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Le sergent nous a complètement ignorés. Sans se redresser, il a réussi à s’incliner légèrement à l’adresse de Carmen :

— Bonjour, jeune demoiselle. Que puis-je pour vous ?

— Je suis venue m’engager, moi aussi.

— C’est bien, ça ! (Il a souri :) Si vous voulez bien vous rendre au bureau 201, vous y trouverez le commandant Rojas. Elle s’occupera de vous.

Il a longuement dévisagé Carmencita et lui a demandé :

— Pilote ?

— Si je le peux.

— Vous en avez la silhouette… Bon, eh bien, allez voir Miss Rojas.

Carmencita l’a remercié, puis elle nous a dit au revoir avant de s’éloigner. A ce moment-là seulement le sergent s’est aperçu de notre présence, visiblement sans plaisir.

— Oui ? C’est pour quoi ? Les bataillons du travail ?

Je me suis écrié :

— Non ! Je veux être pilote !

Il m’a accordé un seul et unique regard. Puis il s’est adressé à Carclass="underline"

— Et toi ?

— Je voudrais faire partie des Unités de Recherche et de Développement. En électronique, si possible. Je crois que j’ai ma chance.

— Si tu te montres capable, a dit le sergent d’un ton sinistre. Question de dons et de préparation… Ecoutez, les gars, savez-vous pourquoi je suis là ?

Je n’ai rien trouvé à dire mais Carl a risqué :

— Pourquoi ?

— Parce que le gouvernement se fout pas mal que vous vous engagiez ou non ! Vous comprenez, c’est la mode pour pas mal de gens, à notre époque, beaucoup trop de gens… On fait son temps de Service, on a droit à une franchise et on se pavane avec un beau ruban qui montre au monde entier qu’on est un vétéran… Même si on n’a pas eu le baptême du feu ! Mais si vous désirez vraiment servir, si je n’arrive pas à vous faire changer d’idée, on est obligés de vous accepter. C’est dans vos droits constitutionnels. Tout citoyen, sans distinction de sexe, a le droit d’accomplir son Service et de gagner sa citoyenneté. Mais la vérité, c’est qu’on a de plus en plus de mal à employer des volontaires qui ne sont là que pour leur petite médaille. On n’a pas besoin d’autant de soldats, et tous ceux qui se présentent ne sont pas capables d’être des soldats. Est-ce que vous avez vraiment réfléchi à tout ce qu’il faut pour faire un soldat ?

— Non… ai-je avoué.

— La plupart des gens pensent qu’il suffit d’avoir ses deux mains, ses deux pieds et un cerveau plutôt épais. Peut-être que c’est exact pour la chair à canon. Après tout, Jules César ne demandait sans doute que ça à ses troupes. Mais de nos jours, tout homme est un spécialiste si parfaitement formé qu’il correspond au niveau d’un cadre dans n’importe quelle branche civile. L’armée ne peut plus se permettre d’accepter les imbéciles. Et c’est pareil pour ceux qui tiennent absolument à s’engager, qui n’ont pas les capacités dont nous avons besoin. On leur réserve toute une panoplie de boulots dangereux, affreux, répugnants, qui les remettent très vite sur le chemin de la maison de papa et maman avec la queue entre les jambes… Ou alors, ils se rappellent toute leur vie durant que leur rang de citoyen, ils l’ont payé au prix fort et qu’il n’en a que plus de valeur. La jeune demoiselle qui était ici avec vous, par exemple… Elle désire être pilote. J’espère qu’elle réussira. Nous avons besoin de pilotes. Il n’y en a jamais assez. Si elle échoue, elle finira peut-être dans l’Antarctique, avec ses jolis yeux tout rouges à force de ne voir que dans la lumière artificielle, les mains abîmées par le sale travail.

J’aurais bien aimé lui dire que Carmencita, forte comme elle l’était en maths, arriverait au moins au rang de programmatrice pour les ordinateurs de la surveillance spatiale, mais il ne semblait pas avoir l’intention de se taire. Il reprit :

— Et c’est pour ça qu’ils m’ont mis là, les gars. Pour vous dissuader. Regardez… (Il pivota sur son siège pour que nous puissions bien voir qu’il n’avait plus de jambes :) Supposons que vous ne vous retrouviez pas sur la Lune en train de creuser des galeries… ou cobayes humains… Admettons que vous soyez dignes d’être enrôlés comme combattants. Alors… regardez-moi… voilà ce que ça risque de vous rapporter. Il y a mieux, remarquez : le petit message du style « regrets éternels » qu’on envoie aux parents… Ça, je vous le dis, c’est plus probable, de nos jours. Les pertes ont augmenté, aussi bien à l’entraînement qu’au combat. Les blessés se font rares. De toute manière, vous aurez droit à un cercueil… Alors, pourquoi ne pas regagner votre université à toute allure ? Vous ferez de très bons chimistes… Ou bien vous placerez des assurances-vie. Le Service n’est pas fait pour les gosses. Ou alors, on l’accomplit pour de vrai. C’est dur, dangereux, difficile, même en temps de paix. Ça n’a en tout cas rien à voir avec les vacances scolaires. Compris ?

— Je suis venu m’engager, a dit Carl.

— Moi aussi, ai-je ajouté.

— Et vous vous rendez compte que vous n’avez même pas le droit de choisir votre arme ?

— Je croyais qu’on pouvait au moins mentionner ses préférences, a dit Carl.

— Exact. C’est l’ultime choix qu’on vous laisse jusqu’au terme de votre temps de service. Je peux même dire que l’officier recruteur tient compte de vos déclarations. D’abord, il regarde s’il n’y a pas de demandes pour des souffleurs de verre gauchers, si c’est votre spécialité, mmm ? Ensuite, s’il estime, avec toutes les réticences d’usage, que c’est le cas – probablement quelque part au fin fond du Pacifique – il vous soumet aux examens portant sur cette spécialité. Une fois sur vingt, il est bien obligé d’admettre que vous faites l’affaire… à moins qu’un petit rigolo de service ne donne des ordres contraires. En tout cas, dix-neuf fois sur vingt, vous êtes recalés et on décide que vous convenez plus particulièrement aux opérations sur Titan, aux tests d’équipements de survie. (Il hocha la tête d’un air méditatif :) Très froid, Titan, très très froid… C’est surprenant, par ailleurs, de constater la faiblesse de l’équipement expérimental… Mais vous savez ce que c’est. Il faut tester sur le terrain. Les labos ne prouvent rien.

— S’il y a du boulot pour moi, a dit Carl, ma spécialité, c’est l’électronique.

— Vraiment ? Et toi, mon gros ?

J’ai hésité, et puis je me suis dit que si je ne jetais pas les dés maintenant, je serais toute ma vie le fils du patron.

— Je vais risquer le coup.

— Eh bien, vous ne pourrez pas dire que je n’ai pas fait tout mon possible. Vous avez vos certificats de naissance et vos pièces d’identité ?

Dix minutes plus tard, nous étions examinés, sondés et fluoroscopés. Je me suis dit que même si on n’est pas malade, de toute façon on a droit au traitement dur qui, lui, vous rend malade. J’ai demandé à l’un des toubibs quel était le pourcentage des gars qui ne passaient pas les tests physio. Il a eu l’air très surpris :

— Mais… aucun. La loi ne le permet pas.

— Comment ça ?… Je… je veux dire… Excusez-moi, docteur, mais à quoi sert cette exhibition de fesses, en ce cas ?

— Ma foi (et il m’a balancé un coup de marteau sur le genou), uniquement à déterminer quelles sont les besognes physiques que l’on peut vous confier. Même si vous étiez arrivés en chaise roulante, aveugle et paralytique, ils auraient bien réussi à vous trouver un petit quelque chose à bricoler quelque part. Du style peigne-girafe, tu vois ? Non, la seule chance que vous ayez d’être rejeté, c’est que les psychiatres décident que vous n’êtes pas en mesure de prêter serment en votre âme et conscience.

— Mais, docteur… Euh… est-ce que vous étiez déjà docteur quand vous vous êtes engagé ? Ou bien est-ce qu’ils vous ont envoyé à l’école ?