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Les Anglais, rassurés par l'inaction de Tarniée royale à demi dispersée, avaient repris les champs; partout leurs capitaines menaçaient les villes demeurées au parti du roi. Les provinces arrachées à l'ennemi par Jehanne d'Are étaient piétinées et ravagées de nouveau. Noyon était à

Les Anglais avaient repris les champs.

l'ennemi qui déjà arrivait devant Compiègne, après s'être emparé des petites places des alentours et l'investissait pour forcer le passage de l'Oise.

Des capitaines de Charles VII s'étaient remis en campagne pour leur compte; Lahire avait pris Louviers et Château-Gaillard et de là se lançait dans des courses sur les pays occupés par l'ennemi. Jehanne d'Arc, enfin, avec une petite troupe, quittait l'armée royale et accourait à la bataille-Elle surprenait les Anglais à Lagny et se disposait à secourir Compiègne oii déjà elle avait été conférer avec le gou-

Jehanue avait été conférer avec Guillaume de Flavv.

verneur Guillaume de Flavy pour réchauffer le courage de la garnison et des habitants.

Le pauvre Jehan de Compiègne, fatigué d'errer dans les villes et provinces plus ou moins touchées par la guerre, où tout travail manquait, où tous édifices en construction étaient arrêtés et paraissaient plutôt destinés à une ruine prématurée qu'à un prochain achèvement, avait pris son parti, 11 s'était dit que ses bras vigoureux habitués à manier le ciseau et le marteau pourraient tout aussi bien tenir une arme et tailler.

sculpter les Anglais à grands coups de fauchard, avec une bonne colère patriotique, avec toute la légitime indignation d'un homme qu'on dérange dans ses habitudes et qu'on empêche de manger à son appétit.

Il allait se faire soldat et pour trouver rapidement l'occasion de passer sa fureur sur le dos de l'ennemi en coups et horions, il tâcherait de se joindre à la petite armée de Jehanne et de gagner Compiègne, où il combattrait côte à côte avec des amis, où il reverrait son vieux maître Jacques Bonvarlet.

Il marchait d un pas rapide tout en surveillant soigneusement sa route, en tournant, par crainte de mauvaise rencontre, autour des villages dont l'aspect morne et silencieux ne lui disait rien de bon. La nuit venait, les seules fumées visibles à l'horizon n'étaient pas celles d'honnêtes cheminées où chauffe la soupe du soir, mais bien des traînées sombres d'incendies mal éteints. Le silence de la plaine était lugubre, rompu seulement par des croassements de corbeaux qui passaient en vols nombreux, rasant les terres ou passant sur les collines, comme mis en humeur par tous ces tragiques bouleversements.

— Et souper? fit tout à coup Jehan. J'oubliais de souper? Voilà des heures et des heures que je marche, je vais, je cours, je tourne, il me semble que j'ai bien gagné mon souper !... Mais ça ne me le donne pas... Où trouverai-je bien mon souper? Je ne vois rien de mangeable dans tous ces champs... l'herbe répugne à mon estomac, il me faut des choses plus succulentes... voyons, voyons?

11 allait d'un champ à l'autre, la tête baissée, sans découvrir autre chose que cette herbe qu'il avait en dédain.

— Ah! fît-il, voilà un hameau tout près d'ici, avançons.

j'ai plus de chances de trouver quelque chose... mais prudence et méfiance, un œil sur les maisons et un œil dans les jardins... Assez misérable, ce hameau... bien sûr je n'y dois pas chercher rôtisseries et cabarets... Ne parlons de ces choses... Bon, rien ne remue par là... Avançons toujours... interrogeons ce clos... Bonté divine, des navets! Dieu du ciel, des carottes! Par mon saint patron, des oignons ! je suis sauvé, je vais faire bombance ! au souper! au souper ! Par une haie éventrée, Jehan pénétra dans le clos à l'aspect abandonné, où se distinguaient dans l'ombre du soir plusieurs vagues carrés de plantes. Vivement il se pencha sur le sol et arracha quelques légumes tout en continuant à monologuer. Jehan, on a pu le remarquer, était bavard; il aimait à formuler ses moindres pensées avec des mots et à défaut d'auditeurs il causait et discutait avec lui-même; à l'occasion aussi, on l'a vu, il se cherchait querelle, se morigénait, se disait des choses désagréables, parfois un peu dures, qu'il entendait sans se fâcher, malgré son mauvais caractère.

Jehan pénétra dans un clos.

— Carottes, bon! jeunes, tant mieux, plus tendres!... JNavets... jeunes, tantpis, fades!... Voyons, voyons, j'ai aperçu oignons, pourtant?... non, c'est poireaux... Contentons-nous-en... Encore carottes... ah? excellent, succuîent, raves? je l'avais dit, festin! noces de prince! banquet royal?... C'est assez, pas d'excès, ne retombons pas dans le vice... Gourmandise, fî! Mais prenons déjeuner pour demain... pas gourmandise cela, mais sagesse, prudence !..

Le bissac de Jehan grossissait, il y avait de l'espoir pour le déjeuner du lendemain. Jehan, caché derrière un arbre, réfléchit et observe.

— Pour souper aussi savou-reusement il faut s'installer, dit-il, et ensuitequelques heures de sommeil, car je suis cassé, brisé, rompu... il y a dans ce clos une grange qui me paraît convenable... Endroit tranquille... Brr! tranquille, je devine bien... toutes les portes ouvertes dans la maison là-bas, des fenêtres brisées, les routiers ont passé par ici, il n'y a plus personne, les gens sont dans les bois... Espérons pour eux qu'il sont dans les bois !... Pour rien au monde je n'entrerais dans les maisons, je suis excessivement poltron, mais la grange me paraît un endroit convenable pour ma nuit...

Jehan tourna autour de la grange, écouta, et glissa la tête

Des carottes, bombances et festins!

par la porte. Rien, pas un bruit. Il entra délibérément et à tâtons chercha un endroit convenable pour s'installer. Après s'être heurté à des tas de bois, à des instruments agricoles, herses ou charrues, il finit par atteindre un coin où s'entassaient des bottes de paille, il s'allongeait déjà voluptueusement sur cette paille lorsque, ses yeux commençant à s'habituer à l'obscurité, il distingua dans une partie de la grange un étage sous le chaume, rempli aussi à ce qu'il semblait, de paille ou de foin.

— Je serai mieux et plus tranquille là-haut, plus chez moi, allons, pas de paresse! Il lança son bâton et son bissac en l'air, puis s'accro-chant aux poutrelles, il eut bien vite escaladé l'étage. Dans les bottes de foin il pouvait se faire un lit aussi doux qu'en bas, mieux abrité des courants d'air, bien serré sous le chaume, dans un angle où des toiles d'araignées pleines de poussière faisaient comme de riches courtines de dentelles. — Soupons! fit Jehan, c'est-à-dire déjeunons, dînons et soupons en même temps, et après le festin, au lit tout de suite, nous aurons de la lune pour une partie de la nuit; dès que cette chandelle indiscrète s'éteindra, je me mettrai en route pour avoir fait quelques lieues avant le lever du soleil et celui de ces canailles de routiers!...

Il eut bien vite escaladé l'étage.

Songes asjri'iibles.

V

DOUCE NUIT UE REPOS TROUBLEE PAR UNE BANDE DE ROUTIERS

Sous le chaume, bien enfoncé dans le foin, .lehan dormait profondément depuis quelques heures. Il s'étirait un peu en dormant et rêvait. Jehan ayant à peu près dîné, ce qu'il ne faisait plus tous les jours, se trouvant moelleusement installé, bien au chaud, s'était efforcé d'éloigner de son esprit avant de s'endormir les tristesses et les inquiétudes présentes, assuré de les retrouver le lendemain, et cet état de bien-être lui avait procuré des songes agréables. Il rêvait que les moines de Saint-Corneille venaient en procession le supplier de reprendre le ciseau et de leur tailler pour lAbbaye les statues de tous les saints et saintes du calendrier sans omettre personne. Logé à l'Abbaye, nourri, abreuvé avec une profusion extrême, et même gênante pour son travail, il sculptait, sculptait, sculptait! Faveur extraordinaire et que personne n'avait jamais obtenue, pas même maître Jacques Bonvarlet, les saints et les saintes daignaient venir en personne complimenter l'imagier... Déjà, —il travaillait vite, malgré les cinq ou six plantureux repas quotidiens — déjà Jehan avait exécuté un saint Christophe de deux cents pieds de haut qu'il s'agissait de placer au sommet d'une tour énorme, fabuleusement élevée. Entreprise difficile ! Jehan se tournait et se retournait dans son foin, il avait beaucoup de peine à remuer son saint Christophe de deux cents pieds de haut. Il lui en venait des gouttes de sueur au front. Tout à coup il ouvrit les yeux, sortit péniblement de son rêve et se dressa sur ses poings. On parlait dans la grange au-dessous de lui, on parlait et on remuait.