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La nature a un langage inconnu et mélodieux qui remue profondément le cœur et fait doucement rêver.

Le vieux Tanneguy sentit une singulière tristesse s’emparer de son esprit, et il laissa sa pensée s’envoler un moment vers les mondes infinis de l’imagination.

Quant à Margaït, elle était déjà loin!…

Elle avait détaché le chapeau de paille aux larges bords, par lequel elle avait remplacé ce jour-là la coiffe traditionnelle des filles de Bretagne; ses longs cheveux flottaient au vent sur ses épaules, et la blonde enfant courait devant elle, avec un fol enivrement.

De temps en temps seulement, quand après avoir arraché aux revers du chemin, bon nombre de fleurs bleues et jaunes, elle se retournait tout à coup, et n’apercevait plus derrière elle la silhouette aimée du vieux Tanneguy, elle remontait en courant la pente qu’elle venait de descendre et s’empressait de reprendre, pour un moment, sa place accoutumée auprès de son père.

Ce n’est pas que Margaït eût peur de se trouver ainsi seule au milieu du sentier; Margaït n’avait peur que des farfadets et des sorcières, et elle savait bien que les sorcières et les farfadets ne battent pas la campagne pendant le jour. Mais Margaït aimait son père, et quand les papillons, la brise ou les fleurs ne lui inspiraient plus de graves distractions, son cœur tout entier revenait à son père bien-aimé!

C’était une noble enfant que Marguerite, et le vieux Tanneguy n’ignorait pas quel pur trésor Dieu lui avait envoyé!…

Dans un de ces moments, où emportée loin de son père, par l’élan de sa course, la blonde enfant ne songeait plus qu’à pourchasser les papillons et les vertes demoiselles, elle atteignit un endroit solitaire où la route se dégage tout à coup des petites haies vives qui jusque-là masquent l’horizon et permet au regard de planer au loin sur les vastes grèves de l’Océan.

Soit que Marguerite se sentît touchée de la beauté du spectacle qui s’offrait si inopinément à ses yeux, soit qu’une autre cause eût fait naître en elle un sentiment mêlé de crainte et de joie, elle s’arrêta aussitôt et croisa ses deux bras demi-nus sur sa poitrine! Puis, comme si la gaieté qui l’avait accompagnée jusqu’alors, l’eût tout à coup abandonnée, comme si même une certaine terreur se fût emparée d’elle, elle regarda instinctivement à ses côtés ne sachant si elle devait avancer ou reculer!…

Enfin, elle parut prendre son parti en brave, tourna vivement sur elle-même, et après un nouveau mouvement d’hésitation, elle reprit sa course, et s’en alla rejoindre son père qu’elle ne tarda pas d’ailleurs à apercevoir.

La cause des craintes et des hésitations de Marguerite, est trop naturelle et a trop d’importance dans cette histoire, pour que nous en fassions plus longtemps un secret au lecteur.

Disons donc de suite, qu’au moment où la jeune fille atteignait l’extrémité du sentier où nous l’avons vue s’arrêter, un jeune homme, vêtu d’un costume élégant du matin, venait à elle, monté sur un magnifique cheval de race.

C’était presque un enfant encore… Il avait des yeux vifs et noirs, de longs cheveux bruns qui tombaient en boucles le long de ses tempes, et la petite moustache noire qui décrivait une courbe gracieuse sur sa lèvre, faisait ressortir la belle pâleur de sa peau…

Le jeune cavalier n’avait point remarqué Marguerite, ou s’il l’avait remarquée, il ne l’avait assurément pas reconnue, car il continua sa route, sans chercher à accélérer le pas tranquille de sa monture.

Son regard errait vaguement à droite et à gauche et sa pensée suivait son regard.

Il rêvait!…

Il rêvait… à ces mille choses douces ou graves, charmantes ou terribles, qui se présentent fatalement à tout homme qui entre dans la vie!…

Il se disait qu’il avait vingt-deux ans déjà, que la vie s’ouvrait devant lui, et qu’il ne savait quelle route choisir, parmi toutes ces routes qui s’offraient à lui.

Il se demandait quel sentiment inconnu, étrange, évoquait en son cœur enthousiaste le spectacle de l’Océan, ou cette sublime et triste harmonie des grandes solitudes.

C’était un enfant encore, et devant le problème insondable et irrésolu de la vie humaine, il se sentait hésiter, et il avait peur!…

Quand le vieux Tanneguy et le jeune cavalier se rencontrèrent, le visage du premier parut s’épanouir, et il lui fit un signe de tête plein de bienveillance et de sympathie. – Bonjour, monsieur Octave, lui dit-il en le saluant de la main, j’espère que vous voilà matinal aujourd’hui.

Le jeune cavalier avait arrêté son cheval, et après s’être incliné devant le père de Marguerite, il avait envoyé à cette dernière un sourire particulier qui témoignait de relations antérieures.

Puis, il se retourna vers Tanneguy.

– Il a bien fallu se lever de bonne heure, lui répondit-il en lui tendant une main que le Breton serra avec une affection toute paternelle, ma mère est allée à Morlaix ce matin, et je vais à sa rencontre.

– Madame la comtesse est bien?… demanda Tanneguy.

– Fort bien, je vous remercie» répondit le jeune homme.

– Ah! nous avons souvent parlé de vous Marguerite et moi, poursuivit Tanneguy après un moment de silence; il y a déjà quelque temps qu’on ne vous a vu à la ferme, et je vous croyais reparti pour Paris…

– Non, interrompit Octave, et je n’ai nulle envie de repartir encore… mais j’ai eu de graves préoccupations depuis que je ne vous ai vu…

– Des préoccupations politiques?… fit le vieux Tanneguy en souriant avec bonhomie.

– Peut-être bien! répondit Octave en jetant à la dérobée un regard sur Marguerite.

Marguerite devint rouge comme une cerise.

Mais le jeune homme était pour le moins aussi embarrassé que la jeune fille, et après quelques paroles banales échangées encore avec Tanneguy, il les salua tous deux par un geste gracieux, leur promit d’aller bientôt les voir à leur ferme de Lanmeur, et enfonça lestement ses éperons dans les flancs de son cheval.

La noble bête prit aussitôt le trot, et monture et cavalier disparurent un instant après aux regards de Tanneguy et de sa fille.

Quand ces derniers l’eurent perdu de vue, ils reprirent silencieusement leur chemin, et se dirigèrent du côté de Saint-Jean-du-Doigt, dont on voyait déjà poindre à l’horizon les premières maisons…

À l’extrémité du village, sur une petite langue de terre, qui avançait presque aux bords de la grève, et derrière un bouquet d’arbres touffus, dont les tons verts et vifs, se détachaient nettement sur le fond sablonneux de la côte, s’élevaient les blanches murailles d’une sorte de cottage solitaire.

Dès qu’ils aperçurent cette charmante habitation, un rayon de joie brilla un moment dans les regards de Tanneguy et dans ceux de sa fille, et, instinctivement, ils pressèrent le pas et hâtèrent leur marche…

Cette habitation, c’était le presbytère de Saint-Jean-du-Doigt!…

II

Le bourg de Saint-Jean-du-Doigt est loin d’offrir à la curiosité du touriste ce que le touriste est habitué à chercher en Bretagne, c’est-à-dire des monuments d’une haute antiquité, ou quelque objet digne d’être soumis à l’appréciation des antiquaires de Paris. – À part son église dont quelques parties rappellent, avec assez de fidélité, l’architecture du quinzième siècle, et un vase d’argent richement ciselé, que l’on y conserve comme un don authentique fait à la commune par la reine Anne, le petit bourg ne présente guère d’intérêt au voyageur, que sa position pittoresque, et la beauté du site qui l’environne!