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— Oui, capitaine. Je repère, je me replie et j’évite le contact. J’observe et je fais mon rapport.

— Parfait !

Je rabattis les hommes d’écoute des postes 9 et 10 sur Easter 9. Ils s’arrêtaient tous les huit cents mètres pour relever l’intensité du bruit de « bacon frit ». Dans le même temps, les hommes du poste 12 se portèrent vers l’arrière du secteur en mesurant la décroissance du son.

J’appelai Bayonne des « Voraces » et Do Campo et leur expliquai pourquoi j’avais rappelé mes patrouilles. Ensuite, je fis mon rapport de regroupement à Blackie.

Il grommela :

— Prépare-toi, maintenant. Tu as une idée du point d’émergence ?

— Il paraît centré sur Easter 9, capitaine, mais c’est difficile à vérifier. Sur cinq kilomètres, les bruits sont particulièrement intenses… et on dirait que la zone s’élargit. J’essaie de la délimiter. Est-ce qu’elles pourraient percer un autre tunnel parallèle à la surface ?

— C’est possible. Mais j’espère que non. Il faut qu’elles se montrent. (Il ajouta :) Préviens-moi si le centre se déplace.

— Oui, capitaine. Mais…

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Vous m’avez dit de ne pas attaquer si elles se montraient. Alors, que devons-nous faire ? Nous ne sommes que des spectateurs ?

Pendant très longtemps, quinze, peut-être vingt secondes, le capitaine ne me répondit pas. Peut-être consultait-il les autorités supérieures. Il dit enfin :

— Monsieur Rico… Vous ne devez pas attaquer au point Easter 9, ni à proximité. Ailleurs… eh bien, la chasse aux Punaises est ouverte.

— Compris, capitaine !

— Johnnie ! (Il avait un ton sévère, tout à coup.) Si jamais tu chasses les médailles et non les Punaises – et je le saurai – tu peux compter sur moi pour ton formulaire trente et un !

— Capitaine, je n’ai jamais pensé aux médailles. Il n’y a que les Punaises qui comptent, pour moi !

— Alors, cesse de me casser les pieds !

J’appelai mon adjudant et je lui fis part des nouvelles limites de notre action. Je lui dis de faire passer et de s’assurer que tous les hommes étaient prêts.

— Inspection faite, mon lieutenant, dit-il. Je propose qu’on relève les hommes qui sont avec vous.

C’était raisonnable. Les hommes d’écoute n’avaient pas eu le temps de recharger leurs batteries et leur réserve d’air. Mais les hommes de relève que l’adjudant me proposa étaient tous des éclaireurs.

Je maudis en silence ma propre stupidité. Un scaphandre d’éclaireur est aussi rapide qu’un scaphandre de commandement et deux fois plus rapide que celui d’un fantassin. Je sentais bien que j’avais oublié quelque chose, quelque part. Maintenant, je savais. Je me trouvais à quinze kilomètres de ma section avec trois hommes en scaphandre de fantassin. Lorsque les Punaises se montreraient, je me trouverais devant une décision impossible… Les hommes ne pourraient jamais me suivre.

— Ça va. Mais je n’ai pas besoin de trois hommes. Plus maintenant. Envoyez-moi Hugues. Qu’il relève Nyberg.

— Hugues ? Tout seul ? s’étonna mon adjudant.

— Un homme me suffira. Je vais prendre l’écoute moi-même. A deux, nous pouvons tenir le coin. Nous savons où sont les Punaises, à présent. Dites à Hugues de se grouiller.

Durant trente-sept minutes, il ne se produisit rien. Hugues et moi, nous tournions autour d’Easter 9, en prenant l’écoute pendant cinq secondes avant de nous déplacer un peu plus loin. Nous n’avions même plus besoin d’enfoncer le micro dans la roche. Il suffisait de le poser simplement sur le sol pour entendre frire le bacon, furieusement. La zone se développait mais le centre ne s’était pas déplacé. Le son s’interrompit brusquement (et j’en avisai le capitaine) avant de reprendre, au bout de trois minutes.

Et puis, tout arriva en même temps.

Une voix lançait sur le circuit des éclaireurs :

— Albert 2 ! Albert 2 ! Bacon frit !

Je relayai.

— Capitaine ! Bacon frit en Albert 2 ! Noir Un !

Puis j’entrai en liaison avec les sections alentour :

— Urgent ! Urgent ! Bacon frit en Albert 2 !

Presque aussitôt la voix de Do Campo :

— Adolf 3 ! Adolf 3 de Vert 12 ! Bacon frit ! Bacon frit !

Je transmis à Blackie et repassai sur le circuit de mes propres éclaireurs. J’entendis :

— Les Punaises ! LES PUNAISES ! ALERTE !

— Quel secteur ? Quel secteur ?

Pas de réponse.

— Adjudant ! Adjudant ! Qui a signalé les Punaises ?

— Elles sortent de leur cité. Vers Bangkok 6 !

— Attaquez !

J’appelai Blackie.

— Punaises à Bangkok 6, Noir Un ! J’attaque !

La voix du capitaine était extraordinairement calme.

— J’ai entendu, Johnnie… Que se passe-t-il en Easter 10 ?

— Easter 10 est…

Le sol s’effondra sous moi et je me retrouvai au milieu des Punaises.

Je ne sais pas ce qui se passa. Je ne fus pas blessé. C’était un peu comme de tomber dans les branches d’un arbre. Mais ces branches étaient vivantes et elles jouaient avec moi pendant que mes gyros s’affolaient en essayant de me faire retrouver la verticale. Je dus tomber sur trois ou quatre mètres, je ne sais pas. Assez profond pour ne plus voir le jour.

Et puis, un nouvel assaut des monstres me ramena vers la surface et l’entraînement me sauva : tout à coup je fus sur pied. Je parlais et je me battais.

— Sortie en Easter 10 ! Non, Easter 11 ! J’y suis en ce moment ! Un grand trou. Elles sortent par centaines ! Plus que ça…

J’avais un lance-flammes dans chaque main et j’arrosais les Punaises sans cesser de faire mon rapport.

— Tire-toi de là, Johnnie !

— Vu !

Je m’apprêtai à sauter. Et je m’arrêtai. Et je cessai d’arroser de feu les Punaises. Je comprenais.

— Correction ! La sortie en Easter 11 est une diversion. Pas de soldats !

— Répète !

— Easter 11, Noir Un. Il n’y a que des ouvrières ici. Aucun soldat. Les Punaises qui m’entourent ne sont pas armées. Elles ne m’ont pas attaqué. Capitaine… est-ce que c’est vraiment une diversion ?

— Très possible, Johnnie… Ton rapport a été transmis à la division. Laisse-les faire leur boulot. Vérifie ton rapport, en attendant. S’il n’y a pas que des ouvrières, ça risque de te coûter cher.

— Compris, capitaine !

Je sautai haut et loin pour me dégager de l’atroce troupeau de carapaces mouvantes.

La plaine tout entière était couverte de leurs formes noires et lisses. Je relançai mes tuyères.

— Hugues !

— Les Punaises, monsieur Rico ! Des milliards ! J’les grille toutes !

— Hugues, regardez-les mieux ! Est-ce qu’elles ripostent ? Est-ce qu’il y a des soldats ?

— Euh…

Je touchai le sol et ressautai immédiatement.

— Mon lieutenant… Vous avez raison… Pas un soldat ! Comment vous le saviez ?

— Rejoignez votre peloton, Hugues ! Capitaine… Je confirme la sortie de milliers de Punaises dans ce secteur. Nombre de trous indéterminés. Je n’ai pas été attaqué. Je répète. Je n’ai pas été attaqué. S’il y a des soldats, ils ne se servent pas de leurs armes et se cachent parmi les ouvrières.

Le capitaine ne répondit pas.

Loin sur ma gauche, il y eut un éclair éblouissant, presque aussitôt suivi d’un autre, mais bien plus loin, et sur la droite, cette fois. Automatiquement, je pris note du temps et des coordonnées.