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Ils décidèrent que Birdie demanderait à repasser à la fois le Stanford-Binet et le Skinner-Waxman. Si pour une raison ou pour une autre il ne se sentait pas sûr de lui le jour fixé par le Centre de sélection génétique, il n’aurait qu’à reporter l’épreuve à une date ultérieure. M. Mack était convaincu que les gens seraient disposés à se plier en quatre pour un garçon dans sa situation.

Le problème semblait être résolu, et Birdie s’apprêtait à prendre congé, mais M. Mack dut passer en revue deux ou trois détails supplémentaires, pour la forme. Hormis les facteurs héréditaires et les tests du Centre de sélection génétique, qui mesuraient tous deux les potentialités, il existait un autre groupe d’éléments déterminant la performance individuelle. Tout service exceptionnel rendu au pays ou à l’économie donnait automatiquement 25 points, mais Birdie ne devait pas trop compter là-dessus. De même, une manifestation d’aptitudes physique, intellectuelle ou créative nettement au-dessus de la moyenne indiquée par et cætera, et cætera.

Birdie était également d’avis qu’on pouvait sauter ce passage.

Mais là, en revanche, sous la gomme du crayon, il y avait quelque chose d’intéressant – le facteur niveau d’études… Déjà Birdie avait eu cinq points pour avoir terminé ses études secondaires. S’il entrait à l’Université…

Hors de question. Birdie ne pourrait jamais faire un étudiant. Il n’avait rien d’un imbécile, mais d’un autre côté il n’avait rien non plus d’un Isaac Einstein.

Normalement, M. Mack aurait applaudi au réalisme d’une telle décision, mais dans les circonstances présentes, il valait mieux ne pas brûler ses vaisseaux. Tout résident de la ville de New York avait le droit de fréquenter l’une quelconque des universités de la ville comme étudiant à part entière ou, s’il ne remplissait pas un certain nombre de conditions, dans le cadre de la Section d’enseignement non spécialisé. Birdie avait intérêt à y réfléchir avant d’écarter définitivement cette solution.

M. Mack était vraiment désolé. Il espérait que Birdie apprendrait à considérer sa reclassification comme un accident de parcours plutôt qu’un échec définitif. L’échec n’était qu’une façon d’envisager la réalité.

Birdie acquiesça, mais M. Mack ne lui rendit pas la liberté pour autant. M. Mack invita Birdie à envisager la question de la contraception et de la génétique avec une ouverture d’esprit aussi large que possible. Déjà les ressources disponibles ne suffisaient plus à nourrir la population de la planète ; si l’on n’instaurait pas un système volontaire de limitation des naissances, cette population s’accroîtrait dans des proportions catastrophiques. M. Mack espérait que Birdie en viendrait un jour ou l’autre à voir que la Sélection génétique était malgré ses inconvénients évidents, à la fois souhaitable et nécessaire.

Birdie promit qu’il s’efforcerait de considérer la chose sous cet angle, moyennant quoi il put partir.

Parmi les papiers que contenait l’enveloppe grise, Birdie trouva un livret intitulé Votre test d’aptitude génétique publié par le Conseil national de l’éducation, qui expliquait que la seule façon efficace de se préparer à son réexamen était de l’aborder avec un esprit ouvert et confiant. Un mois plus tard, fidèle au rendez-vous, Birdie se rendit à Center Street dans un état d’esprit ouvert et confiant. Ce ne fut que plus tard, en discutant des tests avec ses compagnons d’infortune autour de la fontaine, sur la place, qu’il s’aperçut qu’on était un vendredi 13. Manque de pot ! Il n’avait pas besoin d’attendre la lettre recommandée pour savoir que sa note allait être gratinée. Pourtant quand il reçut ses résultats, ce fut comme un coup de massue : son Q.I. avait baissé d’un point ; sur l’échelle de créativité de Skinner-Waxman il était tombé à 4 – une note de débile mental. Son nouveau total : 21.

Le 4 le mettait hors de lui. La première partie du Skinner-Waxman consistait en un test à choix multiples où il fallait sélectionner parmi quatre jeux de mots celui qu’on considérait comme le meilleur, et aussi la meilleure de quatre fins d’histoire. Jusque-là, pas de surprise – il se souvenait de cette partie du test. Mais ensuite ils l’introduisirent dans une drôle de pièce toute vide. Deux cordelettes pendaient du plafond. Ils lui donnèrent une pince et lui dirent de les nouer ensemble. On n’avait pas le droit de décrocher les cordes.

C’était impossible. En tenant l’extrémité d’une des cordes dans une main, on ne pouvait tout simplement pas attraper l’autre, même en allant la chercher avec la pointe du pied. Les quelques centimètres supplémentaires qu’on gagnait avec la pince n’étaient d’aucune utilité. Au bout des dix minutes imparties il avait envie de hurler. Il y avait trois autres problèmes impossibles, mais il n’était plus en état de se concentrer sur quoi que ce fût.

À la fontaine, une espèce de petit branleur avec une grosse tête leur expliqua ce qu’ils auraient tous dû faire : attacher la pince à l’extrémité d’une des cordes et lui imprimer un mouvement de balancier ; ensuite aller chercher…

« Tu sais ce que j’aimerais voir, dit Birdie en interrompant la grosse tête, en train de se balancer au bout de cette corde à la con, hein, duchnoque ? Toi ! »

Ce qui, de l’avis de tous, était une bien meilleure blague que tous leurs choix multiples.

Ce ne fut qu’après avoir été recalé à ses tests que Birdie annonça son reclassement à Milly. Une certaine fraîcheur avait gagné leurs relations depuis quelque temps – un nuage passager dans le ciel de leur bonheur – mais Birdie redoutait néanmoins sa réaction, les noms dont elle allait peut-être le traiter. Ce fut le contraire qui se produisit ; Milly se montra héroïque, déploya des trésors de tendresse, de sollicitude et de ferme résolution. Elle ne s’était pas aperçue jusqu’alors, dit-elle, à quel point elle aimait Birdie et avait besoin de lui. Elle l’aimait davantage maintenant, parce que… mais elle n’avait pas besoin d’expliquer pourquoi. C’était écrit sur leurs visages, dans leurs yeux – ceux de Birdie sombres et luisants, ceux de Milly noisette mouchetés d’or. Elle jura de rester à ses côtés pour l’aider à traverser cette épreuve. Du diabète ! Et ce n’était même pas le sien ! Plus elle y pensait, plus ça la mettait en colère, plus elle était décidée à ne pas laisser un Moloch bureaucratique jouer les dieux tout-puissants avec Birdie et elle. (Moloch ?) Si Birdie acceptait de suivre les cours à la S.E.N.S. de Barnard, Milly se déclarait prête à l’attendre aussi longtemps qu’il le faudrait.

Quatre ans, d’après leurs calculs. Le système des points était conçu de telle sorte que chaque année ne comptait qu’un demi-point jusqu’au diplôme de fin de cycle, mais que ce diplôme valait, lui, quatre points. Si Birdie s’était contenté de son ancienne note rectorale, il aurait pu regagner le terrain perdu en deux ans. Maintenant il lui fallait essayer de décrocher un diplôme.

Mais il l’aimait, sa Milly, et il voulait l’épouser, sa Milly, et ils pouvaient dire ce qu’ils voulaient, un mariage n’est pas un mariage si l’on ne peut pas avoir d’enfants.

Il s’inscrivit à Barnard. Qu’aurait-il pu faire d’autre ?

3

Le matin du jour où il devait passer son examen d’histoire de l’art, Birdie se prélassait au lit dans le dortoir vide du S.E.N.S., la tête pleine de sommeil et d’amour. Il ne pouvait pas se rendormir, mais il ne voulait pas encore se lever. Il se sentait déborder d’énergie, remonté à bloc, mais ce n’était pas le genre d’énergie qui pousse à se lever pour se brosser les dents ou pour descendre prendre le petit déjeuner. De toute façon l’heure du petit déjeuner était passée, et il était très bien où il était.