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Cette mission spéciale revint une dizaine de fois dans mon secteur. Toujours selon la même routine qui semblait absurde. Puis elle passa dans le secteur du Cinquième Régiment. Mais en partant, un des officiers me tendit une feuille et me dit :

— Voici votre carte souterraine, lieutenant. Cette large bande rouge représente le seul boulevard à Punaises que vous ayez dans votre secteur. A la limite, il est à trois cents mètres de profondeur mais il grimpe ensuite régulièrement vers votre arrière gauche où il est à moins de cent trente-cinq mètres. Ce réseau bleu est une importante colonie de Punaises. J’ai indiqué les seuls points distants de moins de trente mètres. Vous pourriez éventuellement y placer des sondeurs avant que nous intervenions.

Je l’ai regardé et j’ai demandé :

— Est-ce que cette carte est juste ?

L’ingénieur a jeté un coup d’œil au senseur, puis, d’une voix très calme, il m’a répondu :

— Bien sûr, idiot ! Vous voulez le mettre en colère ?

Et ils m’ont laissé avec la carte. L’ingénieur était un artiste. Cette carte était une véritable projection en relief sur trois cents mètres de profondeur. Elle me fascinait à tel point qu’il fallut qu’on me rappelle que ma section était toujours en hérisson au sol.

Je fis retirer les sondeurs du cratère et je pris deux hommes de chaque peloton auxquels je donnai les coordonnées de cette carte des enfers en leur demandant de sonder ce fameux boulevard à Punaises ainsi que la grande ville.

Je fis mon rapport à Blackie. Il m’interrompit alors que je m’apprêtais à lui donner les coordonnées des tunnels de Punaises.

— Le major Landry m’a fait transmettre une copie. Donne-moi seulement les coordonnées de tes postes d’écoute, Johnnie.

Je m’exécutai.

— Pas mal, Johnnie. Mais ce n’est pas exactement ce que je voulais. Ecoute… Tu as placé trop de sondeurs au-dessus de ces tunnels. Prends-en quatre et mets-les sur cette avenue, plus quatre autres autour de leur ville. Ce qui t’en laisse encore quatre. Tu en mets un dans le triangle formé par ton angle arrière droit et le tunnel principal et tu gardes les trois derniers pour le secteur le plus important, de l’autre côté du tunnel.

— Vu, capitaine… Mais… est-ce que je peux me fier à cette carte ?

— Qu’est-ce que tu as contre elle ?

— Eh bien… On dirait de la magie… De la magie noire.

— Oh !… Ecoute, fiston, j’ai un message spécial pour toi de l’Amiral du Ciel. Il te dit que cette carte est absolument officielle et qu’il s’occupe de tout pour que tu te consacres entièrement à ta section. Tu me suis ?

— Oui, capitaine.

— Mais tu sais comme moi que les Punaises creusent rapidement. Il faut que tu fasses tout spécialement attention aux postes d’écoute qui sont loin des tunnels. Tu dois signaler immédiatement tout ce qui fait plus de bruit qu’un papillon.

— Oui, capitaine.

— Quand les Punaises creusent, c’est comme du bacon en train de frire… au cas où tu n’aurais jamais entendu ça. Arrête tes patrouilles. Laisse un homme en observation visuelle sur le cratère. Donne deux heures de sommeil à la moitié de ta section. Que les hommes de l’autre moitié se relayent à l’écoute.

— Bien, capitaine.

— Il se pourrait bien que tu voies arriver d’autres ingénieurs. Je te donne le plan tel qu’il est maintenant. Une compagnie de sapeurs va boucler le tunnel principal là où il est au plus près de la surface, sans doute sur ton flanc gauche ou plus loin, dans le secteur des « Chasseurs de Têtes ». Dans le même temps, une autre compagnie fera le même travail à l’endroit où le tunnel se divise, cinquante mètres environ sur ta droite, dans la région couverte par le Premier Régiment. Quand ce sera fait, toute une portion de leur grand boulevard sera isolée, ainsi qu’une importante colonie. La même tactique sera appliquée un peu partout. Ensuite… on verra. Ou bien les Punaises tenteront une percée vers la surface et nous aurons une belle bagarre, ou bien elles se planqueront et il faudra les débusquer, un secteur après l’autre.

— Je vois…

Je n’étais pas du tout certain de voir correctement, mais je comprenais mon boulot : redisposer mes postes d’écoute et faire dormir une moitié de ma section. Ensuite, la chasse aux Punaises… en surface si nous avions de la chance, autrement, dans les profondeurs.

— Johnnie… Que tes hommes de flanc se portent au-devant des sapeurs quand ils arriveront. Qu’ils les aident au besoin.

— D’accord, capitaine.

Ça n’était pas pour me déplaire. Les hommes du génie sont d’excellents combattants qui valent presque ceux de l’Infanterie. C’est un plaisir de travailler avec eux. Quand il y a un sale coup, ils savent se battre. Ils ne sont peut-être pas très experts mais ils y mettent du courage. Et quand ils font leur boulot, ils ne lèvent même pas la tête, même au plus fort de la bataille. Ils ont une devise : « Nous pouvons le faire », à laquelle ils ont ajouté une autre devise, très ancienne : « On creuse des trous, on creuse nos tombes. »

— Vas-y, fiston !

Douze postes d’écoute, cela signifiait que je pouvais placer un demi-peloton à chaque poste, c’est-à-dire un caporal et trois soldats. Ce qui permettait à deux groupes sur quatre de dormir pendant que les autres prenaient le quart d’écoute. Navarre et les patrouilleurs de l’autre groupe pouvaient s’occuper du cratère et les adjudants se relayer au commandement de la section. Il ne fallut pas plus de dix minutes pour redistribuer les hommes selon la nouvelle disposition. J’avertis tout le monde de l’arrivée de la compagnie de sapeurs et, dès que chaque groupe m’eut confirmé que ses postes d’écoute étaient en place, je passai sur le circuit général :

— Les nombres impairs… Etendez-vous… Préparez-vous à dormir… Je compte ! Un, deux, trois, quatre, cinq… Dormez !

Bien sûr, un scaphandre n’est pas vraiment un lit, mais on peut y dormir. C’est un des bons côtés de la préparation hypnotique. Dès que l’on a un moment de répit, on peut faire dormir les hommes par simple commandement hypnotique… et les réveiller tout aussi rapidement, prêts à se battre. C’est un facteur de survie important. Un homme épuisé finit par tirer sur des cibles qui n’existent pas.

Mais, pour ma part, je n’avais pas l’intention de dormir. On ne me l’avait pas dit… et je ne l’avais pas demandé. La seule idée de dormir alors que des centaines et peut-être des milliers de Punaises m’entouraient me donnait la nausée. Mais peut-être ce « senseur spatial » était-il infaillible. Peut-être que les Punaises ne pouvaient attaquer sans déclencher l’alerte…

Je passai sur le circuit privé.

— Adjudant…

— Oui, mon lieutenant ?

— Vous pourriez peut-être faire un somme. Je vais prendre la garde. Préparez-vous à dormir… Un, deux…

— Excusez-moi, mon lieutenant.

— Oui ?

— Si j’ai bien compris le nouveau plan, aucune action n’est prévue dans les quatre heures qui viennent. Vous pourriez aussi bien dormir et…

— Non, adjudant ! Je n’ai pas l’intention de dormir ! Je vais aller faire la ronde des postes d’écoute et essayer de savoir ce qu’il en est de cette compagnie de sapeurs.

— Très bien, mon lieutenant.

— Restez ici avec Brumby et essayez de vous reposer un peu pendant que je…

— Johnnie !

— Oui, capitaine ?

Le vieux m’avait-il écouté, par hasard ?

— Tous tes postes sont en place ?

— Oui, capitaine. Mes nombres impairs dorment. Je vais aller inspecter mes postes, et puis…