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Que voulait dire ceci? 11 se frottait les yeux et le front pour tâcher de se réveiller tout à fait. —Oui, dans cette grange où il se croyait seul et tranquille, des gens parlaient. Un magnifique clair de lune étincelait au dehors, des rayons passaient par tous les trous du toit, et pénétraient largement en bas par la vaste ouverture sans porte de la grange. Jehan inquiet prêta l'oreille. Les intrus parlaient assez bas, mais de temps en temps une phrase prononcée avec animation pur une voix rude, avec un accent autoritaire, s'élevait au-dessus du murmure étouffé des autres voix.

— Des routiers ! se dit .fehan, me serai-je jeté dans la gueule du loup? De quel parti? Ils parlent français ou à peu près, car je ne comprends pas tout... écoutons. . Par les cornes du diable! du flamand dans leur jargon... bon! un juron anglais maintenant ! C'est une bande de brigands brabançons et.anglais... Comment me tirer de leurs griffes sans y laisser ma peau? Combien sont-ils?

p. 5V.

Les routiers.

Tout à fait réveillé, avec mille précautions pour ne pas faire crier le foin, il se tourna sur les coudes et glissa peu à peu jusqu'à une ouverture où l'argile manquait entre les poutrelles du plancher et risqua un regard par l'ouverture.

Les routiers se trouvaient juste en dessous, assis oucouchésencercle dans la paille, les uns éclairés en plein par la lune, les autres tout à fait dans l'ombre, taches noires à peine visibles dans le noir, mais sur lesquelles un rayon de lune, passant par un imperceptible trou du chaume, venait çà et là mettre une tache brillante, faire étin-celerl'acier d'un corselet, ou le pommeau d un poignard.

—Combien sont-ils?se demandait Jehan s'effor-çant de les compter. Un, deux, trois, quatre... cette

Un saint Christophe de deux cents pieds de haut.

cotte de maille qui brille à gauche, cinq, à côté, six, oh, les yeux de celui-là, sept, ça fait sept... un nez là-bas que frappe la lune, un grand diable de nez en bec d'oiseau qui ne médit rien de bon ; ils sont huit! Rien à faire qu'à se sauver, s'il y a moyen...

C'étaitvraimentunebande de sacripants que ces huit routiers que les yeux de Jehan, s'habi'aiant à la demi-obscurité, arrivaient à distinguer plus ou moins. Des gaillards de sac et de corde, faces patibulaires, glabres ou mal rasées, sombres figures du iMidi et nez crochus s'allongeant hors d'une barbe hérissée, sous des salades ou bassinets de formes diverses. Costumes de guerre ayant fait déjà nombreuses campagnes, i-ambisons de cuir matelassé, bri-gantines, surcots où brillaient les clous de cuivre maintenant la doublure de plaques d'acier, corselets de fer, hauberts de mailles rouillées. Les armes aussi étaientvariées, les routiers avaient à portée de la main quelques arbalètes, des vouges et des fauchars. Redoublant de précautions, Jehan se retourna sur le dos pour examiner son grenier à foin. Il ne fallait pas songer à se sauver par en bas, était-il possible de trouver une issue par en haut, dans le chaume? Jehan poussa un soupir de satisfaction, la lune lui montrait le chemin. Son grenier avait une espèce de lucarne à cinq ou six pieds au-dessus du plancher, il s'agissait de se hisser par là sur le toit de chaume et de se laisser couler ensuite dans le clos.

— C'est simple, il n'y a qu'à ne pas descendre du côté où

l'vasion.

cette bande de malandrins pourraitm'apercevoir dans le clair de lune, il n'y a qu'à ne pas faire le moindre bruit en sautant, et surtout à ne pas se casser une po.tte ou se fouler bêtement le pied! Et ne perdons pas de temps, car il pourrait leur

— Il V a des rats là-haut'.

prendre Tidée de venir s'allonger sur mon lit de foin, où l'on est plus au chaud qu'en bas...

Doucement, bien doucement pour ne pas faire crier la paille ou le bois, Jehan se g-Iissa vers la lucarne. Ses bras pourraient l'atteindre, mais passerait-il, n'était-elle pas trop étroite? Il se hissa à la force du poignet, oui, il pouvait passer, c'était juste, mais suffisant. Il allait enjamber la lucarne lorsqu'il se ravisa. Jl oubliait son bâton ferré. Comment se défendrait-il, s'il tombait plus loin sur quelque routier?

Avec un redoublement de prudence, il revint à son lit de foin et chercha son arme en tâtonnant. Ses mains rencontrèrent son bissac,

La llirc fsl avec cllo.

hélas il ne pouvait l'emporter, sa provision de carottes et de raves Tempêcherait de passer par l'ouverture. Enfin il mit la main sur son bâton. En cherchant il dut faire tomber des poussières ou des brins de paille sur les gens d'en bas, car l'un d'eux leva le nez en grognant et dit :

— H y a des rats ou un chat là-haut...

Jehan s'aplatit un instant sans bouger sur le plancher, puis reprit sa route vers la lucarne.

— Laissons les rats et résumons ! dit un autre des routiers dont la voix avait un accent d'autorité. Vous avez bien compris ? Il nous faut cet homme, ce messager du dauphin Charles soi-disant roi de France, il nous faut le message... L'argent qu'il porte au gouverneur de Compiègne sera la récompense de ceux qui l'auront tué. Il ne faut pas qu'il passe. Parti d'Orléans il y a quatre jours, il doit arriver sans doute à Senlis demain soir; si on peut le saisir avant Senlis, tant mieux, sinon l'embûche doit être dressée à la sortie. Si vous le laissez prendre par les Anglais de Creil qui doivent être en campagne aussi, vous perdrez la récompense.

— On l'aura avant eux !

— Ce messager ne sera pas difficile à dépêcher. Rappelez-vous bien que ce .lacques Bonvarlet est un homme petit et maigre, à barbe blanche...

Au nom de Jacques Bonvarlet, Jehan qui déjà se dirigeait vers le toit s'arrêta brusquement, le cœur battant. Que tramaient les brigands d'en bas contre maître Bonvarlet? 11 avait entendu confusément qu'il s'agissait de guetter un homme chargé d'un message...

— Notre ami de Compiègne, qui nous a bien renseignés jusqu'ici, nous a dépeint ce Bonvarlet pour que nous ne nous laissions pas berner. Petit et assez vieux, barbe blanche, c'est compris?

— Soyez tranquille, messire, on ne laissera passer aucun petit vieux, avec une barbe grisonnante.

— Une fois son message entre nos mains, monseigneur le duc de Bourgogne saura s'en servir pour tendre quelque bon traquenard au gouverneur de Compiègne. Mais il faut réussir vite, car cette damnée Jehanne la Lorraine marche sur la ville avec une troupe assez faible, mais composée de soudards solides, et La Hire est avec elle.