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Octave était un bon et simple jeune homme, qui n’avait pris aucun des travers du milieu dans lequel il avait vécu. Fils unique, dernier rejeton d’une famille aristocratique, il avait été entouré, dès son enfance, de tous les soins, de toutes les fantaisies qui flattent l’esprit, et cependant, son cœur ni son esprit n’en avaient été gâtés. Il s’était développé au milieu de ce monde de luxe, sans se laisser entraîner sur la pente si douce des plaisirs faciles que le monde tolère, et à vingt ans, il avait encore sa première pureté, et aucune séduction ne l’avait entraîné au-delà des limites sacrées de l’honneur et du devoir.

Octave avait aimé Marguerite dès le premier jour; il avait bien senti le trouble pénétrer dans son cœur, avec ce nouveau sentiment; mille désirs impatients avaient vingt fois sollicité sa jeunesse; mais la passion ne l’avait pas emporté jusqu’à l’aveuglement, et jamais la pensée ne lui était venue de ternir la chasteté de son amour par une trop vive ardeur de la possession.

Pour Marguerite, nous l’avons dit, les choses s’étaient passées autrement. Pour elle, en effet, la vie n’avait pas toujours eu des joies sans amertume; privée, dès sa plus tendre jeunesse des caresses d’une mère chérie, elle avait vécu, un peu isolée, quelquefois même, en proie à des découragements indéfinissables. L’amour de son père ne lui avait pas toujours suffi. Puis, un soir, elle avait vu Octave, et elle l’avait aimé. Cela s’était passé aussi simplement que nous le racontons. Elle crut lire dans les yeux du jeune homme qui se rapprochait d’elle, une pitié tendre qui s’adressait à sa souffrance cachée, une promesse de bonheur qu’on lui envoyait pour l’aider à supporter ses douleurs secrètes, et elle, la pauvre enfant naïve, s’était laissé prendre à la joie, à l’espérance, à la vie, en rencontrant cette chaste sympathie. Il y avait dans le cœur d’Octave trop de pur amour, pour que l’idée lui vînt de faire rougir Marguerite.

Il se serait tué plutôt.

Et cependant, du coin où l’amoureuse jeune fille l’avait relégué, il jetait un coup d’œil avide sur ces charmes divins, qu’un voile léger lui dérobait à peine.

Il ne l’avait point encore vue ainsi.

Et son regard s’allumait, sa poitrine était en feu; vingt fois même, par un mouvement irréfléchi, il fut sur le point de se précipiter vers elle, et de la prendre dans ses bras…

Mais un geste de Marguerite, geste moitié impératif, moitié suppliant venait l’arrêter, et le retenir à sa place.

Ils s’aimaient tous deux, et c’est ce qui les sauva!…

Pourtant, dans un de ces moments où le sang refluait avec tant d’abondance vers la poitrine d’Octave, où le feu circulait, ardent dans ses veines, où mille désirs mal combattus l’emportaient malgré lui, vers une solution dont il eût rougi de sang-froid, la vertu dont il avait fait preuve jusqu’alors fut vaincue, et il marcha à Marguerite, les cheveux en désordre, et la tête perdue!

En le voyant ainsi venir à elle, Marguerite poussa un cri de détresse, et croisa ses deux bras sur sa poitrine:

– Octave, cria-t-elle d’une voix désespérée, vous mentez à votre parole.

– Marguerite, essaya de répondre Octave, qui déjà, d’un geste puissant, saisissait ses deux mains effrayées.

– Oh! mon Dieu!… dit la jeune fille accablée.

– Marguerite! Marguerite!… tais-toi… poursuivit Octave, tais-toi, je t’aime… des préjugés de famille nous séparent aujourd’hui… mais tu peux être à moi!… devant Dieu, tu seras ma femme, ma Marguerite bien-aimée… Oh! je te le jure, enfant chère, mon plus saint désir, ma plus noble ambition est de consacrer ma vie à ton bonheur; et quoiqu’il arrive, mes jours sont désormais liés aux tiens… Marguerite.

– Laissez-moi! dit la fille de Tanneguy d’une voix mourante.

– Jamais!

– Octave! Octave! vous êtes mon plus implacable ennemi!…

Mais Octave n’écoutait plus rien, un instant encore, et Marguerite était perdue… Elle fit un effort désespéré; la honte et la pudeur lui donnèrent des forces surhumaines, et, dégageant ses mains de l’étreinte passionnée de son amant, elle courut effarée vers la fenêtre qu’elle se hâta d’ouvrir:

– Si vous faites un pas de plus, dit-elle en indiquant cette nouvelle issue qu’elle venait de se frayer, Octave, je me tue.

Mais Octave n’avait nulle envie de la suivre; déjà son sang s’était refroidi, et il avait honte du mouvement qui l’avait un moment emporté. D’ailleurs la porte venait de s’ouvrir, et la silhouette du père de Marguerite s’y dressait maintenant grave et sévère.

– Octave! dit le vieillard d’une voix lente et sombre, je vous ai estimé jusqu’aujourd’hui à l’égal d’un gentilhomme et d’un homme de cœur; mais l’action que vous venez de commettre est une lâcheté, et je vous méprise…

– Monsieur, balbutia Octave.

– Une lâcheté, répéta Tanneguy avec fermeté; une pauvre fille sans défense, une enfant, innocente et pure; ne pas se contenter de la séduction du regard et de la parole, pousser l’infamie jusqu’à la violence, ah! c’est trop, monsieur, et tout autre que moi, peut-être, vous eût fait payer cher une semblable conduite…

– Mais je l’aime! interrompit Octave; mon seul désir est de faire de Marguerite ma femme devant Dieu et devant les hommes!

Tanneguy haussa les épaules, et sourit:

– Que vous l’aimiez, monsieur, répondit-il, c’est possible: mais que vous ayez l’intention de l’épouser, c’est faux.

– Pourtant…

– C’est faux, vous dis-je, car vous savez bien, comme moi, que Mme la comtesse de Kerhor ne consentirait jamais à une pareille union. Et cependant, poursuivit Tanneguy, toujours avec la même gravité triste, il fut un temps où les Tanneguy eussent peut-être hésité, eux aussi, à contracter une alliance avec les Kerhor. Mes ancêtres m’ont légué à moi aussi, monsieur le comte, un blason que je n’étale pas aux yeux du monde, mais dont je suis fier, et je ne permettrai à personne, à personne, entendez-vous, de le souffleter impunément!

Et comme Octave demeurait interdit et muet, le vieux Breton continua:

– C’est le malheur des temps, monsieur le comte, dit-il, les jeunes gens d’aujourd’hui, qui, à l’âge de vingt ans ne croient plus à l’amour, à la fidélité, à la loyauté, à l’honneur, s’arrogent le droit de porter insolemment le trouble et la honte dans les familles… Que leur importe à eux la vieillesse du père ou la pureté candide de la fille; ils vont droit leur chemin, sans s’inquiéter de ce qu’ils laissent derrière. Mais il peut se trouver cependant, et j’en suis une preuve vivante, monsieur le comte, un homme, un vieillard, que de pareilles actions révoltent, qui a encore dans les veines un sang jeune et vigoureux, et qui, au besoin, ne l’oubliez pas, saurait venger par l’épée, et d’une main sûre, l’outrage fait à son honneur! Allez donc, monsieur le comte; demain, grâce à vous, ma fille et moi nous quitterons le pays… Et je vous le dis, avant de vous quitter, je vous le dis sans colère et sans forfanterie, je prie Dieu qu’il vous éloigne à tout jamais de ma demeure.