne fais pas le malin, car on a autant de chance de trouver de la merde dans ton slip que sur un trottoir.

***

Tout ce qui rend les Anglais joyeux m'est insupportable.

Albert Benloulou

PREMIÈRE PARTIE

JEU DE MASSACRE

1

Méfie-toi des Ricaines, fiston !

Si d'aventure tu en brosses une et que tu lui éternues dans la mandoline, n'oublie pas de récupérer ton sirop de burettes à la cuillère et de recompter tes poils de cul avant de la quitter.

C'est ça, la chiasse, avec les petites Yankees. Elles oublient, après calçage, que tu leur as déguisé les doigts de pied en bouquet de violettes et t'assignent devant les tribunaux pour viol et enfoutraillage de leur belle robe dominicale ; kif ce pauvre dadais de Président Clinton à l'éjaculation trop précoce pour être délectable.

Tu parles d'un glandu !

Il lui suffit d'appuyer sur un bouton pour mettre le monde à feu et à sang, mais il est pas foutu de contrôler ceux de sa braguette !

A cause de ce benêt, l'aigle américain s'est déplumé du croupion. On en verra d'autres, baby. Des plus tordues encore ; fais confiance à la connerie humaine.

Voilà le style de mes cogitations à l'instant où je poireaute dans le salon d'attente d'une clinique feutrée de Neuilly.

Elles sont telles, mes pensées, parce que c'est précisément à une jeune Amerloque que je viens rendre visite.

Miss Pamela Grey est une fille à papa made in U.S.A. dont le géniteur s'est emmilliardé dans le commerce du blé. Tu le vois, Eloi, ce book démarre comme les anciens polars de la « Série Noire » dans lesquels tu trouves immanquablement une riche héritière menacée de rapt par des gangsters de haute volée, décidés à faire cracher le dabe au bassinet…

Mais que je te module le pedigree de la gentille. Quand elle avait douze ans, sa maman, une Argentine volage, a joué cassos avec un beau ténébreux, en engourdissant un rude pacsif de dollars à son cornard.

De ce fait, la môme Pamela a vécu dans des collèges et universités de grand luxe jusqu'à ce qu'elle décroche un master d'économie. Ce parchemin en poche, elle est revenue au domaine familial avec des projets d'agences de voyages d'une conception nouvelle. Auparavant, elle a décidé de prendre une année sabbatique, ce qui est fréquent chez les jeunes gens friqués hésitant à plonger dans l'existence.

Elle s'est organisé un séjour en Europe et a choisi le mode de transport le plus long, à savoir le bateau. Une traversée en first à bord du Princess Butock, le nouveau fleuron de la Cunard, comme on dit puis à Bourgoin-Jallieu, mes villes natales.

Afin de ne pas se sentir seulâbre, elle a convié une amie de faculté à l'accompagner : Elnora Stuppen, fille aînée d'un pasteur noir sans fortune mais équipé de solides relations. Les deux condisciples se lièrent d'une brûlante amitié et devinrent bientôt inséparables. Peut-être se bouffaient-elles le cul ? Cette impertinente supposition, émise par un esprit biscornu, n'engage que moi. Je propage fréquemment des idées malveillantes, pour la puérile satisfaction de n'être jamais dupe ; je préfère soulever un doute de mauvais aloi plutôt que d'être floué en jouant les crédules.

Cette traversée de l'Atlantique Nord s'effectua dans d'aimables conditions. Sauf en son ultime partie, au cours de laquelle la compagne de Pamela disparut.

Une absence à bord d'un navire génère rapidement l'inquiétude. Le bâtiment fut exploré de la cale à la dunette (ce qui, en langage terre à terre, se traduit par « de la cave au grenier »). En vain ! La ravissante ne réapparut point. Son évaporation agaça fort le commandant Mortimer, lequel n'avait eu à déplorer, au cours de sa carrière, que la noyade d'un fêtard ivre s'obstinant à jouer les funambules sur la rambarde, et l'extinction de gérontes exténués qui avaient confondu le prestigieux paquebot avec un mouroir.

Miss Grey pleura fort l'absence de sa compagne dont elle prévint la famille. Elle marqua son intention d'écourter son voyage et de retourner aux States par avion. Son père l'en dissuada, alléguant qu'elle avait grand besoin de s'étourdir, au contraire. La jeune fille se rendit à ce raisonnement, car on est toujours enclin à choisir la route de la facilité, moins pentue que celle du devoir.

Une fois débarquée à Southampton, elle prit le train pour Paris, ville dont elle rêvait depuis ses premiers Pampers.

Las ! un sort mauvais devait décidément gâcher son voyage. Parvenue à la gare du Nord, elle fut victime d'une bousculade sur le pont de bois provisoire en surplomb des voies et fit une chute d'une sixaine de mètres. Résultats ? Vertèbre brisée, fractures du rocher, de l'épaule gauche et du talon droit. Un complet, comme tu peux voir !

Ainsi saccagée, les vaillants sapeurs-pompiers parisiens la transportèrent à l'Hôtel-Dieu. Elle n'y passa que quelques heures, car son paternel, prévenu du drame, la fit transférer dare-dare dans une clinique cinq étoiles où la bouteille de Vittel est facturée au prix du Dom Pérignon.

Maintenant, ne voulant pas te voir dépérir de curiosité, je vais, presto, dissiper les rudes points d'interrogation qui t'assaillent avec la fureur d'un essaim de guêpes dans lequel un gamin vient de shooter.

Les faits qui viennent d'être évoqués se sont déroulés hier. Or, figure-toi que ce morninge nous avons reçu la visite d'un monsieur dont le pavillon proximite le nôtre.

Cet homme travaille aux Pompes funèbres. Contrairement à ses confrères qui ont la réputation de se montrer joyeux drilles en dehors de leurs fonctions, ce personnage paraît coltiner le poids du monde sur ses crevardes épaules. Notre ancillaire ibérique vint m'informer de cette visite matinale alors que je procédais à mes ablutions.

Je passai une robe de bain en tissu-éponge, chaussai des babouches marocaines et descendis. Je pensais que le bonhomme venait me concasser les testicules pour me faire signer une pétition quelconque destinée à modifier les habitudes du quartier. Je renonçai à cette supposition en le voyant accompagné d'un branleur de quinze ou seize ans auquel la timidité donnait un air sournois.

L'escamoteur de cadavres me présenta une main aussi blême et froide que celles de ses clients.

— Alphonse Charretier ! se présenta-t-il.