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Il hésite un instant, puis il ajoute :

« Je vous embrasse. »

Il roule vers Rambouillet, doublant les colonnes de chars et de véhicules blindés de la 2e DB. Philippe est dans l'un de ces engins. Que Dieu le laisse en vie !

Il le verra plus tard, à Paris, au moment de cette victoire qui s'annonce.

Il a, aux tournants les plus importants de cette guerre et de son destin, en juin 1940 et lors de cette nuit du 5 au 6 juin 1944, voulu que son fils soit à ses côtés, comme le témoin intime de l'histoire, et comme celui qui, demain, continuerait les de Gaulle, en France, comme ils le firent depuis Azincourt. Il faut qu'il voie son fils à Paris.

Il a reçu au Mans un groupe étrange, le frère du consul général de Suède, Rolf Nordling, le baron autrichien Poch-Pastor, officier de l'armée allemande, aide de camp de Choltitz et sans doute agent américain, et Jean Laurent, son ancien directeur de cabinet en 1940, aujourd'hui directeur de la Banque d'Indochine, accompagné du banquier Alexandre de Saint-Phalle.

Ils ont proposé de réunir l'Assemblée nationale de 1940, une nouvelle version du plan Laval-Herriot. Tout ce petit monde se soucie de la « transition » dans la légalité.

Encadrer de Gaulle puisqu'on n'a pu l'écarter ! Il est resté impassible. Ils n'ont pas entendu l'émotion et la colère gronder.

32.

De Gaulle est installé dans un appartement du château de Rambouillet, sous les combles. Il pleut de nouveau à verse.

À Paris, des éléments avancés de la 2e DB, commandés par le capitaine Dronne, sont parvenus jusqu'à l'Hôtel de Ville. Les cloches de la capitale ont sonné à toute volée.

Il marche dans le parc, sous la pluie. Il arpente la terrasse. Il fait transmettre un message à Charles Luizet, préfet de Paris.

Il compte, dit-il, à son entrée dans la capitale, se rendre non point à l'Hôtel de Ville où siègent le CNR et le Comité parisien de Libération, mais « au centre », au ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique, parce que la France est en guerre, « parce qu'il faut établir que l'État, après les épreuves qui n'ont pu ni le détruire ni le desservir, rentre d'abord tout simplement chez lui ».

On lui apporte les premiers journaux libres parus à Paris : Combat, Défense de la France, Franc-Tireur, Front National, Libération, Le Figaro, L'Humanité. Certains d'entre eux publient en grosses lettres :

« UN SEUL CHEF, DE GAULLE

UN SEUL AMOUR, LA FRANCE »

Mais derrière ces proclamations, il devine les intentions politiques divergentes.

Il lit l'article que publie François Mauriac dans Le Figaro :

« Tandis que les pas de l'officier allemand ébranlaient le plafond au-dessus de nos têtes... nous écoutions, les poings serrés, nous ne retenions pas nos larmes... "Le général de Gaulle va parler, il parle !" Au comble du triomphe nazi, tout ce qui s'accomplit aujourd'hui sous nos yeux était annoncé par cette voix prophétique... »

Lui, si seul en juin 1940, lui que Mauriac ne voulait pas écouter alors, ému seulement par les propos de Pétain.

C'est ainsi.

Il va marcher à nouveau sur la terrasse. Il fume un cigare en regardant passer les chars de la 2e DB.

Il faut qu'il entre rapidement dans Paris, dans les heures qui viennent, pour rassembler dans l'État ces forces qui, sans cela, il le sent déjà à lire ces journaux, peuvent diviser le pays.

Courcel vient lui dire que la radio britannique annonce la libération de Paris avec enthousiasme. On vient de recevoir un message du roi George VI qui exprime sa « profonde émotion ». La Voix de l'Amérique a elle aussi diffusé la nouvelle, mais sans chaleur.

Il a un instant d'inquiétude. Cette annonce prématurée alors que rien n'est définitivement joué démoralisera-t-elle les troupes allemandes ou au contraire suscitera-t-elle une réaction du Führer ? L'envoi de renforts ? Le bombardement de Paris ?

Tout à coup, voici Leclerc, vif, énergique, les yeux bleus dans son visage émacié à la peau tannée.

De Gaulle l'écoute expliquer qu'il entrera demain dans Paris. Qu'il a chargé Billotte de diriger l'assaut en direction de l'hôtel Meurice où se trouve von Choltitz.

Juste gloire pour Billotte, évadé de Poméranie, interné par les Russes et depuis fidèle et talentueux chef d'état-major.

De Gaulle fait quelques pas, s'éloignant de Leclerc. Il eût suffi de quelques divisions blindées commandées par des hommes comme ceux-là pour qu'en juin 1940 la France ne basculât pas dans l'abîme. Il en fait le serment, il ne laissera plus l'État, s'il le peut, s'enliser.

Il murmure à Leclerc : « Vous avez de la chance. »

Il regarde le général s'éloigner d'un pas rapide, lançant sa canne en avant d'un mouvement nerveux. C'est comme une image de la jeunesse héroïque.

La nostalgie, un instant, s'installe. Il pense à ce qu'il aurait ressenti s'il avait eu l'honneur de libérer Paris à la tête d'une division combattante.

Et soudain, cette angoisse, cette question qu'il n'a pas voulu poser à Leclerc : « Où est mon fils ? » Que Philippe vive cela, la libération de Paris.

Il entre dans sa chambre, commence à préparer le discours qu'aujourd'hui ou demain il devra prononcer.

Il faut que les mots aient une force telle et soient chargés d'une si grande émotion qu'ils s'inscrivent dans les mémoires, qu'ils soient à la hauteur de l'événement.

Il sursaute. Le lieutenant Claude Guy, l'officier d'ordonnance, pose devant lui deux tomes des Chroniques de Froissart, trouvés dans la bibliothèque du château.

À quoi bon continuer à écrire ? Il commence à lire. L'histoire de la France à ses origines est là, dans ce récit qui souvent prend les accents d'une légende.

Voilà le souffle qu'il doit retrouver demain, puisqu'il est celui qui continue l'histoire de la France.

C'est le matin du 25 août 1944. Il se promène dans le parc en compagnie de Claude Guy et de Geoffroy de Courcel.

Il veut desserrer l'émotion qui le tenaille à la pensée de cette journée qui commence et qui va, comme le 18 juin, marquer toute sa vie.

Il s'arrête devant une statue de Diane. Il se souvient de son enfance, de son père, des vers de Phèdre qu'il récitait.

Puis il revient lentement au château.

« Je me demande où est mon fils », murmure-t-il.

Il est 13 h 45, ce 25 août 1944. Il dicte une note pour le colonel de Chevigné, de la 2e DB.

« Je partirai de Rambouillet à 15 heures.

« Première destination : gare Montparnasse, où je compte vous retrouver.

« Mon itinéraire sera :

Porte d'Orléans

Avenue d'Orléans

Avenue du Maine

Rue du Départ

Hall de la gare Montparnasse.

« Veuillez prévenir le général Leclerc. »

De Gaulle refuse la voiture blindée que le lieutenant Guy a prévue. Il s'indigne : c'est la voiture de Laval !

Et qu'est-ce que ces quatre automitrailleuses ? Va-t-il entrer dans une ville hostile, ennemie ?

Il veut à sa suite deux ou trois voitures. Le général Juin et Boislambert dans la première.

Il fait avancer devant le perron du château de Rambouillet une Hotchkiss noire, découverte. Il y monte. Il lève les yeux. Le ciel est d'un bleu méditerranéen.

Il fait un signe. La voiture commence à rouler. Il se sent à la fois « étreint par l'émotion et rempli de sérénité ».